30 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.314

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C200329

Texte de la décision

CIV. 2


LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 mars 2023




Rejet


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 329 F-D

Pourvoi n° C 21-19.314






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2023


La société Mutuelle assurance des instituteurs de France, société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-19.314 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2021 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [D] [N], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

M. [N] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Mutuelle assurance des instituteurs de France, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [N], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 11 mai 2021), le 21 avril 1988, M. [N], alors âgé de 10 ans, a été victime d'un accident impliquant un engin agricole, assuré par la Mutuelle assurance des instituteurs de France (l'assureur).

2. Après avoir été indemnisé de ses préjudices au terme d'une procédure amiable, M. [N] a assigné l'assureur et la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire (la caisse) devant un tribunal de grande instance en indemnisation du coût d'acquisition et d'aménagement d'un logement compatible avec l'aggravation de son état de santé.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'assureur

Enoncé du moyen

3. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [N] la somme de 237 437,20 euros hors taxe au titre de l'aménagement de son logement, outre la TVA applicable au jour du paiement et de le condamner à lui payer la somme de 14 775,17 euros au titre des honoraires de l'architecte conseil, alors :

« 1°/ que l'indemnisation allouée à la victime doit réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que les frais d'aménagement du logement de la victime ne sont indemnisables que s'ils sont en lien direct avec le fait dommageable, ce qui suppose que la victime rapporte la preuve du caractère inadapté de son logement occupé au moment de l'accident ; qu'en l'espèce, pour condamner l'assureur à supporter le coût d'adaptation du nouveau logement acquis par M. [N] en 2013, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que « M. [N] est en droit de voir aménager son immeuble de façon à pouvoir évoluer à l'intérieur de façon satisfaisante » et que « sa situation ayant évolué, son préjudice évolue corrélativement, dès lors que le choix de M. [N] de déménager à la campagne ne paraît pas déraisonnable » ; qu'en statuant ainsi sans constater que l'appartement de plain-pied dans lequel il vivait au moment de l'accident n'était pas adapté à l'évolution de son handicap, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, ensemble l'article 1240 du code civil ;

2°/ que l'indemnisation allouée à la victime doit réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que le préjudice lié aux frais d'aménagement de logement adapté, correspondant aux dépenses que la victime handicapée doit exposer pour bénéficier d'un habitat en adéquation avec son handicap, ne saurait être indemnisé lorsqu'il résulte du choix personnel de la victime d'acquérir un logement en pleine connaissance de cause de ce qu'il est manifestement inadapté à son handicap ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [N] a quitté l'agglomération lyonnaise et fait l'acquisition en septembre 2013 d'une maison ancienne, immense et essentiellement verticale, dans un petit village du département de la Loire, qu'il s'agit d'un choix de vie légitime et personnel, qui n'est pas toutefois directement rattachable à l'évolution de son état séquellaire, dès lors qu'il vivait dans un appartement de plain-pied, d'une surface utile permettant l'utilisation d'un fauteuil roulant où la présence de deux chambres lui permettait de loger son enfant de façon indépendante et dont la situation dans Lyon même lui permettait de rechercher un emploi compatible avec son handicap ; qu'en condamnant néanmoins l'assureur à supporter le coût d'adaptation de ce logement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il ressortait que l'acquisition par M. [N] d'un logement inadapté à son handicap résultait d'un choix personnel et était, par conséquent, sans rapport de causalité avec l'évolution de son état séquellaire imputable à l'accident, en violation du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, ensemble l'article 1240 du code civil ;

3°/ que le défaut de réponse à conclusion constitue un défaut de motif ; qu'en condamnant l'assureur à supporter le coût d'adaptation d'une maison ancienne, immense et essentiellement verticale, acquise par M. [N] en septembre 2013 dans un petit village du département de la Loire, sans répondre aux conclusions de l'assureur qui faisait valoir que M. [N] ne rapportait pas la preuve qu'il aurait demandé à son bailleur, l'OPAC Grand [Localité 3], très important bailleur social notoirement propriétaire de milliers de logement, de lui louer un autre logement plus vaste ou différemment conçu si l'évolution de sa situation le requérait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Constitue un préjudice réparable en relation directe avec l'accident de la circulation ayant causé le handicap de la victime le montant des frais que celle-ci doit débourser pour adapter son logement et bénéficier ainsi d'un habitat en adéquation avec ce handicap.

5. L'arrêt retient que les experts ont revu M. [N] en 2014 et constaté que l'état de son moignon d'amputation de la jambe droite s'était dégradé, qu'il avait cessé progressivement de porter une prothèse et avait utilisé de façon plus fréquente un fauteuil roulant, ce qui constituait une modification de son état situationnel.

6. Il énonce, ensuite, que M. [N] a acquis une maison ancienne en bon état avec jardin et terrain et s'y est établi avec son fils de 10 ans, scolarisé dans la commune.

7. L'arrêt ajoute qu'il ressort du rapport de l'expert architecte que la maison que M. [N] a acquise est appropriée à son projet de vie et lui offre l'espace nécessaire pour évoluer en fauteuil roulant. Il retient encore que le montant des frais d'adaptation du logement n'apparaît pas déraisonnable et que la solution à moindre coût proposée par l'assureur a été écartée par l'expert.

8. En l'état de ces constatations et énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que le montant des frais d'adaptation du logement, qu'elle a évalués, était en relation directe avec l'accident.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident de M. [N]

Enoncé du moyen

10. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande à fin de condamnation de l'assureur à prendre en charge les coûts d'acquisition de son immeuble, alors « que le principe de la réparation intégrale du dommage commande que la victime handicapée, qui n'est que locataire de son logement et n'en est de ce fait que l'occupant provisoire, puisse bénéficier d'une indemnisation lui permettant d'acquérir la propriété d'un bien adapté à son état, condition nécessaire pour qu'elle puisse bénéficier de façon pérenne des aménagements permettant cette adaptation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'après l'aggravation de son état de santé consécutif à l'accident de la circulation dont il avait été victime, « M. [N] a quitté l'agglomération lyonnaise où il vivait depuis des années pour s'établir dans un petit village du département de la Loire, y a fait l'acquisition d'un maison ancienne en bon état avec jardin et terrain, s'y est établi avec son fils de 10 ans, scolarisé dans la commune et a indiqué avoir fait son deuil de l'exercice d'une activité professionnelle devenue difficile au vu de son handicap et de sa formation, pour vivre au contact de la nature, en élevant son enfant et en vouant ses loisirs à la pêche, au jardinage et au bricolage, avec l'espoir de fonder une nouvelle famille qui pourrait vivre dans cette vaste bâtisse » ; qu'en estimant néanmoins, qu'« il s'agit d'un choix de vie légitime et personnel, qui n'est pas toutefois directement rattachable à l'évolution de son état séquellaire, dès lors qu'il vivait dans un appartement de plain-pied, d'une surface utile permettant l'utilisation d'un fauteuil roulant où la présence de deux chambres lui permettait de loger son enfant de façon indépendante, et dont la situation dans [Localité 3] même lui permettait tout autant voire plus qu'à la campagne, de rechercher un emploi compatible avec son handicap ; qu'en outre, M. [N] ne prouve pas avoir demandé à son bailleur, l'OPAC Grand [Localité 3], très important bailleur social notoirement propriétaire de dizaines de milliers de logements, de lui louer un autre logement, plus vaste, où différemment conçu, si l'évolution de sa situation le requérait , pour en déduire que « ces éléments concordants excluent que l'évolution du handicap de M. [N] ait rendu nécessaire des aménagements de son logement incompatibles avec le caractère provisoire d'une location au point de faire que l'acquisition d'un logement doive être regardée comme une conséquence de l'accident », la cour d'appel a estimé que des aménagements provisoires compatibles avec le handicap de M. [N] étaient possibles dans un bien donné en location, mais n'a pas recherché, comme il lui était pourtant expressément demandé, si, compte tenu des travaux d'aménagement et du caractère provisoire de la location, l'acquisition d'un logement et son adaptation n'était pas nécessaire pour permettre à la victime de bénéficier de manière pérenne d'un habitat adapté au handicap causé par l'accident, privant ainsi de base légale à sa décision au regard du principe susvisé, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

11. L'arrêt retient que l'acquisition d'une maison faite par M. [N] n'est pas directement rattachable à l'évolution de son état séquellaire, dès lors qu'il vivait dans un appartement de plain-pied, d'une surface utile permettant l'utilisation d'un fauteuil roulant, où la présence de deux chambres lui permettait de loger son enfant de façon indépendante et dont la situation dans la ville de [Localité 3] même lui permettait tout autant, voire plus qu'à la campagne, de rechercher un emploi compatible avec son handicap.

12. L'arrêt énonce encore, par motifs adoptés, qu'il apparaît que cette acquisition était un « coup de coeur », selon les termes repris par l'expert architecte, relevant d'un choix de vie personnel.

13. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Mutuelle assurance des instituteurs de France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille vingt-trois.

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