23 mars 2023
Cour d'appel de Douai
RG n° 21/05755

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 23/03/2023



****





N° de MINUTE :

N° RG 21/05755 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T6OX



Ordonnance rendue le 15 octobre 2021 par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Boulogne-sur-Mer







APPELANTE



Maître [H] [X]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 3]



régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception



Non comparante, représentée par Me Laëtitia Bonnard-Plancke, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué, substitué à l'audience par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai





INTIMÉE



Maître [C] [V]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 3]



régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception



-comparante en personne-





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ



Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe





DÉBATS à l'audience publique du 12 décembre 2022 après rapport oral de l'affaire par Camille Colonna. Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.





ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023 après prorogation du délibéré en date du 16 mars 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 24 novembre 2022




****





EXPOSÉ DU LITIGE



Le cabinet de Maître [H] [X] a conclu le 1er février 2017 avec Maître [C] [V] un contrat de collaboration libérale à effet à compter du 17 avril 2017.



Par entretien téléphonique du 3 mars 2020 et courrier du même jour réceptionné le 5 mars 2020, Maître [X] a mis fin à ce contrat.


Par requête en arbitrage du 5 mars 2020, Maître [V] a saisi le bâtonnier de Boulogne-sur-Mer aux fins de voir déclarer vexatoire la rupture de contrat de collaboration et solliciter la réparation du préjudice moral subi par l'allocation d'une somme de 5 200 euros à titre de dommages et intérêts. Cette requête a été réitérée le 10 août 2021 sur invitation de Mme le bâtonnier n'ayant pu instruire la première requête dans le délai légal.



Par décision rendue le 15 octobre 2021, Mme le bâtonnier de Boulogne-sur-Mer a notamment :

-constaté que les conditions de rupture du contrat de collaboration liant Maître [V] à Maître [X] étaient intervenues de façon vexatoire,

-condamné en conséquence Maître [X] à payer à Maître [V] la somme de 2 600 euros en réparation du préjudice subi.



Maître [X] a interjeté appel de cette décision et, par conclusions remises au greffe le 28 janvier 2022, au visa des articles 14-4 du Règlement intérieur national de la profession d'avocat, 1353 du code civil et 16,152,179-6 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, demande à la cour de réformer entièrement ladite décision et de débouter Maître [V] de l'ensemble de ses demandes.



Elle fait valoir que Maître [V] n'étant pas collaboratrice salariée, les règles du licenciement pour motif personnel en droit du travail ne sont pas applicables, le Règlement Intérieur National de la profession d'avocat prévoyant pour l'avocat collaborateur libéral, la liberté de mettre fin au contrat de collaboration et un délai de prévenance, lequel a été respecté, que Maître [V] n'apporte ni la preuve du caractère vexatoire de la rupture, ni la preuve d'un préjudice et que l'absence de bonne foi n'est pas démontrée.







En réponse, Maître [V], par conclusions remises au greffe le 10 mars 2022, demande à la cour de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a constaté que les conditions de la rupture du contrat étaient intervenues de façon vexatoire, de condamner Maître [X] à lui payer 5200 euros en réparation de son préjudice moral et de débouter Maître [X] de l'ensemble de ses demandes.



Elle fait valoir sur le fondement des articles 1.3 du RIN de la profession d'avocat et 1104 et 1231-1 du code civil que les circonstances de l'annonce de la rupture du contrat sont contraires aux obligations professionnelles et contractuelles que se devait de respecter l'appelante, indépendamment de la question de la légalité de la rupture qu'elle ne conteste pas, et que, dans ces circonstances, la rupture du contrat de collaboration puis la déclaration d'appel l'ont bouleversée.



Par soit-communiqué du 24 novembre 2022, le procureur général près la cour d'appel de Douai a déclaré s'en rapporter à la sagesse de la cour.



A l'audience du 12 décembre 2022, les parties ont maintenu leurs demandes et moyens.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Selon l'article 1. 3 du Règlement Intérieur National de la profession d'avocat, les principes essentiels de la profession guident le comportement de l'avocat en toutes circonstances. L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment. Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, d'égalité et de non-discrimination, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie. Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.



L'article 1104 alinéa 1 du code civil dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.



Aux termes de l'article 1231-1 du même code, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.



En l'espèce, l'exécution du délai de prévenance n'est pas critiquée par les parties et, à la différence du contrat de collaboration salariée, dans le cadre de la rupture d'un contrat de collaboration libérale, les règles de rupture n'exigent ni existence d'un défaut d'exécution, ni entretien physique, ni communication des motifs de la rupture, ni entretien préalable.



Cependant, le respect des règles déontologiques de la profession et l'exigence de bonne foi dans l'exécution des contrats s'imposent quelque soit la nature du contrat de collaboration.



C'est dès lors à bon droit que Mme le bâtonnier a qualifié la rupture du contrat de collaboration de vexatoire quant à la manière dont elle a été annoncée par Maître [X] à sa collaboratrice.



En effet, cette annonce était brutale en ce que, inattendue, dans un contexte de relations contractuelles constructives et cordiales, en l'absence de reproche de la qualité du travail fourni par Maître [V], les parties discutant moins d'un mois auparavant d'une association, et formulée de manière inappropriée eu égard aux circonstances particulières, Maître [X] informant sa collaboratrice de la fin de son contrat au cours d'un entretien téléphonique alors qu'elles se rencontrent physiquement régulièrement, exerçant au sein du même cabinet, cet appel, d'une durée suffisamment brève (31 secondes) pour que s'en déduise une transmission directe de l'information et l'absence de précaution quant à l'effet de l'annonce effectuée, étant intervenu alors que cette dernière se trouvait au palais de justice, entourée de la cliente du cabinet dont elle était chargée par Maître [X] de défendre les intérêts en ses lieu et place, et de ses confrères, y compris adverses, et à proximité immédiate de l'audience.



Il est ainsi établi que la manière dont la rupture a été annoncée était de nature à produire un effet déstabilisant sur Maître [V], eu égard à ces circonstances générales et particulières, ce que Maître [X] ne pouvait ignorer et qui caractérise un manquement à certaines obligations déontologiques de sa profession (loyauté, confraternité, délicatesse et courtoisie) et à l'exigence de loyauté dans l'exécution des contrats.



Le préjudice invoqué par Maître [V], outre l'inquiétude générée quant à sa situation économique, ainsi que cela ressort des SMS échangés par les parties, est caractérisé par l'impact psychologique et l'incompréhension de cette rupture, ce dont atteste l'attestation de la secrétaire ayant constaté son état d'affliction lors de son retour au cabinet à l'issue de l'audience, augmentée par la remise en cause, du fait de l'appel interjeté, de la légitimité de son appréciation des événements.



Ce préjudice sera plus justement réparé par l'allocation d'une somme de 4 000 euros.



Il y a donc lieu d'infirmer partiellement la décision de Mme le bâtonnier de Boulogne-sur-mer du 15 décembre 2021.





PAR CES MOTIFS



La cour



infirme la décision entreprise en ce qu'elle a condamné Maître [X] à payer à Maître [V] la somme de 2 600 euros en réparation du préjudice subi, et, statuant à nouveau sur ce chef,



condamne Maître [H] [X] à payer à Maître [C] [V] la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice,



confirme la décision pour le surplus.









Le greffier





Delphine Verhaeghe







Le président





Bruno Poupet

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