28 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-83.874

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00371

Titres et sommaires

ENQUETE PRELIMINAIRE - Recherche de la preuve d'infractions - Prise de clichés photographiques sur la voie publique - Régime - Assimilation à un dispositif de captation et d'enregistrement continu d'images (non) - Effet - Nécessité d'autorisation du procureur de la République (non)

La prise de clichés photographiques, qui n'ont pas été recueillis de manière permanente ou systématique, ne peut être assimilée à la mise en place d'un dispositif de captation et d'enregistrement continu d'images de personnes se trouvant dans un lieu public nécessitant une autorisation du procureur de la République. Justifie en conséquence sa décision la chambre de l'instruction qui dit n'y avoir lieu à annulation de huit photographies d'un individu prises ponctuellement sur la voie publique à l'occasion de surveillances policières, sans autorisation préalable du procureur de la République

Texte de la décision

N° X 22-83.874 F-B

N° 00371


SL2
28 MARS 2023


REJET


M. BONNAL président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 MARS 2023



M. [G] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 2 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, de blanchiment et travail dissimulé, en bande organisée, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 14 novembre 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [G] [O], les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat des sociétés [3] et [2], et les conclusions de M. Croisier, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 4 mai 2020, un fonctionnaire de police a été avisé qu'une personne ultérieurement identifiée comme étant M. [G] [O], organiserait, depuis plusieurs années, des achats massifs de produits de luxe, revendus, de manière clandestine, avec une marge bénéficiaire très importante.

3. Une enquête a été diligentée à l'occasion de laquelle des photographies de M. [O], sur la voie publique, ont été prises.

4. Par ailleurs, des mesures de localisation en temps réel de lignes téléphoniques ont été mises en oeuvre.

5. Les investigations auraient, d'une part, établi une activité de blanchiment d'espèces sous couvert d'une société de droit portugais, d'autre part, permis d'identifier plusieurs personnes travaillant de manière non déclarée.

6. Une information a été ouverte des chefs de blanchiment en bande organisée, travail dissimulé par dissimulation d'activité en bande organisée, travail dissimulé par dissimulation de salarié, complicité d'escroquerie en bande organisée, pour lesquels M. [O] a été mis en examen le 28 janvier 2021.

7. Le 23 juillet suivant, il a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens


8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et constaté la régularité de la procédure pour le surplus, alors :

« 1°/ que la mesure d'investigation visant à mettre en oeuvre un dispositif de captation de l'image d'une personne dans un lieu public n'est régulière qu'à la double condition d'avoir été autorisée et contrôlée par un juge ; que la prise de photographies d'une personne constitue, au même titre que la vidéosurveillance, la mise en oeuvre d'un disposition de captation de l'image des personnes, peu important que ces mesures soient effectuées dans un lieu privé ou public ; qu'il s'ensuit que la mesure d'investigation consistant en la prise de photographies d'une personne dans l'espace public n'est régulière qu'à la double condition d'avoir été autorisée et contrôlée par un juge ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir qu'il avait été photographié sur la voie publique par les enquêteurs de manière systématique, les 12, 13, 14, 18, 20 et 26 mai, ainsi que le 9 juin 2020 ; qu'une telle mesure s'analysait en la mise en oeuvre d'un dispositif de captation et d'enregistrement systématique de son image, qui était irrégulière faute d'avoir été autorisée et contrôlée par un juge ; qu'en retenant, pour rejeter ce moyen de nullité, qu' « il ne s'agit pas de la mise en place de système de vidéo surveillance », mais de « photographies de personnes déambulant sur la voie publique » et que « la prise de photographies de personnes sur la voie publique par des enquêteurs ne nécessite pas d'autorisation d'un magistrat », quand la vidéosurveillance comme la prise de photographies constituent des mesures spéciales d'enquêtes, soumises à autorisation du juge, la Chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 706-96, 706-95-12, 706-95-13, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ que la mesure d'investigation visant à mettre en oeuvre un dispositif de captation de l'image d'une personne dans un lieu public n'est régulière qu'à la double condition d'avoir été autorisée et contrôlée par un juge ; que la prise de photographies d'une personne constitue, au même titre que la vidéosurveillance, la mise en oeuvre d'un disposition de captation de l'image des personnes, peu importe que ces mesures soient effectuées dans un lieu privé ou public ; qu'il s'ensuit que la mesure d'investigation consistant en la prise de photographies d'une personne dans l'espace public n'est régulière qu'à la double condition d'avoir été autorisée et contrôlée par un juge ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir qu'il avait été photographié sur la voie publique par les enquêteurs de manière systématique, les 12, 13, 14, 18, 20 et 26 mai, ainsi que le 9 juin 2020 ; qu'une telle mesure s'analysait en la mise en oeuvre d'un dispositif de captation et d'enregistrement systématique de son image, qui était irrégulière faute d'avoir été autorisée et contrôlée par un juge ; qu'en retenant, pour rejeter ce moyen de nullité, que « conformément à l'appréciation de la Cour européenne des droits de l'Homme sur l'application de l'article 8 de la CEDH, il n'y a eu aucune ingérence dans la vie privée de [G] [O] en ce que le dispositif n'avait aucun caractère de permanence et n'était pas systématique » quand la mise en oeuvre d'un dispositif de prise de photographies sur la période concernée s'analysait en un dispositif d'enregistrement systématique de l'image des personnes dans l'espace public, la chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 706-96, 706-95-12, 706-95-13, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Pour dire n'y avoir lieu à annulation des photographies prises sur la voie publique, l'arrêt attaqué énonce notamment que les actes critiqués par M. [O] relatent la mise en place sur la voie publique de dispositifs de surveillance pendant quelques heures par les policiers qui ont pris des clichés photographiques de ce qu'ils constataient.

11. Les juges relèvent que les enquêteurs n'ont procédé à aucune vidéosurveillance ni prises de photographies dans des lieux privés mais que seules des images de personnes déambulant sur la voie publique ont été captées.

12. Ils en déduisent que ces actes ne constituent pas une ingérence dans la vie privée et ne nécessitaient pas une autorisation préalable d'un magistrat.

13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

14. En premier lieu, M. [O], qui n'a pas été photographié à l'occasion des surveillances retracées en cote D7, était sans qualité pour en contester la régularité.

15. En second lieu, il résulte de l'examen des pièces du dossier, dont la Cour de cassation a le contrôle, que M. [O] a été photographié sur la voie publique à l'occasion de surveillances policières, le 12 mai 2020 à 15 heures 20, le 14 mai 2020 à 15 heures 50 et 16 heures 53, le 18 mai 2020 à 17 heures 25, le 20 mai 2020 à 13 heures 02, le 28 mai 2020 à 13 heures 02 et 13 heures 55 ainsi que le 9 juin 2020 à 15 heures 50.

16. Il s'en déduit que la prise de ces clichés photographiques, qui n'ont pas été recueillis de manière permanente ou systématique, ne peut être assimilée à la mise en place d'un dispositif de captation et d'enregistrement continu d'images de personnes se trouvant dans un lieu public nécessitant une autorisation du procureur de la République.

17. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et constaté la régularité de la procédure pour le surplus, alors :
« 1°/ qu'il incombe à la Chambre de l'instruction saisie d'un moyen de nullité pris de la violation des exigences européennes en matière de conservation et d'exploitation des données de connexion téléphoniques, de vérifier notamment si l'accès aux données a fait l'objet d'un contrôle indépendant préalable ; que s'il s'agit d'une réquisition faite dans le cadre d'une enquête de flagrance ou en préliminaire, l'acte a été accompli en méconnaissance de ces exigences ; que l'accès aux données téléphoniques obtenu dans le cadre d'une mesure de géolocalisation téléphonique en temps réel obéit aux mêmes règles ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir que l'accès à ses données personnelles avait été autorisé par un magistrat du parquet, en méconnaissance des exigences européennes ; qu'en retenant toutefois, pour dire que l'accès aux données de Monsieur [O] était justifié, que les dispositions autorisant la mise en oeuvre d'un dispositif de géolocalisation par le ministère public ont été validées par le Conseil Constitutionnel et que la jurisprudence européenne, relative à la géolocalisation téléphonique différée, ne saurait trouver à s'appliquer dans le cadre de mesures de géolocalisation téléphonique en temps réel, quand tout accès à des données téléphoniques de localisation suppose l'accord préalable d'un juge indépendant, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 230-32, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ qu'il incombe à la chambre de l'instruction saisie d'un moyen de nullité pris de la violation des exigences européennes en matière de conservation et d'exploitation des données de connexion téléphoniques, de vérifier notamment si l'accès aux données était, au regard des circonstances de l'espèce, limité à ce qui était strictement justifié par les nécessités de l'enquête ; qu'en en affirmant simplement que « l'ingérence portée à la vie privée de [G] [O] apparaît nécessaire et proportionnée en ce qu'il est mis en examen notamment comme étant le chef d'un réseau de blanchiment portant sur des sommes considérables et agissant depuis de nombreuses années », la chambre de l'instruction, qui s'est bornée à raisonner en termes de gravité des infractions reprochées à Monsieur [O], sans vérifier si l'accès aux données de localisation de l'exposant était strictement justifiée par les nécessités de l'enquête, n'a pas suffisamment justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 230-32, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

19. En premier lieu, le demandeur, qui n'a ni justifié ni même allégué qu'il a été porté atteinte à sa vie privée, à l'occasion de l'exécution des mesures de localisation en temps réel des lignes téléphoniques attribuées à Mme [X] [U], M. [F] [T], Mme [D] [P] et M. [W] [C], était sans qualité pour en contester la régularité devant la chambre de l'instruction.

20. En deuxième lieu, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer par l'examen des pièces dont elle a le contrôle, les mesures de localisation en temps réel de la ligne téléphonique attribuée à M. [O] et de son boîtier téléphonique, autorisées par le procureur de la République le 8 juin 2020, n'ont été mises en oeuvre qu'à compter du 9 juin suivant, date à laquelle le juge des libertés et de la détention avait lui-même autorisé le recours à ces mesures.

21. Enfin, le grief qui reproche à la chambre de l'instruction de ne pas avoir vérifié notamment si l'accès aux données était, au regard des circonstances de l'espèce, limité à ce qui était strictement justifié par les nécessités de l'enquête est nouveau et mélangé de fait.

22. Ainsi, le moyen, inopérant en sa première branche et irrecevable en sa seconde, doit être écarté.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et constaté la régularité de la procédure pour le surplus, alors « que l'anonymisation d'un témoignage obéit à un formalisme rigoureux, défini aux articles 706-57 et suivants du code de procédure pénale, qui ne saurait être éludé par les enquêteurs au moyen de la rédaction d'un procès-verbal de « renseignement » ; que si n'entre pas dans les prévisions de ces articles le procès-verbal dressé par un officier de police, avant tout acte d'enquête, qui se borne à consigner les déclarations spontanées d'une personne sans l'interroger, c'est toutefois à la condition que ces déclarations ne constituent qu'un simple renseignement permettant de mettre en marche l'enquête, et non une information dont l'étendue et la précision est de nature à justifier des mesures d'investigation nombreuses ; que doivent dès lors être annulés les procès-verbaux dits « de renseignement » dont le but et l'objet est de retranscrire avec précision le témoignage anonyme d'une personne en se soustrayant au formalisme spécifique des articles 706-57 et suivants ; qu'au cas d'espèce, les procès-verbaux litigieux faisaient état de nombreuses informations précises et circonstanciées, constatées par la chambre de l'instruction, parmi lesquelles l'existence d'un réseau d'achat-revente de produits de la marque [1], le surnom d'un cadre de ce réseau, son numéro de téléphone et l'immatriculation d'un scooter lui appartenant, le mode opératoire détaillé du réseau, le nom d'un client important du réseau et son numéro de téléphone, le revenu estimé du réseau, le mode opératoire du blanchiment supposé des revenus générés par le réseau et l'adresse des locaux utilisés par le réseau ; que ces informations recouvraient l'ensemble des éléments nécessaires à la poursuite des infractions dénoncées, de sorte que leur étendue et leur précision justifiait que le témoin anonyme soit entendu dans les formes des articles 706-57 et suivants du code de procédure pénale et non que ses déclarations soient simplement retranscrites sur de simples procès-verbaux « de renseignement » ; que la défense était dès lors fondée à obtenir l'annulation de ce procès-verbal, caractérisant un détournement de procédure ; qu'en retenant toutefois, pour rejeter ce moyen de nullité, que les articles 706-57 et suivants du code de procédure pénale n'étaient pas applicables aux procès-verbaux litigieux, quand les règles posées par ces articles ne sauraient être contournées par l'établissement de « procès-verbaux de renseignements anonymes », la chambre de l'instruction a violé les articles 6, §1, de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 706-57, 706-58, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

24. Pour rejeter la demande d'annulation du procès-verbal de saisine recueillant un renseignement anonyme, l'arrêt attaqué énonce, en substance, que ce procès-verbal ne s'analyse pas en une audition, seules les déclarations spontanées de l'informateur y étant retranscrites.

25. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

26. En premier lieu, le procès-verbal dressé par un officier de police, avant tout acte d'enquête, qui se borne, comme en l'espèce, à consigner les déclarations spontanées d'une personne sans l'interroger, n'entre pas dans les prévisions des articles 706-57 et suivants du code de procédure pénale.

27. En second lieu, un tel acte est dépourvu de force probante et a pour seul objet de fournir des renseignements destinés à permettre des investigations ultérieures ou à en faciliter l'exécution, lesdites investigations pouvant être contestées par la personne mise en examen tant sur leur régularité devant la chambre de l'instruction que sur leur valeur probante devant la juridiction de renvoi.

28. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

29. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [G] [O] devra payer à la société [3] et à la société [2] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille vingt-trois.

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