22 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-80.213

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00506

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Détention provisoire - Calcul du délai du mandat de dépôt - Point de départ - Cas - Personne placée sous mandat de dépôt délictuel, remise en liberté puis mise en examen supplétivement pour des faits criminels

Il se déduit de l'article 145-2 du code de procédure pénale que, lorsqu'une personne ayant déjà été placée sous mandat de dépôt pour des faits délictuels est, dans la même information, mise en examen supplétivement pour des faits nouveaux, mais antérieurs à son placement en détention, entraînant une qualification criminelle, le délai d'un an commence à courir à compter de la date du mandat de dépôt initial

Texte de la décision

N° P 23-80.213 F-B

N° 00506


RB5
22 MARS 2023


CASSATION SANS RENVOI


M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 MARS 2023



Mme [B] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 5 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de tentative de vol avec violence ayant entraîné la mort, non-empêchement d'un crime ou d'un délit contre l'intégrité physique et non-dénonciation de crime, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de Mme [B] [O], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mise en examen des chefs de non-empêchement d'un crime ou d'un délit contre l'intégrité physique et non-dénonciation de crime, Mme [B] [O] a été placée en détention provisoire du 23 juillet au 22 novembre 2021.

3. Le 29 mars 2022, après avoir été mise en examen de manière supplétive du chef de tentative de vol avec violence ayant entraîné la mort, elle a été placée à nouveau en détention par un mandat de dépôt criminel.

4. Par ordonnance du 15 décembre 2022, le juge des libertés et de la détention a rejeté une demande de mise en liberté.

5. L'intéressée a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance ayant rejeté la demande de mise en liberté de Mme [O], alors :

« 1°/ que, s'il apparaît au cours de l'information que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime, et que le juge d'instruction substitue ou ajoute une qualification criminelle à la qualification initialement retenue, fût-ce au moyen d'une mise en examen supplétive, le mandat de dépôt initialement délivré est considéré comme un mandat de dépôt criminel et les délais prévus pour la prolongation de la mesure sont calculés à compter de la délivrance de ce premier mandat ; qu'initialement mise en examen pour des faits délictuels et placée en détention provisoire pour une durée de quatre mois, Mme [O] a été, après avoir été remise en liberté, mise en examen supplétivement pour des faits criminels et un nouveau mandat de dépôt criminel a été délivré ; qu'en jugeant, pour confirmer le rejet de la demande de mise en liberté de Mme [O], que les faits objets de la seconde mise en examen sont nettement distincts de ceux objet de la première et qu'il n'y a donc pas lieu de tenir compte, pour la computation du délai de l'article 145 du code de procédure pénale, des quatre mois de détention exécutés sur le mandat de dépôt délictuel antérieur, lorsque ce premier mandat devait, à raison du caractère supplétif de la mise en examen du 29 mars 2022, être considéré comme un mandat de dépôt criminel et que la prolongation de la détention devait être calculée en tenant compte de la détention provisoire effectuée par Madame [O] de ce chef, donc à compter de la délivrance du premier mandat délictuel, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a méconnu les articles 118, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ en confirmant le rejet de la demande de mise en liberté de Mme [O] aux motifs erronés qu'il n'y a pas lieu de tenir compte, pour la computation du délai de l'article 145 du code de procédure pénale, des quatre mois de détention exécutés sur le mandat de dépôt délictuel antérieur, lorsque ce premier mandat devait être considéré comme un mandat de dépôt criminel et que la prolongation de la détention devait être calculée en prenant en compte la durée de la détention provisoire effectuée de ce chef et donc à compter de la délivrance du mandat initial, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, qui a ainsi prolongé la détention de Mme [O] au-delà de la durée maximale à laquelle elle pouvait être soumise, a méconnu le droit à la sûreté tel qu'il est garanti par l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble les articles préliminaire, 118, 145, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145-2 du code de procédure pénale :

7. Il se déduit de cet article que, lorsqu'une personne ayant déjà été placée sous mandat de dépôt pour des faits délictuels est, dans la même information, mise en examen supplétivement pour des faits nouveaux, mais antérieurs à son placement en détention, entraînant une qualification criminelle, le délai d'un an commence à courir à compter de la date du mandat de dépôt initial.

8. Pour confirmer l'ordonnance ayant rejeté la demande de mise en liberté, l'arrêt attaqué relève que Mme [O], initialement mise en examen des chefs de non-empêchement d'un crime ou d'un délit contre l'intégrité physique et non-dénonciation de crime, a été mise en examen de manière supplétive du chef de tentative de vol avec violence ayant entraîné la mort, qualification criminelle, et que c'est sur la base de cette infraction qu'elle a été placée sous mandat de dépôt criminel le 29 mars 2022.

9. Les juges ajoutent que, dès lors qu'il s'agit d'une mise en examen supplétive sur le fondement de faits nouveaux, il n'y a pas lieu de tenir compte, pour la computation du délai de l'article 145-2 du code de procédure pénale, des quatre mois de détention exécutés, dans la même information, sur le fondement d'un mandat de dépôt délictuel.

10. Ils en déduisent que le mandat de dépôt criminel ayant été prononcé pour une durée d'un an, il court jusqu'au 28 mars 2023 et la détention de Mme [O] a pu se poursuivre au-delà du 29 novembre 2022 sans être arbitraire.

11. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

13. Mme [O] doit être remise en liberté, si elle n'est détenue pour autre cause.

14. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.

15. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que Mme [O] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

16. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin :

- d'empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que ceux-ci ont des versions divergentes des faits ;

- de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, en ce que Mme [O], sans domicile personnel et sans emploi, ne présente pas de garanties de représentation et que, lors de son précédent placement sous contrôle judiciaire, il a fallu recourir à un mandat d'arrêt et à une enquête pour la retrouver alors qu'elle était en fuite ;

- de mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement, en ce que, avant son incarcération, Mme [O] n'avait pas surmonté son addiction aux produits stupéfiants et qu'il y a un risque sérieux qu'elle bascule dans des activités illicites ; qu'il ressort de l'expertise psychologique réalisée dans le cadre de l'information qu'elle adopte une position de déresponsabilisation ; que lorsqu'elle a été placée une première fois sous contrôle judiciaire, elle a été arrêtée à [Localité 6] dans la rue où les faits se sont déroulés à proximité des zones de trafic de crack.

17. Afin d'assurer ces objectifs, Mme [O] sera astreinte à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.

18. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 5 janvier 2023 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONSTATE que Mme [O] est détenue sans titre depuis le 28 novembre 2022 dans la présente procédure ;

ORDONNE la mise en liberté de Mme [O] si elle n'est détenue pour autre cause ;

ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de Mme [O] ;

DIT qu'elle est soumise aux obligations suivantes :

- Ne pas sortir des limites territoriales suivantes : la France métropolitaine ;

- Ne pas se rendre à [Localité 6] (sauf convocations de justice ou rendez-vous avec son conseil) ;

- Ne s'absenter de son domicile ou de la résidence, qu'il convient de fixer chez Madame [D] [O], [Adresse 4] qu'aux conditions et pour les motifs suivants : chaque jour de 8 heures à 19 heures ;

- Se présenter le premier jour ouvrable suivant sa mise en liberté et ensuite, chaque lundi, au commissariat de [Localité 5], [Adresse 3] ;

- Répondre aux convocations de l'Association de contrôle judiciaire socio-éducatif (ACJUSE), [Adresse 2] et se soumettre aux mesures de contrôle portant sur ses activités professionnelles ou sur son assiduité à un enseignement ainsi qu'aux mesures socio-éducatives destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l'infraction ;

- Remettre au greffe du tribunal judiciaire de Paris, 6e étage, heures d'ouverture : de 10 heures à 12 heures 30 et de 14 heures à 16 heures, sur rendez-vous pris par téléphone au [XXXXXXXX01], tous documents justificatifs d'identité et son passeport en échange d'un récépissé valant justification de l'identité ;

- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d'entrer en relation, de quelque façon que ce soit, avec les personnes suivantes : MM. [P] [Y] alias [J] et [T] [K] alias [N] ;

- Ne pas détenir ou porter une arme ;

DESIGNE, pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus, le commissaire de police de [Localité 5] ;

DIT que le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale ;

RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.

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