22 mars 2023
Cour d'appel de Nancy
RG n° 22/00186

5ème Chambre

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE



ARRÊT N° /23 DU 22 MARS 2023





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/00186 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E5DI



Décision déférée à la Cour :

jugement du Tribunal de Commerce de NANCY, R.G. n° 2021.006197, en date du 10 janvier 2022,



APPELANTE :

S.A. AXA FRANCE IARD prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, [Adresse 2] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 722 057 460

Représentée par Me Amandine THIRY, avocat au barreau de NANCY

Avocat plaidant : Me Marc SCHRECKENBERG avocat au barreau de Strasbourg





INTIMÉE :

S.A.R.L. SOLERA RESTAURATION, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Nancy sous le numéro 390 725 398

Représentée par Me Frédéric BARBAUT de la SELARL MAITRE FREDERIC BARBAUT, avocat au barreau de NANCY



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de Chambre chargé du rapport et Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller ;



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre,

Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,

Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.



A l'issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2023, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;



ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 22 Mars 2023, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;



signé par Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de chambre, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;



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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à


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FAITS ET PROCEDURE



La société Solera Restauration exploite un commerce de restaurant à l'enseigne « Il Ristorante», sis [Adresse 1].



Elle a souscrit auprès la société AXA France Iard un contrat d'assurance «multirisque petites et moyennes entreprises » n°5592003004.



Les conditions particulières comportent une clause relative à la garantie au titre de la «perte d'exploitation suite à fermeture administrative ' ainsi rédigée : « la garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :



1) La décision de fermeture administrative a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même ;

2) La décision de fermeture administrative est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».(...)

Sont exclues les pertes d'exploitation lorsque, à la date de décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique ».



En application des dispositions des arrêtés des 14 et 15 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la prorogation du virus covid-19, la société Solera Restauration a été tenue de fermer son établissement.



L'interdiction de recevoir du public a été reconduite successivement jusqu'au 2 juin 2020.



La société Solera Restauration a demandé l'application de l'application de la garantie perte d'exploitation auprès de son assureur.



Ce dernier ayant dénié sa garantie, la société Solera Restauration a saisi le tribunal de commerce de Nancy qui par jugement 10 janvier 2022, a considéré qu'il était bien fondé dans sa demande d'indemnisation au titre des pertes d'exploitation subies.



Le Tribunal a accordé une provision d'un montant de 100.000 € et a ordonné une expertise judiciaire pour chiffrer le montant précis des pertes d'exploitation.



Par déclaration au greffe du 25 janvier 2022, la société AXA France Iard a interjeté appel de ce jugement.



Selon dernières conclusions visées le 6 décembre 2022, la société AXA France Iard sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande de :



- juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce ;

- juger que cette clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du Code des assurances ;

- juger que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité de l'article L. 113-1 du Code des assurances et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle de sa substance au sens de l'article 1170 du Code civil ;

En conséquence :

- débouter la société Solera Restauration de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre et le condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 10 Janvier 2022 ;

- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le Tribunal de commerce de Nancy ;

A titre subsidiaire,

- ordonner la fixation de la mission de l'Expert désigné par le Tribunal de commerce de Nancy comme suit :

* Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'assuré et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années ;

*Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;

* Examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable ;

* Donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées ;

* Donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée ;

* Donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars et le 29 octobre 2020,

En tout état de cause,

- débouter l'assurée de toutes demandes et de son appel incident ;

- condamner l'assurée à lui payer à la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.



Selon dernières conclusions notifiées le 8 novembre 2022 la société Solera Restauration sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf sauf en ce qu'il a constaté que la clause d'exclusion de garantie insérée au contrat répond au prescrit de l'article L. 113-1 du Code des assurances et qu'elle n'est pas de nature à vider la garantie de sa substance et statuant à nouveau sur ce point de :



- prononcer la nullité de la clause d'exclusion de la garantie pour pertes d'exploitation liée à la fermeture administrative de l'établissement de l'assuré en raison d'une épidémie prévue aux conditions particulières du contrat d'assurance,

- en tout état de cause, déclarer n'y avoir lieu à application de la clause d'exclusion de la garantie pour pertes d'exploitation liée à la fermeture administrative de l'établissement de l'assuré en raison d'une épidémie, soit du fait que ladite clause n'a pas vocation à s'appliquer aux circonstances d'espèce, soit de fait de l'annulation de ladite clause.

- condamner la société AXA France Iard à l' indemniser pour les pertes d'exploitation liées à la fermeture administrative de son établissement en raison de l'épidémie de Covid-19, sur les périodes du 14 mars au 2 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 30 juin 2021.

Y rajoutant,

- condamner la société AXA France Iard à lui payer une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



En application de l' article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions précédemment visées.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2023.




MOTIFS DE LA DECISION



Il n'est pas contesté que la fermeture de l'établissement de la société Solera Restauration remplit les conditions prévues par les conditions de la garantie pour perte d'exploitation, mais les parties sont en désaccord sur l'application de la clause d'exclusion selon laquelle 'sont exclues les pertes d'exploitation lorsque, à la date de décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique ».



Sur la validité de la clause d'exclusion au regard de l'article 1170 du code civil



Aux termes de l'article 1170 du code civil, toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.





La société Solera Restauration fait valoir que la société AXA France Iard ne peut pas tout à la fois garantir les pertes d'exploitation en raison d'une fermeture administrative conséquence d'une épidémie, et exclure sa garantie si un autre établissement, sur le même territoire départemental, fait l'objet de la même mesure pour une cause identique dès lors que de fait, la définition même d'une épidémie laisse entendre que si un établissement est touché, d'autres le seront nécessairement, notamment au sein du même département.



En application des dispositions précitées une clause d'exclusion ne peut aboutir à annuler dans sa totalité la garantie stipulée.



Or, la garantie ne couvre pas uniquement le risque de pertes d'exploitation consécutives à une épidémie, mais inclut les pertes consécutives à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.



La clause d'exclusion laisse dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances et elle n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance.



Sur la nullité de la clause au regard de l'article L 113-1 du code des assurances



Aux termes de l'article L 113-1 du code des assurances, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.



La société Solera fait valoir que la clause d'exclusion doit être suffisamment précise pour savoir dans quelles circonstances il ne sera pas garanti et que le simple constat qu'une interprétation est nécessaire pour déterminer les événements que les parties ont entendu exclure du champ de la garantie ne satisfait pas à l'exigence de clarté requise par les dispositions précités.



Elle soutient que le terme épidémie n'est pas défini dans le contrat d'assurances, que dans le cadre du contentieux relatif au contrat d'assurance litigieux, la société AXA France Iard verse aux débats des consultations de professeurs de médecine afin de démontrer que le terme, contrairement au sens retenu de façon générale, pourrait ne toucher qu'un seul établissement et que la compagnie d'assurances a depuis lors imposé à ses assurés un avenant ayant déterminé avec précision notamment le terme épidémie, ce qui implique que l'exclusion n'était pas définie précisément par le contrat.



Toutefois le terme d'épidémie n'est pas présent dans la clause d'exclusion, puisque la circonstance particulière de réalisation du risque qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie n'est pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'exclusions de garantie.



L'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était donc sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait.



La société Solera Restauration ajoute que ne satisfont pas non plus aux conditions de validité énoncées par l'article L. 113-1 du Code des assurances les exclusions qui vident de sa substance la garantie prétendument fournie par la police.



Toutefois ainsi qu'il a été précédemment retenu au titre de l'application de l'article 1170 du code civil, la clause d'exclusion laisse dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à d'autres causes, à savoir une maladie contagieuse, meurtre, suicide, épidémie ou intoxication ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, de sorte qu'elle n'est pas illimitée.



Sur l'application de la clause d'exclusion



La société Solera Restauration fait valoir que l'application de cette clause implique l'existence d'une fermeture d'un autre établissement , antérieure à celle de l'assuré, et pour la même cause et qu'en l'espèce il ne s'agit pas de la fermeture antérieure d'un autre établissement, mais de fermetures simultanées, en application de l'arrêté ministériel.



Le tribunal a effectivement retenu qu'il appartenait à la société AXA France Iard de démontrer qu'à la date de fermeture au moins un établissement faisait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique puisque les autres établissements ont été fermés au même instant par la même décision administrative et qu'ainsi la clause n'est pas applicable.



Toutefois la clause, rédigée au présent et non au passé ne comporte aucune condition d'antériorité dans la fermeture de l'autre établissement et la simultanéité des fermetures par application de l'arrêté du 14 mars 2020 ne fait pas obstacle à l'application de la clause d'exclusion.



Il en résulte que la clause d'exclusion était applicable et le jugement sera donc infirmé dans l'ensemble de ses dispositions, la société Solera Restauration étant déboutée de l'intégralité de ses demandes.



Le présent arrêt valant titre pour le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire de la décision, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande formée par la société AXA France Iard à ce titre.



Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société AXA France Iard les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.



PAR CES MOTIFS :



LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,



INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a constaté que 'la clause d'exclusion de garantie insérée au contrat souscrit répond au prescrit de l'article L 113-1 du code des assurances et qu'elle n'est pas de nature à priver la garantie de sa substance',



Statuant à nouveau des chefs infirmés,



DEBOUTE la société Solera de l'intégralité de ses demandes.



DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE la société Solera aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.



Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre, à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,





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