21 mars 2023
Cour d'appel de Montpellier
RG n° 22/02996

Chambre commerciale

Texte de la décision

AFFAIRE :



Société FRUTAS HORTALIZAS ORGANICAS



C/



S.A. CMA CGM









































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Chambre commerciale



ARRET DU 21 MARS 2023





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/02996 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PODD



Décisions déférées à la Cour ;



Arrêt de la Cour de Cassation de PARIS en date du 23 Mars 2022, enregistré sous le n° 219 FS-B+R qui casse et annule l'arrêt de la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE du 07 Mars 2019, enregistré sous le n° 16/08617 statuant sur appel du jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLEen date du 18 Mars 2016 enregistré sous le n° 2013FO1274



Vu l'article 1037-1 du code de procédure civile ;



DEMANDERESSE A LA SAISINE:



Société FRUTAS HORTALIZAS ORGANICAS DE MICHOACAN MEXICO ( FHROMIMEX) société de droit mexicain prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au dit siège social

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2] MEXICO

MEXIQUE

Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Noémie LALANDE, avocat au barreau de PARIS substituant Me Xavier SKOWRON GALVEZ, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant





DEFENDERESSE A LA SAISINE



S.A. CMA CGM prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège social

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Marie Pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me André JEBRAYEL, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant





ORDONNANCE DE CLOTURE DU 17 JANVIER 2023





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 24 JANVIER 2023,en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 805 du code de procédure civile, devant la cour composée de :



Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller

M. Thibault GRAFFIN, Conseiller

qui en ont délibéré.



Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO



ARRET :



- Contradictoire ;



- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;



- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre et par Madame Audrey VALERO, Greffière.




*

* *



FAITS, PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:



La société de droit mexicain Frutas y hortalizas organicas de Michoacan Mexico (la société FrHoMiMex) a pour activité principale l'exportation et le commerce de produits d'origine biologique, dont avocats, oranges et mangues.



La SA CMA CGM est une société spécialisée dans le transport maritime.



Selon un waybill (lettre de transport maritime) MX1362724, émis à Mexico City, en date du 15 août 2012, la société CMA CGM a transporté, sur le navire HS Bach, un conteneur, 40' immatriculé CGMU9298809, disant contenir des avocats [T], empoté par le chargeur, la société FrHoMiMex, depuis Altamira (Mexique) jusqu'à [Localité 3] (Pays-Bas).



Selon un waybill MX1364094, émis à Mexico City, en date du 29 août 2012, la société CMA CGM a transporté, sur le navire CSAV Rauten, un conteneur 40' immatriculé MNGU3304997, disant contenir des avocats [T], empoté par le même chargeur depuis Altamira jusqu'à [Localité 3].



Selon un waybill MX1364445, émis à Mexico City, en date du 5 septembre 2012, la société CMA CGM a transporté, sur le navire Centaurus, un conteneur 40' immatriculé CGMU7501835, disant contenir des avocats [T], empoté par le même chargeur depuis Altamira jusqu'à [Localité 3].



Les 12 août, 25 août et 1er septembre 2012, la société de droit mexicain Jamit a réalisé une inspection des cargaisons réfrigérées émettant, dans ce cadre, un relevé de température d'une moyenne respective de 7,3° C, 6,9°C et de 6,9°C.



Ces cargaisons ont été livrées au commissionnaire de la société FrHoMiMex, la société de droit néerlandais Organic Trade Company (OTC) Holland, au port de [Localité 3] pour le conteneur CGMU 9298809 (navire HS Bach) 1e 5 septembre 2012, pour le conteneur MGNU 3304997 (navire CSAV Rauten) 1e 20 septembre 2012 et pour le conteneur CGMU 7501835 (navire Centaurus) le 27 septembre 2012.



Les rapports de contrôle qualité de chaque cargaison en date des 6, 20 et 27 septembre 2012, décrivent des avocats mous, avec des signes de pourrissement ou des signes de maturation avancée et les rapports de vente établis par la société OTC Holland font état de pertes eu égard à un prix de vente moindre que le prix initialement fixé (9,50 euros ou 10,50 euros par colis remplacés par 1,5 euros, 2 ou 3 euros par colis).





La société CMA CGM a désigné un expert, le cabinet BMT de Beer, qui a procédé à ses opérations le 7 septembre 2012 en présence du cabinet d'expert Verzijden, représentant le commissionnaire de la société FrHoMiMex.



Saisi par acte d'huissier en date du 7 mars 2013 délivré par la société FrHoMiMex aux fins d'indemnisation au titre des dommages subis par chacun des conteneurs, le tribunal de commerce de Marseille a, par jugement du 18 mars 2016, déclaré recevable son action et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre de la présomption de livraison conforme pour les conteneurs CGMU 9298809 et MGNU 3304997 et du cas exonératoire de responsabilité (article 4.2 (n) de la convention de Bruxelles) pour le conteneur CGMU 7501835.



Saisi d'un appel interjeté le 11 mai 2016, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, par un arrêt du 7 mars 2019, infirmé le jugement et déclaré irrecevable l'action de la société FrHoMiMex, considérant qu'en tant que chargeur, elle devait démontrer être seule à avoir supporté les dommages résultant du transport.



Cette dernière a formé un pourvoi, donnant lieu à un arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation en date du 23 mars 2022, cassant et annulant l'arrêt du 7 mars 2019 et renvoyant les parties devant la cour de Montpellier aux motifs que :

'- vu l'article 31 du code de procédure civile,

3- Il résulte de ce texte que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action. En conséquence, le chargeur, partie au contrat de transport maritime, est recevable à agir en responsabilité contre le transporteur maritime, en invoquant le préjudice qu'il subit du fait d'une avarie de transport, la preuve de l'existence de ce préjudice n'étant que la condition du succès de son action en réparation. En outre, le chargeur tenant son droit d'action en responsabilité contractuelle du contrat de transport et non du document qui le constate, il n'y a pas lieu, pour apprécier l'ouverture de ce droit, de distinguer selon que le transport a donné lieu à l'émission d'un connaissement ou d'une lettre de transport maritime, ni selon que le chargeur est identifié ou non sur ces documents,

4- Pour déclarer irrecevable l'action de la société FrHoMiMex, l'arrêt retient que cette dernière, agissant en qualité de chargeur aux trois « waybills » (lettres de transport maritime), peut agir en indemnisation pour les avaries subies par les avocats contre le transporteur maritime, la société CMA CGM, mais à la condition d'avoir subi un préjudice et d'en justifier, même si elle n'a pas été la seule victime. Puis, il relève que les trois factures de vente émises par la société FrHoMiMex envers la société OTC ainsi que les trois comptes de vente établis par celle-ci à l'égard de celle-là ne démontrent aucunement que les avaries à la marchandise sont supportées, même partiellement, par la société FrHoMiMex, faute pour cette dernière de communiquer des pièces relatives aux flux financiers entre elle et la société OTC.

5-. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.'



Désignée comme juridiction de renvoi, cette cour a été saisie par la société FrHoMiMex par déclaration reçue le 27 mai 2022.



Cette dernière demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 22 septembre 2022, de :

«- vu la convention de Bruxelles du 25 août 1924 modifiée par le protocole du 23 février 1968, les articles 1147 ancien et 1240 du Code civil, les articles 31, 696 et 700 du Code de procédure civile, (...)

- Dire qu'elle est recevable en son action et en conséquence (...), confirmer le jugement ('),

- Dire qu'elle est bien fondée en son action et en conséquence (...), infirmer le jugement (...) en ce qu'il l'en a déboutée,

- Statuant de nouveau sur l'action en indemnisation (...) :

- Condamner la société CMA CGM à lui verser à titre de dommages et intérêts pour pertes sur ventes, les sommes suivantes :

- 54.449,00 euros, augmentée des intérêts de droits à compter du 7 mars 2013 (date de l'assignation), outre capitalisation annuelle.

- 29.693,58 euros, augmentée des intérêts de droits à compter du 7 mars 2013 (date de l'assignation), outre capitalisation annuelle.

- 37.856,80 euros, augmentée des intérêts de droits à compter du 7 mars 2013 (date de l'assignation), outre capitalisation annuelle.

- Condamner la société CMA CGM à lui verser à titre de dommages et intérêts pour préjudice résultant de sa résistance abusive la somme globale de 20.000 euros,

- En tout état de cause, condamner la société CMA CGM à lui verser la somme de 13.000,00 euros à titre d indemnisation de ses frais irrésistibles et (...) aux dépens.»



Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- s'agissant d'un transport 'door to port', le transporteur a réceptionné les marchandises sur le site d'exploitation ([5]), les contrôlant par le biais de la société Jamit avant leur empotage (par elle-même) et indiquant qu'elles sont saines et fraîches avant de les acheminer (transports terrestre et maritime) jusqu'à [Localité 3],

- les avocats sont une marchandise sensible au facteur ambiant et doivent être transportés dans des containers réfrigérés, non ventilées, sous une atmosphère contrôlée concernant les niveaux d'oxygène et de dioxyde de carbone,

- lors de son arrivée au port de [Localité 3], la marchandise présentait les caractéristiques de fruits endommagés par les niveaux de dioxyde de carbone, trop faibles lors du transport,

- les titres de transport ne contiennent nullement une cause exonératoire de responsabilité postérieurement au déchargement de la marchandise (clause 6), au surplus, il n'est pas démontré que les avaries sont survenues entre le déchargement et la livraison,

- les réserves concernant le navire HS Bach ont été émises à l'arrivée dans les formes et délais requis ; la société OTC Hollande, ayant dès le 6 septembre 2012, formé une réclamation (doute sur la qualité du fait d'une température défectueuse) auprès de la société CMA CGM, elles concernent bien, malgré l'erreur manifeste de numéro, le conteneur contenant les avocats (et non un conteneur toujours en cours de transport),

- au surplus, ces réserves ont été reprises dans le rapport d'expertise établi à la demande de la société CMA CGM ; l'état de la marchandise ayant, ainsi, été constaté contradictoirement, elles n'étaient pas nécessaires,

- au demeurant, l'avarie de la marchandise découle d'un mauvais réglage de l'atmosphère contrôlée et non d'un empotage de fruits trop chauds ; le rapport d'expertise du cabinet BMT de Beer ne se fonde que sur des hypothèses pour mentionner un état de pré-chargement non conforme alors que le transporteur n'a émis aucune réserve quant à l'emballage et avait lui-même contrôlé la marchandise avant le chargement le 12 août 2012 (contrôle de la société Jamit sous mandat de la société CMA CGM),

- le rapport d'expertise du cabinet BMT de Beer concernant le conteneur du navire HS Bach indique que les fruits ont été affectés par des températures élevées (entre 8 et 9 °C à compter du 12 août au lieu de 7,5 °C) et par un niveau de dioxyde de carbone inférieur au niveau requis (2 % à compter du 15 août au lieu de 5 %),

- concernant le conteneur du navire Rauten, si la réclamation est tardive et la présomption de responsabilité doit être écartée, l'état de la marchandise à l'arrivée au port démontre qu'elle a subi pareillement un niveau de dioxyde de carbone ou d'oxygène impropre à sa conservation pendant le transport,

- concernant le conteneur du navire Centaurus, les réserves ont été émises dans le délai, la livraison n'était pas conforme et aucune faute ne peut être reprochée au chargeur du fait de l'emballage en l'absence de réserve du transporteur lors de la prise en charge du conteneur,

- de même, le transporteur n'établit pas que les dommages constatés résultent d'un emballage défectueux,

- elle justifie de son préjudice à l'appui de ses factures, comptes de vente du commissionnaire et du cours de l'avocat biologique sur le marché de [Localité 4] en août-septembre 2012,

- le transporteur résiste abusivement à la déclaration de sa responsabilité.



Formant appel incident, la société CMA-CGM sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 9 novembre 2022:

«- (') A titre principal, sur le fond, confirmer le jugement entrepris,

- Juger qu'elle bénéficie d'une présomption de livraison conforme pour les conteneurs CGMU9298809 (navire HS Bach/waybill MX1362724) et MGNU 3304997 (navire Rauten/waybill MX1364094) ;

- Juger que la société FrHoMiMex ne démontre pas sa responsabilité pour les conteneurs CGMU9298809 (navire HS Bach/waybill MX1362724) et MGNU 3304997 (navire Rauten/waybill MX1364094) ;

- En conséquence, la mettre hors de cause,

- Débouter la société FrHoMiMex de sa demande de condamnation pour l'indemnisation des préjudices sur les conteneurs CGMU9298809 (navire HS Bach/waybill MX1362724) et MGNU 3304997 (navire Rauten/waybill MX1364094) ;

- Confirmer le jugement du tribunal sur ce point,

- Sinon et en tout état de cause, juger qu'elle bénéficie des cas exceptés exonératoires de l'article 4.2 [i] et [m] de la Convention de Bruxelles de 1924;

- Sinon, juger qu'elle bénéficie du cas excepté exonératoire de responsabilité prévu à l'article 4.2 [q] de la Convention de Bruxelles ;

- L'exonérer de plus fort de toute responsabilité pour les dommages allégués sur les marchandises dans les conteneurs CGMU9298809 (navire HS Bach/waybil1MX1362724) et MGNU 3304997 (navire Rauten/waybill MX1364094) ;

- Débouter de plus fort la société FrHoMiMex de sa demande de condamnation pour l'indemnisation des préjudices sur les conteneurs CGMU9298809 (navire HS Bach/waybill MX1362724) et MGNU 3304997 (navire Rauten/waybill MX1364094) ;



- Juger qu'elle bénéficie d'une présomption de livraison conforme pour le conteneur CGMU 7501835 (navire CSAV Centaurus/waybill MX1364445) ;

- Infirmer le jugement du tribunal en ce qu'il ne lui a pas accordé le bénéfice de la présomption conforme et la mettre hors de cause,

- Juger que la société FrHoMiMex ne démontre pas sa responsabilité pour le conteneur CGMU 7501835 (navire CSAV Centaurus/waybill MX1364445) ;

- Débouter la société FrHoMiMex sa demande de condamnation pour l'indemnisation du préjudice sur le conteneur CGMU 7501835 (navire CSAV Centaurus/waybill MX1364445);

- Sinon et en tout état de cause, juger qu'elle bénéficie du cas excepté exonératoire de responsabilité prévu a l'article 4.2 [n] de la Convention de Bruxelles ;

- Confirmer le jugement du tribunal en ce qu'il a débouté la société FrHoMiMex de sa demande de condamnation pour l'indemnisation du préjudice sur le conteneur CGMU 7501835 (navire CSAV Centaurus/waybill MX1364445) ;

- Sinon, juger qu'elle bénéficie des cas exceptés exonératoires de responsabilité prévus à l'article 4.2 [i] sinon [q] de la Convention de Bruxelles ;

- Débouter de plus fort la société FrHoMiMex de sa demande de condamnation pour l'indemnisation du préjudice sur le conteneur CGMU 7501835 (navire CSAV Centaurus/waybill MX1364445 ;



- Sinon, subsidiairement,juger que la société FrHoMiMex ne justifie pas avoir seule subi le préjudice allégué ;

- juger non justifié 1e quantum du préjudice allégué par la société FrHoMiMex,

- En conséquence, débouter de plus fort la société FrHoMiMex de l'ensemble de ses demandes(...);



- Débouter la société FrHoMiMex de sa demande de dommages et intérêts au titre d'une prétendue résistance abusive ;



- Condamner la société FrHoMiMex à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.'



Elle expose en substance que :

- si le chargeur est recevable à agir, il doit démonter, pour être indemnisé, avoir effectivement supporté un dommage,

- la clause 6 du connaissement prévoit que le transporteur n'est pas responsable si la perte ou le dommage est résulté avant le chargement ou après le déchargement conformément à l'article 7 de la Convention de Bruxelles, le transport, selon l'article 1.e, couvrant le temps écoulé depuis le chargement des marchandises à bord jusqu'à leur déchargement,

- les waybills produits par l'appelante ne contiennent pas le verso sur lequel figure cette clause, qui lui est opposable (deux feuilles et non deux pages), cette clause n'est pas une clause exonératoire, s'agissant seulement de déterminer la période de responsabilité du transporteur et figure au verso de tous les connaissements et waybills de la société CMA-CGM,

- la présomption de livraison conforme s'applique pour chaque expédition,

- concernant l'expédition du navire HS Bach, aucune réserve conforme n'a été émise, la lettre du 6 septembre 2012 ne vise aucun dommage, ni aucune précision circonstanciée, elle vise un autre navire, un autre conteneur et un autre waybill, le rapport d'expertise ne les mentionne pas et les échanges entre le chargeur et le commissionnaire ne la concernent pas,

- concernant l'expédition du navire Rauten, les documents transmis l'ont été après l'expiration du délai de 3 jours requis,

- concernant le navire Centaurus, le courriel daté du 28 septembre 2012 ne concerne que l'état du conteneur et n'indique ni la nature, ni l'importance des dommages, ces réserves étant trop générales, elle doit bénéficier de la présomption de livraison conforme,

- subsidiairement, sur sa responsabilité, la société Jamit n'a pas agi pour son compte, mais pour celui de la société FrHoMiMex, au demeurant, ses inspections ne sont que des relevés de température et ne permettent pas de connaître la date de récolte des avocats alors que leur durée de conservation n'excède pas trois à quatre semaines,

- les conteneurs ont été pris en charge FCL (full container load), soit un chargement, empotage et comptage par le chargeur, comme l'indiquent les waybills, elle n'a pas contrôlé les marchandises avant empotage, les conteneurs lui ont été remis empotés et plombés, les mentions 'Door to port' ne concernent que les modalités du transport,

- la société FrHoMiMex ne produit aucun rapport d'expertise, mais seulement les rapports qualité établis unilatéralement par le commissionnaire,

- elle produit un rapport d'expertise selon lequel l'état détérioré des fruits est lié à un état de pré-chargement inférieur aux normes et une capacité de refroidissement réduite en raison d'un mode de stockage inapproprié, les fruits présentant de l'anthracnose (maladie post-récolte causée par un champignon présent dès la fleur),

- ces causes constituent une faute du chargeur et relèvent des cas exceptés exonératoires 4.2[i] ou 4.2 [n] tandis que le vice propre des fruits relève du cas excepté 4.2[m], ou à défaut du cas excepté 4.2 [q] relatif à toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur,

- l'ajustement du dioxyde de carbone le 15 août n'a pas affecté les fruits selon l'expert, la société FrHoMiMex ne rapporte pas la preuve de défaillances de température ou atmosphère contrôlée,

- pour le conteneur du navire Rauten, le rapport qualité indique que le conditionnement était 'imbriqué, comprimé, affaissé avec un produit emballé en vrac', ce qui confirme un mauvais empotage,

- pour le conteneur du navire Centaurus, le rapport qualité indique la présence de dommages légers dus à « l'imbrication, la compression, l'affaissement avec un produit emballé en vrac', ce qui confirme encore un mauvais empotage,

- l'appelante ne démontre pas avoir seule supporté les préjudices allégués ; elle ne rapporte pas la preuve qu'elle était propriétaire des marchandises au moment du dommage et que les ventes étaient des ventes à la commission, le calcul devrait se faire sur la base de la valeur du colis à la date d'arrivée du navire (prix de gros) et non sur la base des factures de vente établies par elle-même, auxquelles sont ajoutés des frais et une commission,

- sa responsabilité n'étant nullement établie, aucune résistance abusive n'est rapportée.



Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.



C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 17 janvier 2023.



L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience dans les conditions de l'article 905 du code de procédure civile, conformément à l'article 1037-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 891-2017 du 6 mai 2017.




MOTIFS de la DECISION :



1- sur la présomption de livraison conforme et les réserves :



Les parties sont liées par trois lettres de transports maritime (waybills) pour lesquelles l'application de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement amendée (la Convention de Bruxelles), qui n'est pas discutée (article 2 de cette Convention), celle-ci instituant au profit du transporteur maritime une présomption de conformité des marchandises livrées en l'absence de réserves.



En effet, selon l'article 3 § 6 de la Convention de Bruxelles, à moins qu'un avis de pertes ou dommages et de la nature générale de ces pertes ou dommages ne soit donnée par écrit au transporteur ou à son agent au port de déchargement, avant ou au moment de l'enlèvement des marchandises, et de leur remise sous la garde de la personne ayant droit à la délivrance sous l'empire du contrat de transport, cet enlèvement constituera jusqu'à preuve du contraire, une présomption que les marchandises ont été délivrées par le transporteur telles qu'elles sont décrites au connaissement. Si les pertes ou dommages ne sont pas apparents, l'avis doit être donné dans les trois jours de la délivrance. Les réserves écrites sont inutiles si l'état de la marchandise a été contradictoirement constaté au moment de la réception. En tout cas, le transporteur et le navire seront déchargés de toute responsabilité pour pertes ou dommages, à moins qu'une action ne soit intentée dans l'année de la délivrance des marchandises ou de la date à laquelle elles eussent dû être délivrées. En cas de perte ou dommages certains ou présumés, le transporteur et le réceptionnaire se donneront réciproquement toutes les facilités raisonnables pour l'inspection de la marchandise et la vérification du nombre de colis.



Le "rapport final", en date du 7 septembre 2022, concernant la cargaison du navire HS Bach, établi par le cabinet BMT de Beer, mandaté par la société CMA CGM, et les « rapports sur l'état d'arrivée des avocats » en date des 20 et 27 septembre 2012, relatifs à la cargaison des navires Rauten et Centaurus, dont les constatations effectuées de façon unilatérale par le cabinet Verzidjen (expert cargaison), ne sont pas contestées, établissent que les avocats présentaient, à l'arrivée du premier transport, un état « de détérioration grave » étant « bruns décolorés, tendres à mous, entièrement recouverts de moisissure grise-blanche et pourris au centre de quelques palettes avec un pourrissement ressemblant à des stades avancés de l'anthracnose » et étaient, à l'arrivée des deuxième et troisième transports, plus ou moins pourpres et mous, avec formation de moisissures ou de pourriture.



Il résulte des échanges de courriels en date des 6 et 7 septembre 2012 entre la société OTC Holland (M. [O]), la société CMA CGM (Mme [D] et M. [P]) la société Verzijden (M. [I]) et la société FrHoMiMex (M. [S] [K]) que des réserves ont été formées compte tenu d'un « doute sur la qualité, pouvant être dû à une température défectueuse dans le conteneur» (sic), qui ont donné lieu au rapport établi par le cabinet BMT de Beer le 7 septembre 2012, qui constate les détériorations existantes, relatées ci-dessus, et ce en dépit de l'erreur manifeste de numéro de conteneur, contenue dans les réserves et dépourvue, en l'espèce, d'une quelconque incidence, de sorte que ces réserves sont parfaitement valables et que la présomption de livraison conforme doit être écartée pour le conteneur CGMU 9298809 (waybill MX 1362724) ; la responsabilité du transporteur maritime est présumée.



La société FrHoMiMex reconnaît qu'elle n'a pas formé de réserves dans les formes et délais requis pour la cargaison du navire Rauten ; la livraison est présumée conforme pour le conteneur MGNU 3304997 (waybill 1364094). La présomption de livraison en l'état conforme au waybill bénéficie au transporteur maritime.



La société FrHoMiMex soutient qu'elle a formé, par le biais de la société OTC Hollande, le 28 septembre 2012, des réserves concernant la cargaison du navire Centaurus. Si ces réserves contenues dans un courriel en date du 27 septembre 2012 ne concernent que le « mauvais état » du conteneur, elles ont été complétées le 28 septembre suivant, à la demande même de la société CMA CGM, sollicitant « une enquête sur le mauvais état des fruits », de sorte qu'étant suffisamment précises, la présomption de livraison conforme doit être écartée pour le conteneur CGMU 7501835 (waybill 1364445) et la responsabilité du transporteur maritime est présumée.



2- sur la responsabilité du transporteur maritime :



Si la clause 6 des conditions générales du transporteur CMA CGM est opposable à la société FrHoMiMex par renvoi de chaque lettre de transport à d'autres feuilles du contrat (« other terms and conditions of the contract on page one ») qui comportent les autres termes et conditions de celui-ci, cette clause, qui ne constitue pas une cause exonératoire, est sans incidence en l'espèce eu égard aux dommages constatés, qui ne sont pas rattachés au chargement ou au déchargement des marchandises, étant rappelé que l'article 2 de la Convention de Bruxelles impose au transporteur maritime de procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement (') et au déchargement des marchandises transportées.



L'article 4 § 2 de cette Convention précise que ni le transporteur, ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant (') :

i) D'un acte ou d'une omission du chargeur ou propriétaire des marchandises, de son agent ou représentant ;

m) De la freinte en volume on en poids ou de toute autre perte ou dommage résultant de vice caché, nature spéciale ou vice propre de la marchandise ;

n) D'une insuffisance d'emballage ;

q) De toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou du fait ou de la faute des agents ou préposés du transporteur, mais le fardeau de la preuve incombera à la personne réclamant le bénéfice de cette exception et il lui appartiendra de montrer que ni la faute personnelle, ni le fait du transporteur, ni la faute ou le fait des agents ou préposés du transporteur n'ont contribué à la perte ou au dommage.



Le transporteur maritime supporte la charge de la preuve des éléments constitutifs du cas excepté, qu'il allègue, et du lien de cause à effet entre ce cas excepté et les dommages subis par la marchandise.





Il est établi que les trois transports ont été effectués selon les trois waybills, sur la base d'un chargement « FCL (Full container load) », c'est-à-dire que le chargeur a lui-même empoté le conteneur et l'a remis plombé au transporteur, de sorte que l'intervention de la société Jamit, qui ne visait qu'à confirmer la nature des produits et à recueillir la température des fruits (7,3 °C en moyenne) et leur état apparent (sains, verts et froids), et ce nécessairement avant leur empotage, pour laquelle il n'est pas rapporté qu'elle agissait en qualité de mandataire de la société CMA CGM, ce qui serait en contradiction avec le mode de chargement, ne peut fonder une quelconque responsabilité de cette dernière, étant entendu que cette remise de conteneurs fermés ne permettait pas au transporteur de former toute réserve sur les conditions d'emballage des produits.



La société FrHoMiMex soutient, pour les trois transports, que l'avarie des fruits découle d'un mauvais réglage de l'atmosphère contrôlée à l'appui de la consultation d'un ingénieur agronome, M. [H] [W], en date du 25 janvier 2016 qui, toutefois, ne correspond qu'à une analyse théorique des conditions optimales de transport d'avocats.



Les instructions de transport indiquent sur chaque waybill une température de 6,7°C, une ventilation de 0% et une atmosphère contrôlée.



L'état «de détérioration grave » des fruits constaté lors de l'inspection le 7 septembre 2022 de la cargaison du navire HS Bach par le cabinet BMT de Beer ne peut être imputé à un transport dans des conditions défectueuses. En effet, le rapport de ce cabinet d'expertise comporte un relevé des température et de ventilation pendant le transport, qui retrace une température constante de 7,5°C avec un pic à 9°C et une atmosphère contrôlée à 10 % de CO2 avec une modification à 2 % le 15 août. Ce rapport indique clairement qu'au vu de ces données, si les avocats ont pu être affectés par des températures élevées, l'unité frigorifique a correctement fonctionné pendant toute la période du transit, que les fruits ont fait l'objet d'un état de pré-chargement non conforme aux normes (« trop, chaud, trop mature et récoltés trop tôt ») avec une mauvaise disposition des marchandises (court-circuit de l'air de refroidissement du fait d'espaces vides dans l'arrimage), de sorte que « la maturation climatérique » avait déjà commencé et que le niveau de CO2 réglé à 2% le 15 août (alors que le réglage doit être à 10 %) n'a pas affecté le fruit de manière négative, mais a minimisé les effets d'un stockage prolongé dans une atmosphère contrôlée. Ce rapport précise que la date d'emballage est le 7 août 2022 alors que la durée de conservation est d'un mois et que la durée potentielle de la vie de stockage de trois semaines était, ainsi, épuisée lors de l'arrivée et ajoute une possible contamination par anthracnose chez l'agriculteur.



Il en résulte que contrairement à ce que soutient la société FrHoMiMex, aucune défaillance du système de refroidissement et d'atmosphère contrôlée n'est rapportée pendant le premier transport, et a fortiori, en l'absence de tout autre rapport d'expertise contradictoire ou assimilé, pendant les deux autres transports, pour lesquels les « rapports sur l'état d'arrivée des avocats » en date des 20 et 27 septembre 2012, établis par la société OTC Holland et le cabinet Verzidjen mentionnent que les détériorations des fruits transportés par les navires Rauten et Centaurus ne sont pas liées à la température et que l'emballage des produits présente des mauvaises fixations avec des « emboîtements » et/ou des « compressions » et "un produit emballé en vrac".



A contrario, les rapports d'inspection de la marchandise par la société Jamit comme les certificats phytosanitaires, établis avant chaque transport, ne permettent pas de connaître la date de cueillette des fruits alors que les avocats présentent une durée de conservation limitée et que la société FrHoMiMex ne conteste pas que certains fruits étaient porteurs d'un champignon (anthracnose), qui est présent dès la fleur.



En conséquence, la perte des avocats à l'occasion des trois transports résulte de leur état initial de maturation déjà en cours, voire pour le premier transport, de l'existence d'une maladie, et d'un emballage inapproprié sur lesquels les conditions de transport, conformes aux instructions, n'ont eu aucune influence.



Concernant le navire HS Bach (waybill MX 1362724), la société FrHoMiMex ayant chargé, de façon inappropriée (espaces vides dans la charge), des fruits ne pouvant supporter le transport envisagé, qui ont, ainsi, dépéri, la société CMA CGM bénéficie du cas excepté prévu par l'article 4.2.i ; aucun dommage ne peut lui être reproché.



Concernant le navire Rauten (waybill 1364094), la société FrHoMiMex, qui a chargé, dans de mauvaises conditions d'emballage, des fruits, également susceptibles de ne pas supporter un long transport, seule cause des dommages en l'absence de tout autre élément, ne démontre aucune faute du transporteur maritime, susceptible de renverser la présomption de livraison conforme.



Concernant le navire HS Centaurus (waybill 1364445), la société FrHoMiMex ayant chargé dans de mauvaises conditions d'emballage, des fruits, également vulnérables, qui ont, de ce fait, dépéri, la société CMA CGM bénéficie du cas excepté prévu par l'article 4.2.n ; aucun dommage ne peut lui être reproché.



En conséquence, les demandes d'indemnisation de la société FrHoMiMex seront rejetées.



Par ces motifs, le jugement entrepris sera confirmé, sauf en ce qu'il a retenu la livraison conforme du conteneur CGMU 9298809 (waybill MX 1362724).



3- sur les autres demandes :



La société FrHoMimex, qui succombe, ne peut rapporter que le comportement de la société CMA CGM, qui s'est bornée à se défendre, caractérise une résistance abusive et sa demande de dommages-intérêts sera rejetée.



Succombant sur son appel, la société FrHoMiMex sera condamnée aux dépens d'appel et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 4 000 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,



Confirme le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 18 mars 2016, sauf en ce qu'il a retenu une livraison conforme pour le conteneur CGMU 9298809 (waybill MX 1362724),



Statuant à nouveau de ce seul chef,



Dit que la SA CMA CGM bénéficie du cas excepté, prévu à l'article 4.2 i de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement amendée, pour le conteneur CGMU 9298809 (waybill MX 1362724),



Rejette la demande d'indemnisation de la société de droit mexicain Frutas y hortalizas organicas de Michoacan Mexico au titre du préjudice lié au conteneur CGMU 9298809 (waybill MX 1362724),



Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,



Y ajoutant,



Rejette la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive formée par la société de droit mexicain Frutas y hortalizas organicas de Michoacan Mexico,



Condamne la société de droit mexicain Frutas y hortalizas organicas de Michoacan Mexico à payer à la SA CMA CGM la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Rejette la demande de la société de droit mexicain Frutas y hortalizas organicas de Michoacan Mexico fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne la société de droit mexicain Frutas y hortalizas organicas de Michoacan Mexico aux dépens d'appel.



le greffier, le président,

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