22 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-82.759

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00354

Titres et sommaires

DOUANES - Transfert de capitaux à destination ou en provenance de l'étranger - Défaut de déclaration - Retenue temporaire d'argent liquide - Recours - Propriétaire de l'argent liquide - Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales - Compatibilité - Nécessité

Il se déduit des articles 6, § 1, et 13 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Protocole additionnel n° 1 qu'est recevable à exercer le recours prévu par l'article L. 152-5 du code monétaire et financier, le propriétaire d'argent liquide dont la retenue temporaire a été décidée par les services des douanes en application de l'articles L. 152-4-1 dudit code. Encourt la censure l'arrêt de la cour d'appel qui déclare irrecevable le recours formé contre l'ordonnance de retenue temporaire d'argent liquide par le propriétaire de la somme retenue au motif que ce dernier, non présent lors de la notification de cette mesure, est tiers à ladite retenue


DOUANES - Transfert de capitaux à destination ou en provenance de l'étranger - Défaut de déclaration - Retenue temporaire d'argent liquide - Indices d'une activité criminelle - Nécessité - Montant de la somme transportée - Absence d'influence

Il résulte de l'article L. 152-4-1, I, alinéa 1, et II, du code monétaire et financier, qui doit être interprété à la lumière de l'article 7, § 1, b, du règlement (UE) 2018/1672 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 relatif aux contrôles de l'argent liquide entrant dans l'Union ou sortant de l'Union, que les agents des douanes peuvent retenir temporairement de l'argent liquide en provenance d'un Etat non-membre de l'Union européenne ou d'un Etat membre, ou à destination de tels Etats, ayant fait l'objet d'une déclaration, lorsqu'il existe des indices que l'argent liquide est lié à une activité criminelle au sens de l'article 3, § 4, de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, indépendamment du montant concerné. Encourt la censure l'arrêt de la cour d'appel, qui rejette le recours formé contre une retenue temporaire d'argent liquide en se fondant, pour justifier la mise en oeuuvre de cette prérogative par les agents des douanes, sur des éléments ne résultant pas des énonciations du procès-verbal de constat, dont il résulte que la décision de retenue a été motivée uniquement par le montant de la somme transportée

Texte de la décision

N° K 22-82.759 F-B

N° 00354


MAS2
22 MARS 2023


CASSATION


Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 MARS 2023




MM. [G] [X] et [O] [N] ont formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry, en date du 4 avril 2022, qui a rejeté le recours formé par le premier contre une retenue douanière et déclaré irrecevable celui formé par le second.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de MM. [G] [X] et [O] [N], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'administration des douanes et des droits indirects et de la direction régionale des douanes et des droits indirects d'[Localité 1], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 février 2023 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, M. d'Huy, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 1er mars 2022, M. [G] [X], lors de son entrée dans l'Union européenne par jet privé, a déclaré spontanément aux services des douanes transporter la somme de 500 000 euros en espèces provenant d'un compte bancaire ouvert auprès d'une banque suisse dont est titulaire M. [O] [N], actuellement résidant à [Localité 2].

3. Le jour même, les contrôleurs des douanes ont notifié à M. [X] la retenue temporaire de la somme de 500 000 euros.

4. Le 14 mars 2022, MM. [X] et [N] ont déposé une requête en mainlevée de la retenue temporaire d'argent liquide devant le président de la chambre de l'instruction.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré irrecevable le recours de M. [N] formé contre la décision de retenue temporaire de l'argent liquide lui appartenant, alors :

« 1°/ que le propriétaire de l'argent liquide qui fait l'objet d'une décision de retenue temporaire, qui doit lui être notifiée, est recevable à exercer le recours contre cette décision prévue à l'article L. 152-5 du code monétaire et financier ; qu'en décidant le contraire, la présidente de la Chambre de l'instruction a violé ce texte, ensemble l'article L. 152-4-1 du code monétaire et financier ;

2°/ que le propriétaire de l'argent liquide qui fait l'objet d'une décision de retenue temporaire a intérêt à exercer un recours contre cette décision ; qu'en déclarant irrecevable le recours de M. [N] tout en admettant qu'il était le propriétaire de l'argent liquide retenu, la présidente de la chambre de l'instruction a violé les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 1er du premier protocole et les principes applicables au droit de propriété. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du Protocole additionnel n° 1 à celle-ci :

6. Il se déduit de ces textes qu'est recevable à exercer le recours prévu par l'article L.152-5 du code monétaire et financier, le propriétaire d'argent liquide dont la retenue temporaire a été décidée par les services des douanes en application de l'article L. 152-4-1 dudit code.

7. En l'espèce, pour déclarer irrecevable le recours formé par M. [N], l'ordonnance attaquée, après avoir rappelé les termes de l'article L. 152-5 du code monétaire et financier, énonce que M. [N], déclaré propriétaire de la somme retenue, non présent lors de la notification de la retenue temporaire, est tiers à ladite retenue et par conséquent irrecevable à exercer un recours.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

9. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours formé à l'encontre de la retenue temporaire d'argent liquide notifiée le 1er mars 2022, alors :

« 1°/ que la décision de retenue temporaire doit être motivée et comporter des motifs en droit et en fait ; que cette décision doit en particulier viser le fondement juridique de la retenue ; que la décision de retenue temporaire litigieuse n'indique pas de façon suffisamment précise le fondement juridique de la retenue, puisqu'elle vise de façon générale le règlement du 23 octobre 2018 et les articles L. 152-4 et L. 152-5 du code monétaire et financier, sans préciser la situation précise justifiant la retenue ;
qu'en décidant néanmoins que la décision de retenue était suffisamment motivée sur le fondement juridique, la présidente de la Chambre de l'instruction a violé l'article L. 152-4-1 du code monétaire et financier ;

2°/ que la décision de retenue temporaire doit être fondée sur des indices que l'argent liquide, indépendamment du montant concerné, est liée à une activité criminelle ; qu'en l'espèce, la décision de retenue temporaire se fonde exclusivement sur le montant du transfert, sans viser d'indice relatif à une fraude fiscale ou à une opération de blanchiment ; qu'en décidant néanmoins que la décision de retenue était en l'espèce suffisamment motivée et bien fondée, la présidente de la Chambre de l'instruction a encore violé le texte susvisé ;

3°/ que la décision de retenue temporaire ne se fonde à aucun moment sur le contexte géopolitique relatif à la guerre en Ukraine et aux sanctions européennes ; qu'en justifiant la décision de retenue temporaire par de telles considérations qui ne figurent pas au procès-verbal de constat notifié le 1er mars 2022, la présidente de la Chambre de l'instruction a encore violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 7 du règlement (UE) n° 2018/1672 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 relatif aux contrôles de l'argent liquide entrant dans l'Union ou sortant de l'Union et L. 152-4-1 du code monétaire et financier :

11. Selon le premier alinéa du I et le II du second de ces textes, lorsqu'il existe des indices que de l'argent liquide en provenance d'un Etat non-membre de l'Union européenne ou d'un Etat membre, ou à destination de tels Etats, ayant fait l'objet d'une déclaration, est lié à l'une des activités énumérées au paragraphe 4 de l'article 3 de la directive 2015/849/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission, les agents des douanes peuvent le retenir temporairement selon les modalités prévues au II de l'article L. 152-4 du présent code.

12. Selon le paragraphe 1, b, du premier de ces textes, à la lumière duquel le second doit être interprété, les autorités compétentes peuvent retenir temporairement de l'argent liquide par voie de décision administrative conformément aux conditions fixées par le droit national lorsqu'il existe des indices que l'argent liquide est lié à une activité criminelle, indépendamment du montant concerné.

13. En l'espèce, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la retenue temporaire d'argent liquide notifiée le 1er mars 2022 à M. [X], l'ordonnance attaquée expose qu'il résulte du procès-verbal des douanes que la retenue temporaire de l'argent liquide a été décidée aux motifs que le transfert en espèces d'une somme de 500 000 euros apparaît en lui-même suspect en raison du risque inhérent à ce procédé au regard de la sécurité offerte par les transferts inter-bancaires. Il est ainsi jugé utile de vérifier si ce transfert ne s'inscrit pas dans un contexte de fraude fiscale ou de toute autre opération de blanchiment de capitaux.

14. Elle relève que M. [X] a présenté aux contrôleurs une photocopie du passeport bosnien de M. [N], accompagnée d'un certificat notarial attestant sa conformité, un titre de résidence de [Localité 3], la confirmation du vol pour [Localité 2] et la facture du voyage en jet privé, la déclaration d'identité du titulaire du compte bancaire, la copie d'un mail entre M. [N] et sa banque pour le débit et le transfert de fonds, ainsi que la copie du retrait des espèces.

15. Elle retient également que les douanes françaises ont relevé que M. [N] a fait trois déclarations d'argent liquide en 2017 et 2019 où il apparaît sous nationalité russe et qu'il est présenté le 1er mars 2022 sous sa seule nationalité bosnienne.

16. Le président de la chambre de l'instruction ajoute que les indices en l'espèce résultent selon l'administration des douanes de ce que, eu égard au contexte géopolitique relatif à la guerre en Ukraine, aux sanctions européennes prises à l'encontre de la Russie et de nombre d'oligarques de la fédération de Russie, le passage transfrontalier d'argent liquide dans ce contexte, alors que le système bancaire offre toute sécurité pour le transfert de fonds, constitue un indice de fraude fiscale ou d'opération de blanchiment de capitaux.

17. Il conclut que ces éléments justifient la retenue temporaire aux fins d'investigations complémentaires dès lors que M. [X] ne souhaitait pas être entendu sur les documents produits par lui en photocopies, dans le temps du contrôle.

18. En statuant ainsi, alors que le procès-verbal des douanes ne faisait pas état du contexte géopolitique relatif à la guerre en Ukraine et aux sanctions européennes à l'encontre de la Russie et de certains de ses ressortissants, le président de la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

19. En effet, d'une part la décision de retenue temporaire des douanes ne peut être motivée uniquement sur le montant de la somme transportée.

20. D'autre part, la juridiction saisie d'un recours contre la décision de retenue temporaire ne peut, pour justifier la mise en oeuvre de cette prérogative par les agents des douanes, se fonder sur des éléments ne résultant pas des énonciations du procès-verbal de constat.

21. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de Chambéry, en date du 4 avril 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par Mme de la Lance en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.

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