22 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-21.276

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00289

Texte de la décision

SOC.

ZB1


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 22 mars 2023




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 289 F-D

Pourvoi n° K 21-21.276

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 MARS 2023

M. [L] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 21-21.276 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à la Société de transports alimentaires et frigorifiques (STAF), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, six moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [U], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Société de transports alimentaires et frigorifiques, après débats en l'audience publique du 1er février 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2021), M. [U] a été engagé en qualité de chauffeur poids lourd à compter du 14 octobre 2009 par la Société de transports alimentaires et frigorifiques (la société). Il a exercé les fonctions de représentant de section syndicale du 13 décembre 2013 au 3 février 2014.

2. Victime d'un accident de travail le 10 janvier 2014, il a été placé en arrêt de travail, puis déclaré par le médecin du travail, à la suite d'avis des 27 mars 2015 et 13 avril 2015, définitivement inapte à son poste de chauffeur livreur mais apte à un poste sans manipulation, sans station debout prolongée continue et avec horaires diurnes. Après entretien préalable le 6 mai 2015, le salarié a fait l'objet d'un licenciement par lettre du 12 mai 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

3. Contestant le bien-fondé de son licenciement et prétendant avoir fait l'objet de mesures discriminatoires en raison de ses engagements syndicaux, il a saisi le 16 mai 2014 la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et quatrième moyens


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts relative à l'existence d'une discrimination syndicale et en conséquence, sa demande visant à obtenir la nullité de son licenciement, sa réintégration et que la société soit condamnée à lui verser une indemnité de 3 727,25 euros pour chaque mois écoulé entre son éviction de l'entreprise le 12 mai 2015 et sa réintégration, le tout sous astreinte, alors :

« 1°/ qu'en application des dispositions des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en retenant et en se bornant à relever, pour écarter l'existence d'une discrimination, que le salarié ne démontrait pas qu'il avait subi des actes discriminatoires imputables à son employeur, la cour d'appel, qui a fait peser sur le seul salarié la charge de la preuve de la discrimination, a violé les textes susvisés ;

2°/ qu'en application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison, notamment de son activité syndicale ; qu'en retenant encore, pour se déterminer comme elle l'a fait, que M. [U], qui avait établi avoir subi des menaces et agressions physiques de la part de ses collègues en raison de son activité syndicale et que l'employeur n'établissait aucunement avoir donné la moindre consigne visant à empêcher la poursuite de ces faits, ni avoir convoqué ou prononcé la moindre sanction à l'encontre de l'un de ses salariés, pourtant identifiés, ne démontrait pas qu'il avait été victimes d'actes discriminatoires relativement à sa situation professionnelle, sa carrière, ses conditions de travail ou sa rémunération, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé le texte susvisé ;

3°/ qu'en application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison, notamment, de son activité syndicale ; qu'en exigeant de M. [U] qu'il démontre que ces faits étaient imputables à son employeur, la cour d'appel, qui a ajouté une condition à la loi, a derechef violé le texte susvisé ;

4°/ qu'en application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison, notamment, de son activité syndicale ; qu'en affirmant que M. [U] ne démontrait pas des actes discriminatoires imputables à son employeur après avoir pourtant constaté qu'il était établi qu'il avait subi de nombreuses menaces, intimidations et agressions physiques en raison de son activité syndicale et que l'employeur ne démontrait aucunement avoir donné la moindre consigne visant à empêcher la poursuite de ces faits, ni avoir convoqué ou prononcé la moindre sanction à l'encontre de l'un de ses salariés, pourtant identifiés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a derechef violé le texte susvisé ;

5°/ que, dans ses écritures et pièces à l'appui, M. [U] avait soutenu et démontré d'une part, que son employeur avait nécessairement eu connaissance des menaces, actes d'intimidation et violences qui avaient été commises à son égard par ses collègues en raison de son projet de création d'une section syndicale, dès lors qu'il l'avait averti par courrier des actes d'intimidation et menaces de mort qu'il subissait et que l'épisode malheureux du 27 décembre 2013 au cours duquel il avait été violenté avait été diffusé dans la presse sans pour autant que son employeur réagisse de quelque manière que ce soit et d'autre part, que plusieurs salariés avaient attesté qu'ils avaient subi des pressions pour s'opposer au projet de création de la section syndicale, autant d'éléments démontrant sans conteste l'implication de l'employeur dans le harcèlement discriminatoire subi par M. [U] ; qu'en affirmant que M. [U] ne produisait aucun élément de nature à démontrer que la Société STAF était impliqué dans le harcèlement discriminatoire qu'il avait subi de la part de ses collègues, la cour d'appel, qui a dénaturé les écritures et le bordereau de pièces de M. [U], a violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble le principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer l'écrit ;

6°/ que, en affirmant que M. [U] ne produisait aucun élément de nature à établir l'implication de son employeur dans le harcèlement discriminatoire qu'il avait subi, alors que M. [U] avait soutenu et démontré d'une part, que son employeur avait nécessairement eu connaissance des menaces, actes d'intimidation et violences qui avaient été commises à son égard par ses collègues en raison de son projet de création d'une section syndicale, dès lors que M. [U] l'avait averti par courrier des actes d'intimidation et menaces de mort qu'il subissait et que l'épisode malheureux du 27 décembre 2013 au cours duquel il avait été violenté avait été diffusé dans la presse sans pour autant que son employeur réagisse de quelque manière que ce soit et d'autre part, que plusieurs salariés avaient attesté qu'ils avaient subi des pressions pour s'opposer au projet de création de la section syndicale, autant d'éléments démontrant sans conteste l'implication de l'employeur dans le harcèlement discriminatoire subi par M. [U] la cour d'appel, qui n'a pas examiné, même sommairement, ces éléments déterminants dont il résultait une implication par action et par abstention de l'employeur dans le harcèlement discriminatoire subi par M. [U], a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. En application de l'article L. 1134-1 du code du travail, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une décision imputable à l'employeur. Au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

7. Appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve, sans dénaturer les écritures des parties et le bordereau de pièces produites par le salarié ni faire peser sur le seul salarié la charge de la preuve, la cour d'appel, ayant constaté par une décision motivée qu'aucune pièce produite ne permettait d'établir que le salarié aurait été victime d'actes discriminatoires, a estimé que la matérialité de faits de discrimination imputable à l'employeur n'était pas établie.

8. Le moyen, inopérant en ses deuxième et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus.

Mais sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de condamner la société à lui verser la seule somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et à la bonne foi contractuelle, alors « qu'en affirmant, pour limiter la condamnation de la Société STAF à la seule somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et à la bonne foi contractuelle, que M. [U] n'avait pas repris l'argumentation retenue par les premiers juges liées aux menaces subies et l'absence corrélative de délégués du personnel cependant qu'à l'appui de ses écritures relatives à la discrimination syndicale M. [U] avait expressément soutenu que les agissements subis constituaient bien "un comportement de discrimination à l'égard de M. [U] à raison de son activité syndicale et à tout le moins, un manquement à l'obligation de bonne contractuelle ou encore à l'obligation de sécurité de résultat" et "que l'inspection du travail avait dressé 3 procès-verbaux à l'encontre de la Société notamment pour entrave aux élections professionnelles", la cour d'appel, qui a dénaturé les écritures de M. [U], a violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble le principe suivant lequel il est interdit au juge de dénaturer l'écrit. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

10. Il résulte des conclusions du salarié devant la cour d'appel que celui-ci, après avoir fait valoir que la société, avertie des menaces pesant sur lui émanant d'autres salariés à la suite de son activité syndicale et de l'attaque qu'il avait subie de la part de plusieurs de ces salariés, n'avait pas réagi, a soutenu que ces faits caractérisaient à tout le moins un manquement à l'obligation de sécurité et que l'inspection du travail avait dressé trois procès-verbaux à l'encontre de la société notamment pour entrave aux élections professionnelles.

11. L'arrêt retient que le salarié établit la violation des mesures permettant le respect des durées légales de travail qu'il invoque et ne reprend pas dans ses conclusions l'argumentation qui avait conduit les premiers juges à condamner l'employeur au titre de la violation de l'obligation de sécurité en raison des menaces subies par le salarié et de l'absence corrélative de délégués du personnel.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions du salarié qui, dans leur dispositif, formaient trois demandes distinctes de dommages-intérêts pour discrimination, violation de l'obligation de sécurité et défaut de mise en place des institutions représentatives du personnel, a violé le principe susvisé.

Et sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

13. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser la somme de 10 000 euros pour défaut de mise en place d'institutions représentatives du personnel, alors « que, en application de l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des articles L. 2323-1 et L. 2324-5 du code du travail, 1382 du code civil et de l'article 8, § 1 de la directive n° 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, l'employeur qui, bien qu'il y soit légalement tenu, n'accomplit pas les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause nécessairement un préjudice aux salariés privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts ; qu'en l'espèce, en retenant, pour dire que M. [U] n'était pas fondé en sa demande visant à obtenir la somme de 10 000 euros pour défaut de mise en place d'institutions représentatives du personnel, que celui-ci n'établissait pas la réalité de son préjudice, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2313-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne :

14. L'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.

15. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour absence de mise en place d'institutions représentatives du personnel, l'arrêt retient que le salarié fait valoir qu'il a subi un préjudice en ce que, s'il y avait eu des représentants du personnel, il n‘aurait pas rencontré de difficultés à la création de la section syndicale, mais que le préjudice invoqué est incertain et hypothétique.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [U] de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de mise en place d'institutions représentatives du personnel et condamne la Société de transports alimentaires et frigorifiques à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et à la bonne foi contractuelle, l'arrêt rendu le 16 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la Société de transports alimentaires et frigorifiques aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société de transports alimentaires et frigorifiques et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.

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