16 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.707

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300224

Titres et sommaires

BAIL COMMERCIAL - Indemnité d'occupation - Paiement - Action en paiement - Prescription biennale - Domaine d'application - Renonciation du preneur au renouvellement - Indemnité due pour la période antérieure à l'exercice du droit d'option - Fixation - Conditions - Effet

L'indemnité d'occupation, due par un locataire pour la période ayant précédé l'exercice de son droit d'option, trouve son origine dans l'application de l'article L. 145-57 du code de commerce et l'action en paiement de cette indemnité est, comme telle, soumise à la prescription biennale édictée par l'article L. 145-60 de ce code. Cette indemnité d'occupation statutaire, qui, à défaut de convention contraire, doit être fixée à la valeur locative déterminée selon les critères de l'article L. 145-33 du code de commerce, se substitue rétroactivement au loyer dû sur le fondement de l'article L. 145-57 du même code. Il s'ensuit que le bailleur, n'ayant connaissance des faits lui permettant d'agir en paiement de cette indemnité qu'à compter du jour où il est informé de l'exercice par le locataire de son droit d'option, le délai de la prescription biennale ne court qu'à compter de cette date. Par ailleurs, lorsque le locataire se maintient dans les lieux après l'exercice de son droit d'option, il est redevable d'une indemnité d'occupation de droit commun soumise à la prescription quinquennale, dont le délai court à compter de ce même jour

BAIL COMMERCIAL - Indemnité d'occupation - Renonciation du preneur au renouvellement - Indemnité due pour la période antérieure à l'exercice du droit d'option - Paiement - Action en paiement - Prescription - Délai - Point de départ - Détermination

BAIL COMMERCIAL - Indemnité d'occupation - Indemnité due pour la période postérieure à l'exercice du droit d'option - Maintien dans les lieux - Paiement - Action en paiement - Prescription - Délai - Point de départ - Détermination

Texte de la décision

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 mars 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 224 FS-B

Pourvoi n° E 21-19.707




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 MARS 2023

La société Variance Technologies, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 21-19.707 contre l'arrêt rendu le 18 mai 2021 par la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société civile immobilière Joiner, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La société civile immobilière Joiner a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société civile immobilière Variance Technologies, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société civile immobilière Joiner, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 février 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. David faisant fonction de conseiller doyen, M. Jobert, Mmes Grandjean, Grall, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, M. Pons, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 18 mai 2021), le 4 juin 2013, la société civile immobilière Joiner (la bailleresse) a signifié à la société civile immobilière Variance technologies (la locataire) un congé à effet du 31 décembre 2013, avec offre de renouvellement à compter du 1er janvier 2014, moyennant un loyer déplafonné.

2. Le 30 juin 2015, la locataire, qui avait accepté le renouvellement aux charges et conditions du bail expiré, y a renoncé et a informé le bailleur qu'elle libérerait les lieux le 31 décembre 2015.

3. Contestant le non-renouvellement du bail, la bailleresse a assigné la locataire en fixation du loyer du bail renouvelé. Par décision du 30 novembre 2016, devenue irrévocable, le juge des loyers commerciaux a constaté que le bail commercial était résilié à compter du 1er janvier 2014.

4. Le 2 juin 2017, la bailleresse a assigné la locataire en réparation de préjudices résultant d'un défaut de restitution des lieux et en paiement d'une indemnité d'occupation pour la période du 1er janvier 2014 au 13 mars 2017. La locataire lui a opposé la prescription biennale.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi incident, ci-après annexé


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen du pourvoi principal



Enoncé du moyen

6. La locataire fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en fixation de l'indemnité d'occupation formée par la bailleresse et de la condamner à lui payer une certaine somme à titre d'indemnité complémentaire d'occupation, alors « que l'action en fixation et paiement d'indemnité d'occupation dirigée contre le locataire qui s'est maintenu dans les lieux après congé donné par le bailleur avec offre de renouvellement, dans l'attente d'un accord sur le montant du loyer, est soumise à la prescription biennale prévue par l'article L. 145-60 du code de commerce ; que la cour d'appel a elle-même constaté que la société Joiner avait, le 4 juin 2013, délivré à la société Variance Technologies un congé pour le 31 décembre 2013, accompagné d'une offre de renouvellement ; qu'en retenant que l'action initiée le 2 juin 2017 par la société Joiner en fixation et paiement d'indemnité d'occupation pour la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 13 mars 2017 n'était pas prescrite au motif inopérant que la SCI Joiner avait renoncé au renouvellement et elle-même donné congé le 30 juin 2015 pour le 31 décembre suivant, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 145-57 et L. 145-60 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. La bailleresse conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la critique est irrecevable comme étant nouvelle, la locataire n'ayant pas soutenu qu'elle s'était maintenue dans les lieux au titre de l'article L. 145-57 du code de commerce.

8. Cependant, la locataire ayant fait valoir devant les juges du fond qu'après congé de la bailleresse avec offre de renouvellement à compter du 1er janvier 2014, elle avait renoncé à ce droit en l'absence d'accord du bailleur pour le maintien du loyer initial, le moyen qui n'est pas nouveau, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 145-57 et L. 145-60 du code de commerce :

9. Selon le premier de ces textes, pendant la durée de l'instance relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, le locataire est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien ou, le cas échéant, au prix qui peut, en tout état de cause, être fixé à titre provisionnel par la juridiction saisie, sauf compte à faire entre le bailleur et le preneur, après fixation définitive du prix du loyer. Dans le délai d'un mois qui suit la signification de la décision définitive, les parties dressent un nouveau bail dans les conditions fixées judiciairement, à moins que le locataire renonce au renouvellement ou que le bailleur refuse celui-ci, à charge de celle des parties qui a manifesté son désaccord de supporter tous les frais.

10. Selon le second, toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.

11. Il résulte de ces textes que l'indemnité d'occupation, due par un locataire pour la période ayant précédé l'exercice de son droit d'option, trouve son origine dans l'application de l'article L. 145-57 du code de commerce et l'action en paiement de cette indemnité est, comme telle, soumise à la prescription biennale édictée par l'article L. 145-60 de ce code (3e Civ., 5 février 2003, pourvoi n° 01-16.882, Bulletin civil 2003, III, n° 26).

12. Il s'ensuit que le bailleur n'ayant connaissance des faits lui permettant d'agir en paiement de cette indemnité, laquelle se substitue rétroactivement au loyer dû sur le fondement de l'article L. 145-57 du même code, qu'à compter du jour où il est informé de l'exercice par le locataire de son droit d'option, le délai de prescription biennale ne court qu'à compter de cette date.

13. Par ailleurs, lorsque le locataire se maintient dans les lieux après l'exercice de son droit d'option, il est redevable d'une indemnité d'occupation de droit commun soumise à la prescription quinquennale, dont le délai court à compter de ce même jour.

14. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en fixation de l'indemnité d'occupation et condamner la locataire à payer une somme complémentaire pour la période du 1er janvier 2014 au 13 mars 2017, l'arrêt retient que la locataire, qui a, elle-même, donné congé, ne peut se prévaloir du fait que son maintien dans les lieux entre dans le champ de la législation relative aux baux commerciaux, de sorte que son occupation, qui ne relève d'aucun droit ni d'aucun titre, est irrégulière et échappe au statut des baux commerciaux.

15. Il en déduit que, la prescription abrégée prévue par l'article L. 145-60 du code de commerce n'étant pas applicable, le délai de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, qui avait commencé à courir le 1er janvier 2016, lendemain de la date de cessation des relations contractuelles, a été valablement interrompu par l'assignation délivrée le 2 juin 2017.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.


Portée de la cassation

17. La cassation prononcée sur le premier moyen du pourvoi principal emporte la cassation de la disposition attaquée par le premier moyen du pourvoi incident sans qu'il y ait lieu de statuer sur ce moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société civile immobilière Joiner en indemnisation d'une perte de chance de relouer l'immeuble, l'arrêt rendu le 18 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne la société civile immobilière Joiner aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat aux Conseils, pour la société Variance Technologies (demanderesse au pourvoi principal)

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

La société Variance Technologies fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en fixation de l'indemnité d'occupation formée par la société Joiner et de l'avoir condamnée à payer à la société Joiner la somme de 374.215,92 € à titre d'indemnité complémentaire d'occupation,

ALORS QUE l'action en fixation et paiement d'indemnité d'occupation dirigée contre le locataire qui s'est maintenu dans les lieux après congé donné par le bailleur avec offre de renouvellement, dans l'attente d'un accord sur le montant du loyer, est soumise à la prescription biennale prévue par l'article L. 145-60 du code de commerce ; que la cour d'appel a elle-même constaté que la société Joiner avait, le 4 juin 2013, délivré à la société Variance Technologies un congé pour le 31 décembre 2013, accompagné d'une offre de renouvellement ; qu'en retenant que l'action initiée le 2 juin 2017 par la société Joiner en fixation et paiement d'indemnité d'occupation pour la période comprise entre le 1er janvier 2014 et le 13 mars 2017 n'était pas prescrite au motif inopérant que la SCI Joiner, avait renoncé au renouvellement et elle-même donné congé le 30 juin 2015 pour le 31 décembre suivant, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 145-57 et L. 145-60 du code de commerce.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire) :

La société Variance Technologies fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à la société Joiner la somme de 374.215,92 € à titre d'indemnité d'occupation entre le 1er janvier 2014 et le 13 mars 2017 ;

ALORS QUE le propriétaire d'un bien ne peut prétendre à une indemnité d'occupation lorsqu'il a lui-même empêché le locataire de libérer les lieux après expiration du bail ; que la société Variance Technologies soutenait, dans ses écritures, que la société Joiner lui avait expressément interdit de restituer les locaux avant le 31 décembre 2016, ce que la société Joiner ne contestait pas ; qu'en condamnant la société Variance Technologies à verser à la société Joiner une indemnité d'occupation pour la période comprise entre le 1er janvier 2016 et le 13 mars 2017, sans rechercher si la bailleresse n'avait pas elle-même refusé la restitution des locaux jusqu'au 31 décembre 2016, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code.

Moyens produits par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Joiner (demanderesse au pourvoi incident)

PREMIER MOYEN DE CASSATION, ÉVENTUEL

La société Joiner fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Variance Technologies à payer à la société Joiner la seule somme de 374.215,92 euros au titre de l'indemnité complémentaire de l'occupation sans droit ni titre de l'immeuble situé [Adresse 3] entre le 1er janvier 2014 et le 13 mars 2017 ;

1°) Alors que dans ses conclusions d'appel, la société Joiner incluait dans l'évaluation du quantum de l'indemnité d'occupation due par la société Variance Technologies le montant de la taxe foncière à laquelle l'immeuble litigieux avait été soumis durant son occupation sans droit ni titre (conclusions Joiner, pp. 19 et 20) ; qu'en se bornant à évaluer le montant de cette indemnité à la valeur locative de l'immeuble pour un montant de 18 694,39 euros par mois sur une période de 38,5 mois, soit la somme totale de 719 734 euros, sans se prononcer sur l'addition à cette somme du montant de 67 513,68 euros au titre de la taxe foncière applicable à l'immeuble durant cette période, la cour d'appel, qui n'a pas répondu à ce moyen précis et opérant, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;


2°) Alors que la contradiction entre ses motifs et un chef de son dispositif équivaut à une absence de motifs ; qu'en déclarant irrecevable la demande de la société Variance Technologies en remboursement de la somme de 67 513,68 euros au titre des impôts fonciers après s'être abstenue dans ses motifs de prendre en compte cette somme dans l'évaluation du quantum de l'indemnité d'occupation, ce qui revenait en définitive à faire droit à cette demande de remboursement, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

La société Joiner fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement prononcé le 27 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour perte de chance de relouer l'immeuble ;

1°) Alors que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'il doit dès lors procéder à l'évaluation du dommage dont il a constaté l'existence en son principe ; qu'en déboutant la société Joiner de sa demande de dommages et intérêt pour les dégradations causées à son bien et l'impossibilité qui en a découlé pour elle de le relouer au motif qu'à défaut de communication des plans de travaux, elle n'était pas en mesure d'apprécier à quelle date la décision de faire procéder à la démolition de l'immeuble avait été prise (arrêt, p. 7), cependant qu'elle avait constaté l'existence de ces dégradations dont l'ampleur était telle qu'il était impossible pour la société Joiner de conclure un nouveau bail, la cour d'appel a violé les articles 4 et 1240 du code civil ;

2°) Alors que la restitution d'un immeuble qui a fait l'objet de dégradations matérielles cause, par nature, un préjudice dont le propriétaire a droit à réparation ; qu'en écartant la demande d'indemnisation formulée par la société Joiner au titre de ces dégradations matérielles aux motifs que l'immeuble en cause avait été démoli à la fin de l'année 2017, et qu'il n'était pas établi que cette démolition n'avait pas été avancée en raison des dégradations matérielles causées à l'immeuble (arrêt, p. 7), cependant que la seule existence de ces dégradations constituait un préjudice réparable pour la société Joiner, ne serait-ce que pour l'impossibilité de louer son immeuble pour une courte durée entre la restitution et le début des travaux, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale.

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