15 mars 2023
Cour d'appel de Riom
RG n° 21/01610

Chambre Commerciale

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale















ARRET N°



DU : 15 Mars 2023



N° RG 21/01610 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FUQ5

VD

Arrêt rendu le quinze Mars deux mille vingt trois



Sur APPEL d'une décision rendue le 04 juin 2021 par le Tribunal judiciaire d'AURILLAC (RG n° 21/00099)



COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Virginie DUFAYET, Conseiller



En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et du prononcé



ENTRE :



La FEDERATION DEPARTEMENTALE DES ASSOCIATIONS AGREEES DE PECHE ET DE PROTECTION DU MILIEU AQUATIQUE DU CANTAL (FDAAPPMA)

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentant : Me Elsa POUDEROUX, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND



APPELANTE



ET :



La société SNCF RESEAU

SA immatriculée au RCS de Bobigny sous le n° 412 280 737 20375

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentant : Me Christophe GALAND de la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND



INTIMÉE



DÉBATS :

Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 19 Janvier 2023, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame DUFAYET, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.



ARRET :

Prononcé publiquement le 15 Mars 2023 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




Exposé du litige



Le 16 mars 2019, le président de l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPPMA) de [Localité 3] était avisé du déversement d'une substance polluante la veille dans les ruisseaux et rivières de l'Alagnon. Ce déversement était identifié comme provenant d'une cuve à fioul d'un bâtiment appartenant au domaine de la société SNCF Réseau. Un procès-verbal était dressé contre cette dernière et une transaction pénale exécutée.



Par acte du 17 février 2021, la fédération départementale des AAPPMA du Cantal a fait assigner la société SNCF Réseau devant le tribunal judiciaire d'Aurillac en indemnisation de ses préjudices.



Par jugement du 4 juin 2021, le tribunal a :

- rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture ;

- rejeté la demande de condamnation de la SNCF Réseau à payer la somme de 7 000 euros au titre du préjudice écologique de la fédération départementale des AAPPMA du Cantal ;

- condamné la SNCF Réseau à payer à la fédération départementale des AAPPMA du Cantal la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- rejeté la demande de condamnation de la SNCF Réseau à payer la somme de 2 000 euros au titre du préjudice financier de la fédération départementale des AAPPMA du Cantal ;

- condamné la SNCF Réseau à payer à la fédération départementale des AAPPMA du Cantal la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SNCF Réseau aux dépens ;

- rappelé que le jugement est exécutoire de droit par provision.



La fédération départementale des AAPPMA du Cantal a interjeté appel de cette décision suivant déclaration électronique en date du 19 juillet 2021.



Dans ses conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 19 juillet 2022, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 1240 et suivants du code civil et L.432-2 et suivant du code de l'environnement, de :

- infirmer partiellement le jugement ;

- statuant à nouveau sur la réparation du préjudice écologique, condamner la SNCF Réseau à lui payer la somme de 7 000 euros ;

- statuant à nouveau sur la réparation du préjudice financier, condamner la SNCF Réseau à lui payer la somme de 2 000 euros ;

- condamner la SNCF Réseau à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.



Par conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 10 janvier 2022, la société SNCF Réseau demande à la cour, au visa des articles 9 du code de procédure civile, 1315 et 1247 et suivants du code civil, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la fédération départementale des AAPPMA du Cantal de ses demandes d'indemnisation au titre du préjudice écologique et du préjudice financier ;

- statuant à nouveau des chefs de jugement critiqués par l'appel incident, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SNCF Réseau au titre du préjudice moral, de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

- débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner l'appelante à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.



Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l'exposé complet de leurs prétentions et moyens.



La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 novembre 2022.



Motivation de la décision



1/ Sur la réparation du préjudice écologique



L'article 1246 du code civil prévoit que toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer.



Selon l'article suivant, est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement.



L'article 1249 dispose que la réparation du préjudice écologique s'effectue par priorité en nature. En cas d'impossibilité de droit ou de fait ou d'insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l'environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l'Etat. L'évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues, en particulier dans le cadre de la mise en oeuvre du titre VI livre 1er du code de l'environnement.



Il s'en déduit que la réparation en nature doit être privilégiée et que l'octroi de dommages et intérêts est subsidiaire comme soumis à la démonstration de l'impossibilité de réparer ou de l'insuffisance des réparations.



Pour débouter la fédération départementale des AAPPMA du Cantal, le tribunal a estimé que la preuve d'une atteinte non négligeable à l'environnement n'était pas rapportée, n'étant pas à même d'établir la nature de la substance nuisible déversée, la quantité, les circonstances du déversement. Il relevait que le procès-verbal de constat d'infraction n'était pas produit. Il était allégué un préjudice écologique de façon générale, sans caractérisation en l'espèce.



A l'appui de sa demande de ce chef à hauteur de 7 000 euros, l'appelante indique qu'il résulte du procès-verbal manquant en première instance que la substance déversée est du fioul. Elle estime que l'emploi par le législateur de la formule 'atteinte non négligeable' doit permettre d'ouvrir largement l'action en réparation. La propagation du fioul a été estimée à 4 000 litres. L'Alagnon est un cours d'eau en bon état écologique, classé en première catégorie piscicole. Une atteinte non négligeable à l'environnement peut exister indépendamment de toute mortalité piscicole. La nature et la quantité de la substance déversée et la qualité du cours d'eau permettent de caractériser le préjudice.



De son côté, l'intimée rappelle que des actions ont été menées pour la dépollution du site. En outre, aucun constat de mortalité n'est rapporté. L'ONEMA n'a pas rédigé de procès-verbal alors qu'il s'agit d'une pièce cruciale pour apprécier les conséquences de la pollution d'un cours d'eau.



En l'espèce, il résulte du procès-verbal d'audition de M. [B] [L], responsable du pôle maintenance et projet de la SNCF, que le 15 mars 2019 ont été livrés sur le site 6 457 litres de fioul. Il estimait alors que plus de la moitié s'était déversé sur le sol. Quant au procès-verbal de transport, il fait état d'une propagation estimée à environ 4 000 litres.



Il résulte du procès-verbal d'investigations en date du 1er avril 2019 qu'une entreprise dénommée Biobasic a été chargée de dépollution du site depuis le 25 mars 2019. Il est dit qu'elle ' a mis en place des barrages flottants permettant l'absorption du fioul restant. Environ 120 litres de mélange eau/hydrocarbures ont été retirés. Un prélèvement au niveau de l'abreuvoir a été effectué, celui-ci est en cours d'analyse.'



Aucune autre pièce n'est produite par le demandeur, en particulier aucun procès-verbal de constat sur la faune et la flore éventuellement concernées, aucune analyse de l'eau que ce soit en cours de dépollution ou après. Elle ne démontre pas non plus par exemple la nécessité d'engager des frais pour repeupler le cours d'eau ou effectuer et financer des travaux consécutifs à la pollution.



Or, comme il a été dit plus haut et ainsi que cela résulte des textes applicables, le constat de l'existence d'une pollution ne suffit pas à constituer en soit un préjudice écologique réparable par l'octroi de dommages et intérêts. L'appelante ne démontre ni l'impossibilité d'une réparation en nature et surtout, elle ne démontre pas son insuffisance puisqu'il est constant que des opérations de dépollution ont été engagées.



C'est donc à juste titre qu'elle a été déboutée de sa demande de ce chef, emportant confirmation de la décision sur ce point.



2/ Sur la réparation du préjudice moral



Le régime applicable est ici le régime classique de la responsabilité civile extracontractuelle des articles 1240 et suivants du code civil, lequel implique de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux.



Le tribunal a alloué à la fédération départementale des AAPPMA du Cantal une somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral.

L'intimée conteste ce poste de préjudice estimant que la preuve de son existence n'est pas rapportée.

L'appelante sollicite confirmation.



Il résulte de la décision d'agrément préfectoral de la fédération appelante qu'elle a pour missions statutaires notamment 'la protection des milieux aquatiques, la mise en valeur et la surveillance du domaine piscicole départemental'. Ainsi que l'a rappelé le premier juge, le préjudice moral de l'appelante résulte nécessairement de l'atteinte portée à l'environnement aquatique par cette pollution même involontaire, environnement qu'elle a pour mission de protéger.



La décision sera confirmée sur ce point.



3/ Sur la réparation du préjudice financier



Ici encore, le régime de la responsabilité civile extracontractuelle s'applique.



Le tribunal a constaté que la fédération départementale des AAPPMA du Cantal ne rapportait pas la preuve d'un préjudice financier au cas d'espèce et a rejeté sa demande de ce chef.



L'appelante sollicite réformation, arguant qu'il est de jurisprudence constante que les associations environnementales peuvent prétendre à l'indemnisation de leur préjudice matériel dès lors qu'elles justifient mener des actions concrètes, sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve de dépenses directement liées à la pollution concernée.

Elle contribue financièrement à la préservation et la restauration des milieux aquatiques et des espèces patrimoniales sur tout le département.

Elle produit plusieurs pièces qui attestent des dépenses effectuées entre 2012 et 2019 sur le bassin de l'Alagnon et indique que sur 7 ans, le montant total des actions portées ou financées par elle s'élève à 261 791 euros, dont 28% d'aide des collectivités ou fonds privés.

Elle chiffre sa demande à 2 000 euros.



L'intimée prétend que l'appelante ne justifie d'aucun préjudice financier directement en lien avec la pollution et sollicite confirmation sur ce point.



Le préjudice patrimonial résultant d'une pollution peut s'entendre soit d'une atteinte matérielle, soit d'une atteinte économique. Le premier réside dans une atteinte portée aux biens par la pollution ; le second dans les conséquences financières de la pollution, en dehors de celles causées aux biens.



Ici encore, l'appelante échoue à prouver l'existence de ces préjudices, n'explicitant nullement en quoi cette pollution a eu des conséquences sur le plan matériel et économique dont elle serait directement victime, se contentant de faire état de ses actions financées et engagées depuis 2012 sur ce cours d'eau notamment.

La décision ne pourra qu'être confirmée en ce qu'elle a rejeté ce chef de demande.





4/ Sur les autres demandes



La décision critiquée étant confirmée sur les demandes principales, elle le sera également s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.

En revanche, l'appelante succombant en son appel sera tenue aux dépens d'appel et au paiement d'une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles devant la cour.





PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;



Confirme le jugement dans toutes ses dispositions et dans les limites de sa saisine ;



Condamne la fédération départementale des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique du Cantal à payer à la société SNCF Réseau la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;



Condamne la fédération départementale des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique du Cantal aux dépens d'appel.



Le greffier, La présidente,

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