15 mars 2023
Cour d'appel de Rennes
RG n° 21/02869

5ème Chambre

Texte de la décision

5ème Chambre





ARRÊT N°-108



N° RG 21/02869 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RTWJ













S.A. AXA FRANCE IARD



C/



S.A.R.L. FLORENTINE



















Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 MARS 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,





GREFFIER :



Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé









DÉBATS :



A l'audience publique du 18 Janvier 2023





ARRÊT :



Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats





****





APPELANTE :



S.A. AXA FRANCE IARD

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représentée par Me Emilie BUTTIER de la SELARL RACINE, Postulant, avocat au barreau de NANTES

Représentée par Me Agathe ROBLES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS









INTIMÉE :



S.A.R.L. FLORENTINE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Thibaut CRESSARD de la SELARL CRESSARD & LE GOFF, AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES













La société Florentine exploite le restaurant 'Il Basilico' situé [Adresse 2], à [Localité 4].



Elle a souscrit le 1er juillet 2015 un contrat d'assurance multirisque professionnelle auprès de la société Axa.



Ce contrat comporte une clause de garantie protection financière 'perte d'exploitation suite à fermeture administrative'.



A la suite de la crise sanitaire dite 'Covid 19", les restaurants ont fait l'objet d'une fermeture administrative.



La société Florentine a déclaré un sinistre à son assureur, la société Axa, afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation.



Si la reconnaissance de la fermeture administrative ne fait pas l'objet de débat entre les parties, la rédaction de la clause d'exclusion et sa combinaison avec la clause particulière font l'objet d'interprétations différentes entre les parties, de telle sorte que celles-ci n'ont pu s'entendre, la société Axa refusant toute indemnisation au titre de la fermeture administrative du restaurant.



La société Florentine a décidé de saisir le tribunal de commerce de Rennes.



Par jugement en date du 23 mars 2021, le tribunal de commerce de Rennes a :

- dit que la clause d'exclusion de garantie relative aux pertes d'exploitation, inscrite dans les conditions particulières du contrat, est réputée non écrite, et donc est nulle et de nul effet et en tout état de cause non opposable à la société demanderesse,

- dit que les conditions relatives à la garantie aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative du restaurant Il Basilico appartenant à la société demanderesse lui sont acquises,

- condamné la société Axa France Iard à garantir, dans la limite contractuelle, les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative du restaurant Il Basilico, exploité par la société demanderesse, dans les conditions prévues au contrat,

- ordonné le versement, par la société Axa France Iard à la société demanderesse, à titre de provision, de la somme de 75 000 euros sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour passé le 15ème jour suivant la signification du jugement et ce, pour une période de 60 jours, après quoi il devra à nouveau y être fait droit,

- se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte conformément aux dispositions de l'article 491 du code de procédure civile,

- fait droit à la demande d'expertise judiciaire formulée par la société demanderesse, aux frais avancés exclusivement par elle,

- désigné Mme [I] [K], [Adresse 8], avec pour mission de :

* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, (notamment l'estimation effectuée par la demanderesse et/ou son expert-comptable) accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation 2019-2020.

* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations.

* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance.

* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires - charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées.

* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture,

* rédiger un pré-rapport et le soumettre aux parties,

* répondre aux dires des parties,

* rédiger un rapport définitif.

- dit qu'avant d'accepter sa mission, l'expert désigné pourra consulter au greffe du tribunal les documents qui lui sont nécessaires par application de l'article 268 du code de procédure civile.

- dit qu'en cas de refus de la mission, il sera procédé à la désignation d'un autre expert par le juge en charge du suivi du présent dossier,

- dit qu'en cas de carence des parties à fournir tous moyens à l'expert d'accomplir sa mission, ce dernier informera le juge chargé du suivi du dossier conformément aux dispositions de l'article 275 du code de procédure civile.

- dit que I'expert pourra recueillir les déclarations de toutes personnes informées et pourra s'adjoindre tout technicien de son choix dans une spécialité distincte de la sienne par application de l'article 278 du code de procédure civile,

- fixé la provision sur honoraires de l'expert à la somme de 3 000 euros que la demanderesse devra consigner au greffe de ce tribunal, dans le délai d'un mois à compter de la date de la présente ordonnance.

- dit que l'expert devra commencer ses opérations à compter du jour où il aura reçu notification par le greffe de la consignation de la provision fixée ci-dessus, et ce, conformément à l'article 267 alinéa 2 du code de procédure civile.

- dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, le juge chargé du suivi du dossier constatera la caducité de la mesure sauf par l'une des parties à agir conformément à l'article 271 du code de procédure civile.

- dit que l'expert fera connaître à la société demanderesse le montant de ses frais et honoraires dans le mois suivant la première réunion,

- dit que l'expert devra déposer son rapport définitif en deux exemplaires au greffe du tribunal de commerce de Rennes dans un délai de 4 mois à compter du jour de la consignation de la provision au greffe du tribunal,

- dit que dans le cas ou les parties viendraient à se concilier, elles en informeront l'expert, lequel devra constater que sa mission est devenue sans objet et en faire rapport au juge chargé du suivi du dossier après que les parties aient convenu du mode de règlement de ses honoraires et débours,

- dit que M. [S] Président de chambre de ce tribunal, aura en charge le suivi du présent dossier,

- autorisé messieurs les greffiers à remettre leurs dossiers aux parties ou à leurs conseils,

- sursis à statuer sur la liquidation définitive de l'indemnisation pour pertes d'exploitation dans l'attente du rapport de l'expert.

- condamné la société Axa France Iard, qui succombe, à payer à la société demanderesse la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société demanderesse du surplus de ses demandes,

- condamné la société Axa France Iard aux entiers dépens,

- liquidé les frais de greffe à la somme de 80,28 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.




Le 10 mai 2021, la société Axa France Iard a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 12 janvier 2023, elle demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien-fondé son appel interjeté et, y faisant droit :

A titre principal,

- infirmer le jugement du 23 mars 2021 du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il :

* dit que la clause d'exclusion de garantie relative aux pertes d'exploitation, est réputée non écrite, et donc est nulle et de nul effet et en tout état de cause non opposable à la société Florentine,

* constaté que les conditions relatives à la « Garantie Pertes d'Exploitation» consécutives à la fermeture administrative du restaurant Il Basilico lui sont acquises,

* l'a condamnée à garantir, dans la limite contractuelle, les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative du restaurant Il Basilico dans les conditions prévues au contrat,

* ordonné le versement par la société Axa France Iard à la société Florentine, à titre de provision, de la somme de 75 000 euros sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour passé le 15ème jour suivant la signification du jugement,

* fait droit à la demande d'expertise judiciaire formulée par la société Florentine aux frais avancés exclusivement par elle ;

* désigné Mme [I] [K], expert judiciaire avec pour mission de :

° se faire communiquer tous documents et pièces entendre les parties ainsi que tout sachant,

° examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance,

° donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (CA - charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées,

° donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture,

° fixer la provision sur honoraires de l'expert à la somme de 3 000 euros que la demanderesse devra consigner au greffe de ce tribunal, dans le délai d'un mois à compter de la date de la présente ordonnance,

* sursis à statuer sur la liquidation définitive de l'indemnisation pour pertes d'exploitation dans l'attente du rapport de l'expert,

* l'a condamnée à payer à la société Florentine la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a déboutée de sa demande d'écarter l'exécution provisoire à hauteur de 50%,

* l'a condamnée aux entiers dépens.

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion,

- infirmer le jugement en ce que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui ne serait pas inscrite en des termes très apparents, de sorte que sa rédaction ne serait pas conforme aux règles de formalisme prescrites par l'article L. 112-4 du code des assurances,

Statuant à nouveau,

- juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce,

- juger que cette clause d'exclusion répond au caractère formel et limité de l'article L113-1 du code des assurances,

- juger que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité de l'article L 113-1 du code des assurances et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle de la société Axa France Iard de sa substance au sens de l'article 1170 du code civil,



En conséquence :

- juger applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie,

- débouter l'assurée de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 23 mars 2021 du tribunal de commerce de Rennes, ainsi que la décision rectificative prononcée le 30 mars suivant,

- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Rennes,



A titre subsidiaire,

- ordonner la fixation de la mission de l'expert désigné par le tribunal de commerce de Rennes comme suit :

* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'intimée et/ou son expert comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années ;

* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;

* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable ;

* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées ;

* donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'Assurée ;

* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars 2020 et le 29 octobre 2020.



En tout état de cause,

- débouter l'assurée de toutes demandes, fins ou conclusions contraires au présent dispositif ;

- condamner l'assurée à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.



Par dernières conclusions notifiées le 9 janvier 2023, la société Florentine demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 23 mars 2021 dans toutes ses dispositions,

Par conséquent,

- débouter la société Axa France Iard de toutes ses demandes,

Y ajoutant,

- condamner la société Axa à lui verser la somme de 73 140 euros à titre de provision complémentaire à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices,

- condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,

- condamner la société Axa France Iard aux entiers dépens d'appel.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Au soutien de son appel et s'opposant aux prétentions adverses, la société Axa France Iard demande à la cour de reconnaître la validité de la clause d'exclusion mentionnée au contrat, ne permettant pas à l'assurée d'être garantie en l'espèce, s'agissant d'une fermeture collective d'établissements ordonnée par l'arrêté du 14 mars 2020 et le décret du 29 octobre 2020 pour lutter contre l'épidémie de Covid-19.



Elle affirme tout d'abord que l'assuré a parfaitement compris la portée de cette clause, l'exclusion étant claire et ne nécessitant aucune interprétation.

Elle fait valoir que sont très précis les critères d'application de la clause au nombre de trois : critère de nombre (s'applique si plus d'un établissement fait l'objet d'une fermeture), critère territorial (le nombre d'établissements s'apprécie à l'échelle départementale), et critère causal (la fermeture des établissements doit avoir une cause identique).



Elle soutient que l'absence de définition du terme 'épidémie' n'affecte pas la validité de la clause d'exclusion, cette notion étant sans pertinence pour apprécier le caractère formel de cette clause.



Rappelant que le caractère limité d'une clause d'exclusion s'apprécie non pas en considération de ce qu'elle exclut mais de ce qu'elle garantit après sa mise en oeuvre, elle soutient ensuite que cette clause est limitée au sens de l'article L 113-1 du code des assurances et ne vide pas de sa substance l'obligation essentielle souscrite par l'assurée, car une épidémie peut être la cause de la fermeture administrative d'un unique établissement, que la commune intention des parties lors de la souscription du contrat n'était pas de couvrir le risque d'une fermeture généralisée à l'ensemble du territoire

- risque totalement imprévisible à l'époque - mais de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation d'un restaurant exposés à des risques biologiques.



Enfin, elle fait valoir que cette clause répond au formalisme exigé par l'article L 112-4 du code des assurances, étant rédigée en lettres majuscules, en grand format et détachée des paragraphes précédents.





En réponse la société Florentine prétend que la clause d'exclusion qui lui est opposée n'est pas valable, étant contraire aux dispositions de l'article

L 112-4 du code des assurances, et inopposable au regard des dispositions de l'article L 113-1 du même code.



Elle relève que la clause n'est pas soulignée ou en caractères gras, et observe que la nouvelle clause proposée par l'assureur dans ses nouvelles conditions générales est désormais écrite en gras et encadrée en couleurs.



Elle soutient ensuite qu'elle nécessite interprétation, étant imprécise, concernant notamment :

- la notion d' 'établissement' selon elle, imprécise et non définie, l'assurée ne pouvant savoir si elle recouvre des établissements de même nature que l'activité assurée, des établissements à caractère commercial ou tout type d'établissement,

- la notion 'd'épidémie' dont elle rappelle qu'elle suscite un large débat,

- la notion de ' cause identique', qui selon elle est ambiguë, s'interrogeant par exemple sur le point de savoir si la fermeture de deux établissements chacun en raison d'un meurtre, mais distinct (un premier provoqué par un salarié sur son patron, et l'autre provoqué par des voyous dans le cadre d'un vol) exclurait la garantie.



Elle estime donc qu'il est impossible pour l'assuré de connaître la portée et l'étendue de cette clause.



Elle ajoute que la notion d'épidémie dans son acception usuelle qualifie la propagation de grande ampleur d'une maladie, que les définitions du Larousse, du Robert ou de l'Académie française impliquent nécessairement que la propagation dépasse nécessairement les seules personnes présentes dans un restaurant.



Selon elle, cette clause, telle que rédigée, vide de son sens la garantie accordée et est donc inopposable à l'assurée.



En préliminaire, la cour rappelle qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de 'donner acte', 'dire et juger' qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise de moyens développés dans le corps des conclusions qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.



Au visa de l'article 1134 du code civil devenu l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.



Les conditions particulières du contrat conclu entre la société Axa France Iard et la société Florentine prévoient, en pages 5 et 6, la protection financière intitulée : 'PERTE D'EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE '

Cette garantie est rédigée comme suit :

La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même,

2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.

Durée et limite de la garantie :...

SONT EXCLUES :

LES PERTES D'EXPLOITATION LORSQUE, À LA DATE DE LA DÉCISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ÉTABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT LA NATURE ET SON ACTIVITÉ, FAIT L'OBJET, SUR LE MÊME TERRITOIRE DÉPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ÉTABLISSEMENT ASSURÉ, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE.



* Sur le formalisme de la clause



Au visa de l'article L 112-4 du code des assurances, les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.



L'argumentation de la société Florentine tirée des termes des nouvelles conditions générales proposées par la société Axa France Iard, lesquelles mentionneraient une clause d'exclusion en gras et dans un encadré de couleurs, doit être écartée, l'intimée ne versant pas aux débats de conditions générales mentionnant une clause d'exclusion relative à la garantie pertes d'exploitation suite à une fermeture administrative.



En l'espèce, la clause d'exclusion litigieuse est mentionnée dans les seules conditions particulières dans le paragraphe ' perte d'exploitation suite à fermeture administrative', immédiatement après la définition de cette garantie et de sa durée.

Elle est rédigée en majuscules, précédée des termes 'SONT EXCLUS' également en majuscules, alors que le reste de la clause est rédigé en minuscules.

Certes il n'y a ni caractère gras ni encadré de couleur mais la clause d'exclusion est nettement visible puisqu'elle est dans une typographie différente du reste du contrat, et l'article L 112-4 du code des assurances n'impose, en tout état de cause, aucune forme d'impression particulière.



De part son caractère très apparent, cette clause d'exclusion ne peut échapper à la lecture de l'assurée.



La cour considère qu'elle respecte le formalisme légal de l'article L 112-4 du code des assurances.



* Sur la clause d'exclusion



Il résulte de l'article L113-1 alinéa 1 du code des assurances que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.



Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.



En l'espèce, la garantie couvre le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.



Il est relevé que la clause d'exclusion précitée ne contient aucun terme technique.



L'absence de définition du terme 'épidémie' est inopérante dès lors qu'il ne se trouve pas dans la clause litigieuse.



Ce qui est important, ce n'est pas la nature, l'origine ou l'étendue de l'épidémie mais sa conséquence.



Ainsi, le risque couvert est celui des pertes d'exploitation subséquentes à une fermeture administrative et non le risque de survenance d'une épidémie.

La circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assurée du bénéfice de la garantie n'est pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement fait l'objet d'une mesure de fermeture pour une cause identique à celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme 'épidémie' est sans incidence sur la compréhension par l'assuré des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait (Cour de cassation, 2ème chambre civile, 1er décembre 2022).



Ce qui provoque l'exclusion, en application de la clause, est la fermeture d'un autre 'établissement', au sein d'un 'même département' pour une 'cause identique'.



Le renvoi à une échelle départementale est sans équivoque.



S'agissant du terme établissement, la cour considère qu'il est clair et ne nécessite aucune interprétation, que les interrogations de la société Florentine sont vaines, alors même que la clause d'exclusion vise expressément 'un autre établissement, quelle que soit la nature et son activité', ce qui exclut catégoriquement le renvoi aux seuls établissements exerçant une activité identique à celle de l'assuré, et aux seules activités commerciales. De toute évidence, le terme établissement renvoie donc à tout type d'établissement. La critique de ce chef est écartée.



S'agissant de la notion de cause identique, ce critère renvoie aux causes de fermeture administrative précisément énumérées dans les conditions de garanties et qui sont 'une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication', termes employés au singulier, et donc à un événement précis et identifiable.

L'exemple donné par l'assurée pour prétendre à une ambiguïté des termes

'cause identique' ne peut être opérant dans la mesure où précisément il porte sur des causes distinctes : un premier meurtre causé par un salarié dans un établissement et un second meurtre causé par un voyou dans un autre établissement. Ce faisant, il dénature la clause qui, sur ce point, apparaît claire et non équivoque, puisque renvoyant à une même cause à l'origine d'une fermeture visant plusieurs établissements.



Le moyen selon lequel, au regard de la notion d'épidémie, la clause d'exclusion, telle que rédigée, vide de sa substance la garantie accordée, n'emporte pas conviction.



En effet, la cour rappelle tout d'abord que la garantie couvre le risque de pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative en raison non seulement d'une épidémie, mais aussi d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide ou d'une intoxication. Subsistent ainsi dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion.



S'agissant de la cause de fermeture tenant à une épidémie, les définitions de l'épidémie données par l'intimée sont les suivantes :

Le Larousse la définit comme le développement et la propagation rapide d'une maladie contagieuse, le plus souvent d'origine infectieuse, dans une population.

Le Robert indique qu'il s'agit de l'apparition et de la propagation d'une maladie infectieuse qui frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes, d'animaux (épizootie) ou de plantes(épiphytie).

L'Académie française la définit comme l'apparition et la propagation d'une maladie contagieuse qui atteint en même temps, dans une région donnée, un grand nombre d'individus, par la métonymie, cette maladie elle-même.



En retenant une acception restrictive de l'épidémie, tel que soutenu par la société Florentine (à savoir la propagation d'une maladie contagieuse d'une certaine ampleur affectant un nombre important d'individus sur un même territoire) et pour s'en tenir à l'épidémie de Covid-19, il n'est pas inenvisageable qu'une autorité administrative prenne, dans une zone encore peu touchée par la maladie, une mesure de fermeture d'un seul établissement pour éviter les contaminations détectées dans celui-ci à la zone géographique qui lui est proche ; tel est le cas du ' cluster' dans le cas de l'épidémie de Covid-19, comme en témoigne par exemple l'arrêté de fermeture de l'école [9] de [Localité 10] (35) du 21 janvier 2021 au 31 janvier 2021 ou encore de l'école des [6] de [Localité 12] du 10 juin 2021 au 16 juin 2021.



En retenant une acception plus large de l'épidémie, comme le soutient la société Axa France Iard, en considérant qu'une épidémie peut concerner la propagation d'une maladie non contagieuse, sens qui se trouve conforté par le fait que les causes à l'origine de la fermeture distinguent la maladie contagieuse de l'épidémie, et sens d'ailleurs plus favorable à l'assuré, il subsiste des cas de salmonellose, légionellose, listériose par exemple, qui ne peuvent viser qu'un seul établissement, ainsi qu'en témoigne plusieurs exemples rapportés aux débats par la société Axa France Iard : Ferme DURR dans le Bas-Rhin, Thermes de [Localité 11] en Charente-Maritime, Internat du lycée du [Localité 7] dans le Val de Marne par exemple.



La couverture de tels risques présente un intérêt certain pour un restaurateur, et sur ce point, la société Axa France Iard fait état avec pertinence, d'un article émanant de Santé Public France de mars 2021, intitulé ' Le point épidémie', révélant que :

- en 2019, 1783 toxi-infections alimentaires collectives ( TIAC) avaient été déclarées en France, affectant 15 641 personnes.

- l'agent pathogène le plus fréquemment confirmé est Salmonella pour 36% des TIAC,.. Les agents pathogènes les plus couramment suspectés sans pouvoir être confirmés étaient les agents Staphylocuccus aureus, Clostridium perfringens, et Bacillus cereus correspondant 69 % des TIAC,

- l'augmentation du nombre des TIAC déclarées entre 2018 et 2019 est principalement observée pour les TIAC familiales (+ 21%) et les TIAC en restauration commerciale (+ 14%).



Dès lors, la clause d'exclusion, telle que rédigée, ne vide pas la garantie de sa substance.



En conséquence, la cour considère que cette clause présente un caractère formel et limité et répond parfaitement aux exigences de l'article L 113-1 du code des assurances.



La société Axa France Iard est fondée à s'en prévaloir pour refuser la garantie perte exploitation suite à une fermeture administrative, dans la mesure où la fermeture dont a fait l'objet la société Florentine, résultant de l'arrêté ministériel du 14 mars 2020 et du décret du 29 octobre 2020 a affecté d'autres établissements dans le département d'Ille-et-Vilaine.



Le jugement déféré est infirmé et la société Florentine déboutée de ses demandes de provisions et d'expertise.



La société Axa France Iard sollicite la restitution des sommes perçues au titre de l'exécution du jugement déféré. Cependant, un arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution d'un jugement infirmé et les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une telle demande.



L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les dispositions de ce chef du jugement sont infirmées, la société Florentine déboutée de ses demandes formées de ce chef en première instance et en appel, comme la société Axa France Iard, et l'intimée est condamnée aux entiers dépens.







PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :



Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;



Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,



Déboute la société Florentine de l'intégralité de ses demandes ;



Y ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu du jugement déféré à la cour ;



Déboute les parties de leurs demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la société Florentine aux dépens de première instance et d'appel



Le Greffier La Présidente

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