15 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-87.389

Chambre criminelle - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00200

Titres et sommaires

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Saisine - Qualification - Date des faits - Erreur - Conséquences - Juridiction demeurant saisie des faits - Détermination de la date des faits - Condition - Invitation préalable du prévenu à s'expliquer - Exclusion - Erreur matérielle

La juridiction de jugement demeure saisie du fait poursuivi lorsqu'elle constate qu'il n'a pas été commis à la date visée par la prévention, mais à une autre date qu'elle détermine. Hors le cas d'une erreur matérielle, les juges doivent inviter le prévenu à s'expliquer sur cette modification. Méconnait ce principe la cour d'appel qui procède à une telle rectification sans l'avoir mise dans le débat et invité le prévenu à s'en expliquer

Texte de la décision

N° X 21-87.389 FP-B

N° 00200


SL2
15 MARS 2023


CASSATION


M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 MARS 2023



M. [W] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 15 novembre 2021, qui, pour agression sexuelle aggravée, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [W] [G], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Labrousse, MM. d'Huy, Wyon, Mme Sudre, M. Samuel, Mme Goanvic, M. Seys, Mme Thomas, conseillers, M. Joly, Mme Fouquet, M. Mallard, Mme Merloz, conseillers référendaires, M. Valat, avocat général, Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. [T] [D], née le [Date naissance 1] 1994, a déposé plainte, le 24 avril 2015, en dénonçant une agression sexuelle subie, alors qu'elle avait passé la nuit chez sa tante, de la part du compagnon de cette dernière, M. [W] [G], le couple étant lié par un pacte civil de solidarité.

3. Elle a indiqué que les faits s'étaient déroulés dans la nuit du 1er, du 2 ou du 3 décembre 2011.

4. Poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d'agression sexuelle incestueuse commise sur une victime mineure, entre le 1er et le 3 décembre 2011, M. [G] a été condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis.

5. M. [G] a relevé appel et le ministère public a formé appel incident.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [G] coupable d'agression sexuelle incestueuse commise entre le 6 et le 7 juin 2013, alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu'en décidant néanmoins que si les faits visés à la prévention, comme étant prétendument survenus entre le 1er décembre 2011 et le 3 décembre 2011, n'avaient pu être commis à cette période, les pièces du dossier n'excluaient pas qu'ils aient pu se produire un an et demi plus tard, soit entre le 6 juin 2013 et le 7 juin 2013, sans constater que Monsieur [G] avait accepté de comparaître volontairement sur des faits qui auraient été commis à une période distincte de celle visée à la prévention, la cour d'appel, qui a privé Monsieur [G] de la possibilité de préparer sa défense, en réunissant les éléments propres à établir que les faits dénoncés n'avaient, pas plus, pu se dérouler à cette date, a violé l'article 388 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6, § 1 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que la personne poursuivie ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'en déclarant Monsieur [G] coupable d'agression sexuelle incestueuse sur une personne majeure, sans l'avoir invité à se défendre sur cette circonstance aggravante qu'elle a retenue d'office sur le fondement de l'article 222-22-3 du code pénal, la cour d'appel a violé l'article 388 du code de procédure pénale ;

3°/ que les viols et les agressions sexuelles ne sont qualifiés d'incestueux, lorsqu'ils sont commis par le partenaire lié à une tante ou un oncle de la victime par un pacte civil de solidarité, que si l'auteur a sur la victime une autorité de droit ou de fait ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer Monsieur [G] coupable d'agression sexuelle incestueuse, qu'il avait la qualité de personne liée à la tante de la victime par un pacte civil de solidarité, sans constater qu'il aurait eu une autorité de droit ou de fait sur la plaignante, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 222-22-3 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

Vu l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme :

7. Il résulte de ce texte que la personne poursuivie doit être informée, d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle et disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

8. En application de l'article 388 du code de procédure pénale, les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention (Crim., 19 avril 2005, pourvoi n° 04-83.879, Bull. crim. 2005, n° 135).
9. Lorsque la juridiction constate que le fait poursuivi n'a pas été commis à la date visée par la prévention, mais à une autre date qu'elle détermine, elle en demeure saisie.

10. Le fait n'étant alors pas distinct de celui visé par la prévention, il n'y a pas lieu de recueillir l'accord de la personne poursuivie pour être jugée sur ce fait commis à une autre date.

11. Cependant, hors le cas d'une erreur matérielle, la restitution au fait de son exacte date est de nature à emporter des conséquences juridiques au regard, notamment, de la qualification, de la prescription, de la détermination de la loi applicable ou de la compétence de la juridiction.

12. Modifiant les termes du débat devant la juridiction de jugement, elle affecte l'exercice de leurs droits par les parties.

13. En conséquence, les juges ne peuvent retenir, pour entrer en voie de condamnation, une date autre que celle visée par la prévention, sans que le prévenu ait été invité à s'expliquer sur cette modification.

14. En l'espèce, pour condamner M. [G] pour agression sexuelle aggravée, après avoir constaté la réalité du fait dénoncé, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'a pu être commis en 2011, comme l'indique la citation, mais l'a été dans la nuit du 6 au 7 juin 2013.

15. Les juges ajoutent que la question de la date du fait a été longuement discutée au cours des débats, de manière contradictoire, de sorte qu'il y a lieu de retenir cette dernière date.

16. En l'état de ces motifs, qui n'établissent pas que le prévenu ait été informé que les juges pouvaient le déclarer coupable du fait poursuivi, commis à cette autre date, ni qu'il ait été invité à s'expliquer sur cette modification et ses conséquences, qui n'ont pas été mises dans le débat, un renvoi pouvant, au besoin, être ordonné à cette fin, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Vu les articles 222-22-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

18. Selon le premier de ces textes, les viols et les agressions sexuelles sont
qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis par le partenaire lié par un pacte
civil de solidarité à l'ascendant, le frère, la soeur, l'oncle, la tante, le grand-oncle, la grand-tante, le neveu ou la nièce de la victime, s'il a sur cette dernière une autorité de droit ou de fait.

19. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres
à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut
à leur absence.

20. Pour qualifier d'incestueuse l'agression sexuelle commise par le prévenu,
l'arrêt attaqué se borne à relever que celle-ci l'a été par lui en qualité de personne liée par un pacte civil de solidarité à la tante de la victime.

21. En l'état de ce seul motif, qui ne caractérise pas l'existence d'une autorité, de droit ou de fait, de l'auteur sur la victime, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

22. La cassation est à nouveau encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 15 novembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille vingt-trois.

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