9 mars 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 22/16435

Pôle 1 - Chambre 10

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10



ARRÊT DU 09 MARS 2023

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/16435 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGNYR



Décision déférée à la cour :

Jugement du 13 septembre 2022-Juge de l'exécution de Melun-RG n° 22/00648



APPELANTS



Madame [W] [S] [E] épouse [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Monsieur [Z] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]



S.C.I. Ginger Cats 1

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentés par Me Ariane Sic Sic de la selarl Blob avocats, avocat au barreau de Paris, toque : C1477



INTIMÉS



Madame [M] [X] épouse [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Mylène COHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0840



Monsieur [U] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représenté par Me Mylène Cohen, avocat au barreau de Paris, toque : D0840



COMPOSITION DE LA COUR



En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 février 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Catherine Lefort, conseiller, chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Bénédicte Pruvost, président

Madame Catherine Lefort, conseiller

Monsieur Raphaël Trarieux, conseiller



GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier





ARRÊT

-contradictoire

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Bénédicte Pruvost, président et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.




PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Par jugement du 5 février 2021, le tribunal de proximité de Juvisy-sur-Orge a notamment :

- constaté la résiliation de plein droit du bail signé le 6 mars 2009 entre M. [Z] [O] [Y] et Mme [W] [S] [E] épouse [Y] d'une part, et M. [U] [J] et Mme [M] [X] épouse [J] d'autre part, concernant un logement situé à [Localité 4] (91), par application de la clause résolutoire,

- ordonné l'expulsion de M. et Mme [J],

- condamnés solidairement M. et Mme [J] à verser :

- à M. et Mme [Y] la somme de 7.740 euros au titre de l'arriéré locatif jusqu'à l'échéance du mois de juin 2018 incluse,

- à la SCI Ginger Cats 1 la somme de 24.543,04 euros au titre de l'arriéré locatif jusqu'à l'échéance du mois d'octobre 2020 incluse,

- à la SCI Ginger Cats, Mme [Y] et M. [Y] une indemnité mensuelle d'occupation de 883,90 euros à compter du mois de novembre 2020 et jusqu'à complète libération des lieux, ainsi que la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Les époux [J] ont fait appel de ce jugement, mais par ordonnance du 2 juin 2021, le premier président de la cour d'appel de Paris a rejeté leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire et a ordonné la radiation de l'affaire en application de l'article 526 du code de procédure civile.



M. et Mme [J] ont quitté les lieux en avril 2021.



Une saisie-attribution et une saisie-vente ont été pratiquées à l'encontre de M. et Mme [J].



Par acte d'huissier du 1er février 2022, M. et Mme [J] ont fait assigner la SCI Ginger Cats 1 et M. et Mme [Y] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Melun aux fins d'obtenir des délais de paiement de 36 mois.



Par jugement du 13 septembre 2022, le juge de l'exécution a :


autorisé M. et Mme [J] à s'acquitter des sommes dues en exécution du titre susvisé par trente-cinq versements de 600 euros le 10 de chaque mois, la première fois le 10 du mois suivant celui de la notification de la présente décision, et un trente-sixième versement comprenant le solde, les frais et les intérêts qui seront payés en dernier ;

rappelé que les délais ainsi accordés entraînent la suspension des mesures d'exécution prises pour le paiement des sommes dues en vertu de ce titre ;

dit qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité à son échéance exacte, la totalité des sommes dues deviendra immédiatement exigible et les mesures d'exécution pourront être reprises ;

dit que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt au taux légal et que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital ;

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

laissé à chaque partie la charge de ses dépens.






Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a retenu que M. et Mme [J] étaient dans l'impossibilité financière de régler leur dette en un seul règlement dans la mesure où M. [J] était sans revenu, Mme [J] percevait des indemnités de chômage, ils percevaient des prestations de la CAF et avaient à leur charge quatre enfants.



Par déclaration du 21 septembre 2022, la SCI Ginger Cats et M. et Mme [Y] ont formé appel de ce jugement.



Dans leurs dernières conclusions du 26 janvier 2023, la SCI Ginger Cats et M. et Mme [Y] demandent à la cour d'appel de :


infirmer le jugement du 13 septembre 2022 en toutes ses dispositions ;


Statuant à nouveau,


débouter M. et Mme [J] de leurs demandes tendant à obtenir des délais de trente-six mois pour s'acquitter de leur dette, l'exonération de la majoration du taux d'intérêt légal au titre de l'article L.313-3 du code monétaire et financier et l'imputation des paiements d'abord sur le capital ;

condamner solidairement M. et Mme [J] à leur verser la somme de 2.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner solidairement M. et Mme [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel.




Les appelants soutiennent que :


M. et Mme [J] sont d'une particulière mauvaise foi puisqu'ils dissimulent leurs revenus réels depuis l'origine du litige dans la mesure où ils n'expliquent pas comment ils peuvent payer un nouveau loyer de 1.200 euros, aucun justificatif de revenus récent n'a été fourni devant le premier juge, et M. [J] tire des avantages financiers de la société au sein de laquelle il se comporte comme gérant alors qu'il n'en est officiellement que le salarié en raison d'une interdiction de gérer de treize ans ;

M. [J] n'apporte pas la preuve de ce qu'il a effectué des chantiers qui le rendraient créancier de M. et Mme [Y], ce qu'ils contestent fermement ;

M. et Mme [J] n'ont jamais payé spontanément ;

il ne justifient toujours pas devant la cour de leurs revenus et charges actuels.




Dans leurs dernières conclusions du 25 janvier 2023, M. et Mme [J] demandent à la cour d'appel de :


confirmer le jugement du 13 septembre 2022 en toutes ses dispositions ;

condamner solidairement M. et Mme [Y] et la SCI Ginger Cats 1 au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.




Les intimés font valoir que :


leurs revenus sont insuffisants pour solder en un seul versement les sommes qui leur sont réclamées puisque M. [J] perçoit un salaire mensuel de 1.626,25 euros, que Mme [J] perçoit un salaire mensuel de 853 euros et qu'ils perçoivent de la CAF une somme mensuelle de 1.499 euros ;

ils ont quatre enfants qui vivent au foyer familial et ont un loyer de 1.200 euros ;

ils sont créanciers de M. et Mme [Y] pour un montant de 80.000 euros en raison de travaux réalisés par M. [J] dans l'appartement, ce que M. et Mme [Y] reconnaissent dans le compromis de vente notarié du 28 octobre 2014, et pour un montant de 70.000 euros en raison de travaux réalisés par M. [J] dans un appartement situé à Draveil, ce que M. et Mme [Y] reconnaissent dans une reconnaissance de dette, étant précisé que le tribunal judiciaire d'Evry devrait prochainement se prononcer sur ce point.









MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur les délais de paiement



L'article 510 alinéa 3 du code de procédure civile donne compétence au juge de l'exécution pour accorder un délai de grâce, après signification d'un commandement ou d'un acte de saisie. De même, l'article R.121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution dispose notamment que le juge de l'exécution peut, après la signification du commandement ou de l'acte de saisie, accorder un délai de grâce.



Il résulte de l'article 1343-5 du code civil que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues, dans la limite de deux années.



Le premier juge a fait droit à la demande de délais sur 36 mois après avoir pourtant rappelé les termes de l'article 1343-5 du code civil.



Si l'article 24 V de la loi du 6 juillet 1989 permet au juge d'accorder au locataire en situation de régler sa dette locative des délais de paiement dans la limite de trois années par dérogation à l'article 1343-5 du code civil, ces délais, qui ont pour effet de suspendre les effets de la clause résolutoire en application des dispositions du VII de l'article 24, ne peuvent être accordés que par le juge du fond statuant sur le sort du bail d'habitation, et non par le juge de l'exécution, dont les pouvoirs, en matière de délais de paiement, sont limités par les articles 510 du code de procédure civile, R.121-1 du code des procédures civiles d'exécution et 1343-5 du code civil précités, et qui statue une fois que le bail est résilié, comme c'est le cas en l'espèce.



Les délais de paiement ne peuvent donc excéder 24 mois.



Les créanciers produisent un décompte de créance arrêté au 16 mars 2022 dont il ressort que la dette s'élevait à cette date à la somme de 45.276,24 euros.



Ils ne justifient pas de ce que les époux [J] pourraient payer leur dette en une seule fois. Au contraire, ces derniers apportent la preuve que M. [J] perçoit un salaire mensuel net avant impôt de 1.542 euros, que Mme [J] perçoit désormais un salaire net mensuel avant impôt de 830 à 873 euros par mois, et que la CAF leur verse des prestations familiales et sociales de 1.460 euros par mois, de sorte qu'il perçoivent des revenus mensuels d'un montant total d'environ 3.800 euros. Ils justifient en outre avoir un loyer de 1.200 euros charges comprises et avoir quatre enfants âgés désormais de 20, 18, 16 et 9 ans. Contrairement à ce soutiennent la SCI Ginger Cats 1 et les époux [Y], il est établi que les enfants majeurs sont toujours à la charge des époux [J], puisque l'attestation de paiement de la CAF mentionne les quatre enfants parmi les personnes prises en compte pour le calcul des droits.



C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu que M. et Mme [J] étaient dans l'impossibilité de régler de la dette en une fois et leur situation financière n'a pas sensiblement évolué depuis la première instance même si Mme [J] a retrouvé un emploi.



D'ailleurs, il est constant que les mesures d'exécution ont été infructueuses, si bien que le fait que les époux [J] ne produisent pas leur avis d'imposition n'est pas décisif.



Les appelants n'apportent pas la preuve que M. [J] se comporterait comme le gérant de fait de la société Technibat qui l'emploie comme maçon, étant précisé qu'il n'est qu'actionnaire minoritaire. A supposer que ce soit le cas à la suite de l'interdiction de gérer dont il a fait l'objet en 2010 (et qui est établie), rien ne permet d'affirmer qu'il en percevrait une rémunération supplémentaire.

Enfin, les appelants ne soutiennent pas que les délais de paiement accordés par le juge de l'exécution ne seraient pas respectés par les débiteurs.



Par ailleurs, le délai maximum légal de 24 mois ne suffit certes pas à apurer la dette (de même que le délai de 36 mois accordé à tort par le premier juge), mais M. et Mme [J] ont engagé une action en paiement à l'encontre de M. et Mme [Y] devant le tribunal judiciaire d'Evry pour un montant total de 150.000 euros de sorte qu'ils justifient d'une perspective de retour à meilleure fortune à moyen terme.



C'est donc à juste titre que le juge de l'exécution a accordé des délais de paiement aux époux [J]. Cependant le jugement sera infirmé en ce que les délais ont été accordés sur 36 mois, la durée devant être réduite à 24 mois.



Par ailleurs, l'article 1343-5 alinéa 2 du code civil permet au juge d'ordonner, par décision spéciale et motivée, que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital. En l'espèce, le premier juge a ordonné l'imputation des paiements d'abord sur le capital sans motiver sa décision sur ce point. Cependant, compte tenu de la situation financière délicate des débiteurs en l'espèce et afin d'assurer l'efficacité des délais de paiement accordés sans trop alourdir leur dette, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.



Enfin, il résulte de l'alinéa 4 de l'article 1343-5 que les majorations d'intérêt ne sont pas encourues pendant les délais accordés par le juge. Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a dit que les intérêts courront au taux légal, la majoration de cinq points prévue par l'article L.313-3 du code monétaire et financier ne pouvant être appliquée pendant la durée des délais. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.



Sur les demandes accessoires



Succombant en leur appel, la SCI Ginger Cats 1 et les époux [Y] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.



Il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. La demande de M. et Mme [J] fondée sur l'article 700 sera donc rejetée.



PAR CES MOTIFS,



La Cour,



INFIRME le jugement rendu le 13 septembre 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Melun en ce qu'il a autorisé M. [U] [J] et Mme [M] [X] épouse [J] à s'acquitter des sommes dues par trente-cinq versements de 600 euros et un trente-sixième versement comprenant le solde, les frais et les intérêts qui seront payés en dernier,



Statuant à nouveau sur ce seul chef,



AUTORISE M. [U] [J] et Mme [M] [X] épouse [J] à s'acquitter des sommes dues à la SCI Ginger Cats 1, M. [Z] [O] [Y] et Mme [W] [S] [E] épouse [Y] par 23 versements de 600 euros et un 24è versement comprenant le solde, les frais et les intérêts qui seront payés en dernier,



CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,











Y ajoutant,



DEBOUTE M. [U] [J] et Mme [M] [X] épouse [J] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE in solidum la SCI Ginger Cats 1, M. [Z] [O] [Y] et Mme [W] [S] [E] épouse [Y] aux entiers dépens d'appel.



Le greffier, Le président,

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