9 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.322

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C200241

Texte de la décision

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mars 2023




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 241 F-D

Pourvoi n° M 21-19.322




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 MARS 2023

M. [C] [V] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 21-19.322 contre l'arrêt rendu le 12 mai 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile - section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à M. [R] [G], domicilié [Adresse 6],

3°/ à la Collectivité de Corse p, dont le siège est [Adresse 5],

4°/ à la Caisse des dépôts et consignations, dont le siège est [Adresse 3], ayant un établissement secondaire [Adresse 8],

5°/ à la société MGEN - section Corse du Sud, dont le siège est [Adresse 7],

6°/ à la Mutualité de la fonction publique (MFP), dont le siège est [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [T], de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 12 mai 2021), le 1er novembre 2012, M. [T] a été percuté par un véhicule conduit par M. [G], assuré par la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne (la société Groupama).

2. M. [T] a assigné M. [G] et la société Groupama devant un tribunal de grande instance en réparation de ses préjudices.

3. Par jugement du 10 septembre 2015, le tribunal ayant constaté l'intervention volontaire, en qualité de tiers payeur, de la Collectivité de Corse, a notamment jugé que M. [G] était tenu à réparation des conséquences dommageables dont M. [T] avait été victime et ordonné une expertise médicale.

4. Le 3 mai 2016, M. [T] a appelé en cause la Mutuelle générale de l'éducation nationale, section Corse du Sud, la Mutualité de la fonction publique, ainsi que la Caisse des dépôts et consignations.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [T] fait grief à l'arrêt de condamner in solidum M. [G] et la société Groupama à lui verser la somme de 189 930,74 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision, alors « que le juge doit réparer l'entier préjudice de la victime, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que, si la perte éprouvée ne peut être fixée qu'en fonction des pertes de gains professionnels perçus à l'époque de l'incapacité totale temporaire ou partielle de travail, les juges du fond doivent procéder si elle est demandée, à l'actualisation au jour de leur décision de l'indemnité allouée en réparation de ce préjudice en fonction de la dépréciation monétaire ; qu'en se fondant, pour fixer le montant des dommages-intérêts dus au titre de la perte de gains professionnels futurs, sur le « salaire moyen antérieur » de M. [T], sans procéder à l'actualisation au jour de sa décision de l'indemnité allouée en réparation de ce préjudice, sollicitée par la victime, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime :

6. En application de ce principe, il incombe au juge d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il rend sa décision. Le préjudice économique subi par la victime doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date et les juges du fond doivent procéder, si elle est demandée, à l'actualisation, au jour de leur décision, de l'indemnité allouée en réparation de ce préjudice en fonction de la dépréciation monétaire.

7. Pour fixer à une certaine somme la perte de gains professionnels futurs de M. [T], l'arrêt énonce que ce dernier se fonde sur le salaire moyen antérieur qui lui était versé jusqu'au 31 mars 2016.

8. En statuant ainsi, sans se fonder sur le salaire auquel aurait eu droit M. [T] au jour de la décision, alors qu'il avait sollicité l'actualisation de son salaire, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. M. [T] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge doit réparer l'entier préjudice de la victime, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que la victime privée de sa capacité à percevoir des gains professionnels subit également une perte de ses droits à la retraite ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a limité l'indemnisation de M. [T] au titre de la perte de gains professionnels futurs jusqu'à l'âge de la retraite aux motifs que cette perte de droits à la retraite serait examinée au titre de l'incidence professionnelle qu'elle a pourtant rejetée sans se prononcer sur ce point ; qu'en s'abstenant ainsi d'indemniser la perte des droits à la retraite subie par M. [T], après avoir pourtant constaté que ce dernier avait été radié des cadres à la suite de l'accident, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

10. Pour limiter l'indemnisation de M. [T] au titre de la perte de gains professionnels futurs jusqu'à l'âge de la retraite, l'arrêt retient que la perte de droits à la retraite sera examinée au titre de l'incidence professionnelle.

11. En statuant ainsi, en capitalisant la perte de gains professionnels futurs sur la base d'un euro de rente temporaire, alors que la victime en avait sollicité la capitalisation viagère pour réparer la perte de ses droits à la retraite, la cour d'appel, qui n'a pas examiné ce préjudice au titre du poste d'incidence professionnelle, a violé le principe susvisé.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. M. [T] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en cas d'inaptitude définitive à toute activité professionnelle, l'indemnisation de l'incidence professionnelle comprend celle de la perte d'identité sociale et du préjudice lié au désoeuvrement social qu'entraîne l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle ; qu'en rejetant la demande de M. [T] au titre de l'incidence professionnelle, au motif que le préjudice décrit relatif à la perte d'identité sociale et de désoeuvrement en raison de l'inaptitude à reprendre son emploi était étranger au préjudice d'incidence professionnelle, qui concernait seulement la dévalorisation sur le marché du travail, l'augmentation de la pénibilité de l'emploi ou la perte de chance d'accéder à un emploi plus favorable, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

13. Pour débouter M. [T] de sa demande au titre du préjudice d'incidence professionnelle, l'arrêt énonce que le préjudice décrit par M. [T], qui consiste en la perte des repères sociaux liés à son activité professionnelle et un état de désoeuvrement, est étranger au principe de la réparation d'une incidence professionnelle, qui concerne la dévalorisation sur le marché du travail et l'augmentation de la pénibilité de l'emploi, ou encore la perte de chance d'accéder à un emploi plus favorable.

14. En statuant ainsi, alors que le poste d'incidence professionnelle peut indemniser les conséquences de l'exclusion définitive de la victime du monde du travail et qu'elle avait constaté que M. [T], âgé de 50 ans au moment de l'accident, avait été radié des cadres et placé à la retraite le 23 octobre 2015, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

15. M. [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de doublement du taux d'intérêt, alors « qu'une offre d'indemnité jugée manifestement insuffisante ou incomplète peut être assimilée à une absence d'offre et justifier l'application de l'article L. 211-13 du code des assurances ; qu'en rejetant la demande de doublement du taux d'intérêt de M. [T], après avoir relevé que les offres d'indemnisation avaient été faites dans les délais légaux, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'offre provisionnelle du 27 mars 2013 à hauteur de 3 000 euros n'était pas manifestement insuffisante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances :

16. Il résulte de ces textes que l'assureur qui garantit la responsabilité du conducteur d'un véhicule impliqué dans un accident de la circulation est tenu de présenter à la victime une offre d'indemnité comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice et que lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis par le premier texte, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêts de plein droit, au double du taux de l'intérêt légal, à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.

17. Pour rejeter la demande de M. [T] au titre du doublement des intérêts, l'arrêt relève que les offres émises par la société Groupama ayant été faites dans les délais légaux, la demande n'est pas fondée.

18. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'offre provisionnelle présentée portait sur tous les éléments indemnisables du préjudice et n'était pas manifestement insuffisante, ainsi qu'il était soutenu par la victime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum M. [G] et la société Groupama à payer à M. [T] la somme de 189 930,74 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision, l'arrêt rendu le 12 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé en l'audience publique du neuf mars deux mille vingt-trois par Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et signé par elle, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour M. [T].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [T] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR condamné in solidum M. [G] et Groupama Rhône-Alpes-Auvergne à lui verser la seule somme de 189 930,74 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;

1°) ALORS QUE le juge doit réparer l'entier préjudice de la victime, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que, si la perte éprouvée ne peut être fixée qu'en fonction des pertes de gains professionnels perçus à l'époque de l'incapacité totale temporaire ou partielle de travail, les juges du fond doivent procéder si elle est demandée, à l'actualisation au jour de leur décision de l'indemnité allouée en réparation de ce préjudice en fonction de la dépréciation monétaire ; qu'en se fondant, pour fixer le montant des dommages-intérêts dus au titre de la perte de gains professionnels futurs, la sur le « salaire moyen antérieur » de M. [T] (arrêt, p. 9, al. 3), sans procéder à l'actualisation au jour de sa décision de l'indemnité allouée en réparation de ce préjudice, sollicitée par la victime (conclusions d'appel, p. 15), la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit ;

2°) ALORS QUE le juge doit réparer l'entier préjudice de la victime, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que la victime privée de sa capacité à percevoir des gains professionnels subit également une perte de ses droits à la retraite ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a limité l'indemnisation de M. [T] au titre de la perte de gains professionnels futurs jusqu'à l'âge de la retraite aux motifs que cette perte de droits à la retraite serait examinée au titre de l'incidence professionnelle qu'elle a pourtant rejetée sans se prononcer sur ce point (arrêt, p. 9 et 10) ; qu'en s'abstenant ainsi d'indemniser la perte des droits à la retraite subie par M. [T], après avoir pourtant constaté que ce dernier avait été radié des cadres à la suite de l'accident (arrêt, p. 9, al. 2), la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit ;

3°) ALORS QU' en cas d'inaptitude définitive à toute activité professionnelle, l'indemnisation de l'incidence professionnelle comprend celle de la perte d'identité sociale et du préjudice lié au désoeuvrement social qu'entraîne l'impossibilité d'exercer toute activité professionnelle ; qu'en rejetant la demande de M. [T] au titre de l'incidence professionnelle, au motif que le préjudice décrit relatif à la perte d'identité sociale et de désoeuvrement en raison de l'inaptitude à reprendre son emploi était étranger au préjudice d'incidence professionnelle, qui concernait seulement la dévalorisation sur le marché du travail, l'augmentation de la pénibilité de l'emploi ou la perte de chance d'accéder à un emploi plus favorable (arrêt, p. 9), la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit.

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [T] reproche à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté sa demande de doublement du taux d'intérêt ;

1°) ALORS QU'une offre d'indemnité jugée manifestement insuffisante ou incomplète peut être assimilée à une absence d'offre et justifier l'application de l'article L. 211-13 du code des assurances ; qu'en rejetant la demande de doublement du taux d'intérêt de M. [T], après avoir relevé que les offres d'indemnisation avaient été faites dans les délais légaux, sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions, p. 25 et 26), si l'offre provisionnelle du 27 mars 2013 à hauteur de 3 000 euros n'était pas manifestement insuffisante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances ;

2°) ALORS QUE la demande de doublement du taux d'intérêt légal en cas de non-respect du délai d'indemnisation constitue le complément de la demande d'indemnisation formée contre le responsable et son assureur en première instance ; qu'en jugeant, pour rejeter la demande de doublement du taux d'intérêt formulée par M. [T], que cette demande n'avait pas été formulée devant le premier juge (arrêt, p. 10, dernier alinéa), la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile.

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