9 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.045

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C200236

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mars 2023




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 236 F-D

Pourvoi n° Z 21-16.045




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 MARS 2023

M. [J] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-16.045 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2021 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Thélem assurances, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société Apivia mutuelle, dont le siège est [Adresse 4],

4°/ à la société SMIP, dont le siège est [Adresse 5], devenue la société Apivia mutuelle,

5°/ à la société Pacifica, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [G], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Thélem assurances, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 19 janvier 2021) et les productions, le 8 février 2010, M. [G], qui pilotait une motocyclette assurée par la société Macif, a été victime d'un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par Mme [U], assuré par la société Thélem assurances (l'assureur). Les séquelles de cet accident l'ont obligé à renoncer à une carrière au sein de la gendarmerie nationale, alors qu'il devait intégrer une école de sous-officiers le 21 février 2010.

2. Sur la base d'un rapport d'expertise médicale déposé le 23 avril 2015, ayant fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. [G] au 5 janvier 2015, l'assureur lui a présenté, le 1er décembre 2016, une offre d'indemnisation provisionnelle.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances :

5. Il résulte de ces textes que l'assureur qui garantit la responsabilité du conducteur d'un véhicule impliqué dans un accident de la circulation est tenu de présenter à la victime, dans les délais impartis, une offre d'indemnité qui doit comprendre tous les éléments indemnisables du préjudice et qu'à défaut, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produira intérêts de plein droit, au double du taux de l'intérêt légal, à l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.

6. Pour fixer au 1er décembre 2016 le terme de la sanction du doublement des intérêts au taux légal des indemnités qu'il allouait à M. [G], l'arrêt constate que l'assureur, qui n'a pas formulé d'offre, ne peut utilement soutenir que cette sanction a pour assiette le montant des sommes qu'il a offertes.

7. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses propres constatations que l'assureur n'avait formulé aucune offre et qu'elle se prononçait le 19 janvier 2021, la cour d'appel a violé les textes susvisés.


Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

M. [G] fait grief à l'arrêt de condamner l'assureur du conducteur impliqué dans l'accident de la circulation à lui payer, au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs, les sommes respectivement limitées à 53 541,75 euros et 45 351,55 euros, alors « que le préjudice doit donner lieu à réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a intégré dans l'assiette des pertes de gains professionnels actuels et futurs une « moitié (seulement) du montant des loyers » que l'exposant devrait désormais régler pour avoir été définitivement empêché par l'accident de devenir officier de gendarmerie attributaire d'un logement de fonction gratuit, au prétexte que « l'autre moitié (était) supportée par sa compagne, cotitulaire du bail », le fait que celle-ci ne « règle aucune part » résultant d'un « choix » des « concubins » ; qu'en n'indemnisant que partiellement la privation pourtant totale pour la victime, indépendamment de son statut conjugal, de sa perte du bénéfice financier résultant d'un hébergement gratuit, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale, en violation de l'article 1382 du code civil devenu article 1240 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime :

8. Pour fixer à 53 541,75 euros les pertes de gains professionnels actuels subies par M. [G] et à 45 351,55 euros ses pertes de gains professionnels futurs, après avoir constaté, en substance, que, pendant toute sa carrière au sein de la gendarmerie nationale, il aurait été logé gratuitement avec sa compagne, l'arrêt retient qu'il doit être tenu compte de cette perte à hauteur de la moitié du montant des loyers qu'il justifie acquitter, l'autre moitié étant supportée par sa compagne.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la perte de l'avantage constitué par un logement gratuit pour lui et sa compagne pendant sa scolarité et jusqu'à sa retraite était la conséquence directe de son inaptitude définitive à la profession de gendarme résultant de l'accident dont il avait été victime, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, d'une part, il condamne la société Thélem à payer à M. [G] la somme de 53 541,75 euros au titre de ses pertes de gains professionnels actuels et celle de 45 351,55 euros au titre de ses pertes de gains professionnels futurs, d'autre part, il dit que la somme de 967 921,94 euros au titre des dépenses de santé futures constitue avec les autres indemnités allouées à la victime l'assiette de la pénalité du doublement des intérêts au taux légal prononcée par le tribunal pour la période du 9 octobre 2010 au 1er décembre 2016, l'arrêt rendu le 19 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;

Condamne la société Thélem assurances aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [G] à l'encontre de la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire, de la société Apivia mutuelle, de la société SMIP, devenue la société Apivia mutuelle, et de la société Pacifica et par la société Thélem assurances et condamne cette dernière à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé en l'audience publique du neuf mars deux mille vingt-trois par Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et signé par elle, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [G]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que le doublement des intérêts au taux légal encouru par l'assureur (la société Thelem) du conducteur impliqué dans un accident de la circulation, pour n'avoir pas formulé dans les délais impartis une offre complète et suffisante d'indemnisation de la victime (M. [G], l'exposant), s'appliquait aux indemnités allouées pour la période du 9 octobre 2010 au 1er décembre 2016 ;

ALORS QUE, en cause d'appel (v. ses concl. récapitulatives n° 4, p. 28, in fine, pp. 29 et 30, prod.), l'exposant faisait valoir qu'au « 1er décembre 2016 » l'assureur du conducteur impliqué ne lui avait présenté dans « ses conclusions d'incident » et dans les délais impartis, aucune offre « suffisante » au sens des « articles L 211-9 et L 211-13 du code des assurances », permettant « l'expiration » à cette date « de la sanction » du doublement des intérêts au taux légal ; qu'en énonçant que cette sanction avait pour terme la date du « 1er décembre 2016 », tout en délaissant cette contestation pourtant déterminante de la victime, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir condamné l'assureur (la société Thelem) du conducteur impliqué dans un accident de la circulation à payer à la victime (M. [G], l'exposant), au titre des dépenses de santé futures, une somme limitée à 967 921,94 euros ;

ALORS QUE, conformément au principe de la réparation intégrale, le juge doit se placer au jour où il statue pour déterminer les modalités d'actualisation et d'indexation des indemnités allouées à la victime d'un accident de la circulation ; qu'en l'espèce, pour actualiser les indemnités accordées à l'exposant au titre de ses dépenses de santé futures, l'arrêt attaqué a fait « application » d'un barème « publié en 2018 par la Gazette du Palais » ; qu'en refusant de la sorte d'appliquer les taux de capitalisation les plus proches du jour où elle statuait, résultant du nouveau barème publié en 2020 par la Gazette du Palais, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale, en violation de l'article 1382 du code civil devenu article 1240 du même code.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, d'avoir condamné l'assureur (la société Thelem) du conducteur impliqué dans un accident de la circulation à payer à la victime (M. [G], l'exposant), au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs, les sommes respectivement limitées à 53 541,75 euros et 45 351,55 euros ;

ALORS QUE le préjudice doit donner lieu à réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a intégré dans l'assiette des pertes de gains professionnels actuels et futurs une « moitié (seulement) du montant des loyers » que l'exposant devrait désormais régler pour avoir été définitivement empêché par l'accident de devenir officier de gendarmerie attributaire d'un logement de fonction gratuit, au prétexte que « l'autre moitié (était) supportée par sa compagne, cotitulaire du bail », le fait que celle-ci ne « règle aucune part » résultant d'un « choix » des « concubins » ; qu'en n'indemnisant que partiellement la privation pourtant totale pour la victime, indépendamment de son statut conjugal, de sa perte du bénéfice financier résultant d'un hébergement gratuit, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale, en violation de l'article 1382 du code civil devenu article 1240 du même code.

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