8 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-18.829

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00162

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Organes - Liquidateur - Pouvoirs - Action paulienne - Exercice - Recevabilité - Applications diverses - Répartition des dividendes profitant exclusivement à certains créanciers

Lorsqu'un acte frauduleux a eu pour effet de soustraire un bien du patrimoine du débiteur soumis à la liquidation judiciaire et de réduire ainsi le gage commun des créanciers, le liquidateur, qui représente l'intérêt collectif des créanciers, a qualité pour exercer l'action paulienne, y compris lorsque la répartition des dividendes profite exclusivement à certains des créanciers

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Liquidation judiciaire - Créanciers - Représentation - Liquidateur - Attributions - Action paulienne - Portée

ACTION PAULIENNE - Demandeur - Créancier - Redressement ou liquidation judiciaire du débiteur - Représentant - Exercice - Possibilité

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 mars 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 162 F-B

Pourvoi n° A 21-18.829




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 MARS 2023

La société Sainte Germaine 3, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-18.829 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d'appel de Toulouse (2e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société [T] et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de M. [T], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société A3X Promotion,

2°/ à la société Groupe Pacfa, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Sainte Germaine 3, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société [T] et associés, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 2 juin 2021), la société Akerys s'est engagée courant 2004 à acheter à la société A3X Promotion (la société A3X) deux parcelles de terrains pour lesquels elle a versé la somme de 611 000 euros à titre d'indemnité d'immobilisation. La vente n'ayant pu se réaliser, la société Akerys a assigné la société A3X en remboursement de cette somme. Par ailleurs, en 2010, la société Groupe Pacfa, qui avait convenu avec la société A3X d'un projet de promotion immobilière portant sur les parcelles litigieuses moyennant le versement d'un acompte de 250 000 euros, a demandé le remboursement de cette somme à la société A3X après l'échec de l'opération, le montant étant garanti par une hypothèque de premier rang sur les parcelles.

2. Le 13 juin 2012, la société A3X, représentée par son gérant M. [V], a effectué un apport en nature des terrains litigieux à la société Sainte Germaine 3, représentant la quasi-totalité des parts d'une société constituée avec la fille de ce dernier, Mme [Z] [V], laquelle a, le 21 août suivant, acquis de la société A3X la quasi-totalité des parts de cette dernière. Les dernières parts ont été cédées à l'épouse du gérant le 31 mars 2013.

3. Les 23 et 30 août 2013, la société Akerys, qui avait été autorisée à inscrire une hypothèque provisoire de second rang sur les immeubles litigieux à l'encontre de la société Sainte Germaine 3, a assigné cette dernière ainsi que la société A3X en inopposabilité de l'apport en société sur le fondement de la fraude paulienne.

4. Les 5 avril et 5 juillet 2016, la société A3X a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la société [T] et associés étant désignée liquidateur. Le 10 avril 2017, le liquidateur a assigné la société Sainte Germaine 3 « en nullité pour fraude paulienne » de l'apport en nature effectué par la société A3X au profit de la société Sainte Germaine 3.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. La société Sainte Germaine 3 fait grief à l'arrêt de déclarer inopposable à la procédure collective de la société A3X, pour cause de fraude paulienne, l'apport en nature des parcelles effectué le 13 juin 2012 par la société A3X, d'ordonner la publication de l'arrêt et la réintégration des parcelles dans le périmètre de la liquidation judiciaire de la société A3X, et de dire que le liquidateur pourra appréhender entre les mains de la société Sainte Germaine 3 les parcelles précitées et procéder à leur réalisation suivant les règles inhérentes au droit des procédures collectives, alors « que le liquidateur du débiteur n'est pas recevable à exercer l'action paulienne, faute de pouvoir prétendre agir dans l'intérêt collectif des créanciers, dans une hypothèse où seule une partie des créanciers a intérêt à voir juger que l'acte attaqué leur est inopposable pour cause de fraude paulienne ; qu'en jugeant que le liquidateur était recevable à agir dans l'intérêt collectif des créanciers, après avoir constaté que les deux terrains dont l'apport en nature était contesté faisaient l'objet de deux hypothèques, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si l'inopposabilité de l'apport en nature allait profiter à l'ensemble des créanciers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-20 du code de commerce et de l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

7. Le liquidateur, qui représente l'intérêt collectif des créanciers en application de l'article L. 622-20 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-4 du même code, a qualité pour exercer l'action paulienne contre un acte frauduleux ayant eu pour effet de soustraire un bien du patrimoine du débiteur soumis à la liquidation judiciaire et de réduire ainsi le gage commun des créanciers, y compris lorsque la répartition des dividendes profite exclusivement à certains d'entre eux.

8. Ayant retenu qu'en transférant, sous le couvert d'un apport en nature, son patrimoine immobilier dans celui de la société Sainte Germaine 3, puis en se dépouillant progressivement de l'ensemble de ses parts sociales de cette société au bénéfice des parents de son gérant au moyen d'une compensation fictive dénuée de contrepartie, la société A3X avait accompli un acte en fraude aux droits de ses créanciers, la cour d'appel qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a légalement justifié sa décision de déclarer cet apport en nature inopposable à la procédure collective de la société A3X peu important que cette inopposabilité n'allait pas profiter à l'ensemble des créanciers.

9. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sainte Germaine 3 aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sainte Germaine 3 et la condamne à payer à la société [T] et associés, en qualité de liquidateur judiciaire de la société A3X Promotion, la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Sainte Germaine 3.

La SARL Sainte Germaine 3 fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré inopposable à la procédure collective de la société A3X Promotion, pour cause de fraude paulienne, l'apport en nature effectué le 13 juin 2012 par la société A3X Promotion, des parcelles sises à Colomiers, au lieudit Triguebeurre, cadastrées section [Cadastre 6] et [Cadastre 4], d'une contenance de 1ha 46a 58 ca, en contrepartie duquel cette société a obtenu 22.346 parts sociales de la société Sainte Germaine 3, numérotées 1 à 22346, ordonné la publication du présent arrêt au service de la publicité foncière de Toulouse 2, en marge de la publication de l'apport et de l'acte d'acquisition effectué par la société A3X, le 29 septembre 2012, ordonné par voie de conséquence la réintégration des parcelles précitées, ; sises à [Localité 5], cadastrées section [Cadastre 6] et [Cadastre 4], dans le périmètre de la liquidation judiciaire de la société A3X, dit que le liquidateur pourra appréhender entre les mains de la société Sainte Germaine 3 les parcelles précitées et procéder à leur réalisation suivant les règles inhérentes au droit des procédures collectives et condamné la société Sainte Germaine 3 aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'aux frais de publication de l'assignation et du présent arrêt au service de la publicité foncière de [Localité 7] 2 ;

1°) ALORS QUE pour déterminer s'il y a eu fraude paulienne, les juges doivent se placer à la date de l'acte attaqué ; qu'en ne prenant pas en considération le seul acte d'apport dont l'inopposabilité pour fraude paulienne était demandée, mais l'ensemble des actes subséquents qui n'étaient pas attaqués pour fraude paulienne, et ne se plaçant ainsi pas à la date de l'acte par lequel le débiteur se serait dépouillé pour déterminer s'il y a ou non fraude paulienne, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE lorsque l'acte argué de fraude est un acte à titre onéreux, le créancier qui exerce l'action paulienne doit prouver que toutes les parties à l'acte avaient une intention frauduleuse ; qu'en déclarant inopposable à la procédure collective de la société A3X pour fraude paulienne l'apport en nature effectué le 13 juin 2012 par la société A3X, tout en relevant que cet apport en nature avait une contrepartie réelle non sous-évaluée et sans constater l'intention frauduleuse de la société A3X et de la société Sainte Germaine, à savoir la connaissance que le débiteur et son cocontractant à titre onéreux avaient du préjudice causé au créancier par l'acte litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE le liquidateur du débiteur n'est pas recevable à exercer l'action paulienne, faute de pouvoir prétendre agir dans l'intérêt collectif des créanciers, dans une hypothèse où seule une partie des créanciers a intérêt à voir juger que l'acte attaqué leur est inopposable pour cause de fraude paulienne ; qu'en jugeant que le liquidateur était recevable à agir dans l'intérêt collectif des créanciers, après avoir constaté que les deux terrains dont l'apport en nature était contesté faisaient l'objet de deux hypothèques, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé (conclusions, p. 21, § 2 et s.), si l'inopposabilité de l'apport en nature allait profiter à l'ensemble des créanciers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-20 du code de commerce et de l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.