8 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-18.722

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00161

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Redressement judiciaire - Période d'observation - Suspension de la procédure de saisie immobilière - Portée - Actes de procédure et juridictionnels afférents à cette procédure - Actes antérieurs au jugement d'ouverture - Maintien

Il résulte de la combinaison de l'article L. 622-21, II, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14, et des articles L. 642-18, alinéa 2, et L. 643-2, alinéas 1 et 3, du même code que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire entraîne la suspension de la procédure de saisie immobilière en cours à la date du jugement d'ouverture. Cette suspension emporte le maintien des actes de procédure et juridictionnels afférents à cette procédure intervenus avant le jugement d'ouverture. En conséquence, viole ces textes la cour d'appel qui constate l'arrêt de la saisie immobilière en cours à la date du jugement ouvrant le redressement judiciaire du débiteur saisi et, en conséquence, l'anéantissement rétroactif des actes d'exécution forcée, dont le commandement de payer valant saisie immobilière et le jugement d'orientation, en énonçant que l'article L. 642-18 ne s'applique pas au redressement judiciaire et qu'en cette matière, il résulte de l'article L. 622-21, II, que toute procédure de saisie qui n'a pas produit son effet attributif au jour du jugement d'ouverture se trouve arrêtée, et pas seulement suspendue comme en matière de liquidation judiciaire

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 mars 2023




Cassation partielle
sans renvoi


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 161 FS-B

Pourvoi n° J 21-18.722







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 MARS 2023

La société Banque populaire occitane, société coopérative de banque populaire, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° J 21-18.722 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel de Toulouse (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [S] [W], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société [N] et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [J] [N], prise en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire de M. [S] [W],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Banque populaire occitane SCBP, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, MM. Bedouet, Calloch, conseillers, Mmes Brahic-Lambrey, Kass-Danno, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 18 mars 2021), sur le fondement d'un acte notarié de prêt du 23 avril 2009, la société Banque populaire occitane SCBP (la banque) a, par un acte du 4 avril 2018 publié le 18 mai suivant, délivré un commandement de payer valant saisie immobilière à M. [W] sur l'immeuble lui appartenant.

2. Par un jugement d'orientation du 27 septembre 2018, un juge de l'exécution a fixé la créance de la banque à la somme de 166 509,21 euros, orienté la procédure de saisie immobilière en vente forcée et ordonné le renvoi de l'affaire à une audience d'adjudication ultérieure.

3. Le 27 novembre 2018, M. [W] a été mis en redressement judiciaire, la société [N] et associés (la société [N]) étant nommée en qualité de mandataire judiciaire.

4. Saisi par la banque, le juge de l'exécution a, par un jugement du 24 janvier 2019, constaté la suspension de la procédure de saisie immobilière en conséquence de ce redressement judiciaire.

5. Le 18 décembre 2019, la société [N], ès qualités, a formé tierce opposition à ce jugement, en demandant au juge de l'exécution de constater l'arrêt des poursuites du fait de l'ouverture du redressement judiciaire de M. [W] et, en conséquence, l'anéantissement rétroactif des actes de cette procédure d'exécution. La banque s'est opposée à ces demandes.

6. Le 21 janvier 2020, M. [W] a bénéficié d'un plan de redressement, la société [N] étant nommée commissaire à l'exécution du plan.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche


7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La banque fait grief à l'arrêt d'ordonner la rétractation du jugement du 24 janvier 2019, de constater l'arrêt de la procédure de saisie immobilière et l'anéantissement rétroactif des actes d'exécution forcée, dont le commandement aux fins de saisie immobilière, et de l'ensemble de la procédure de saisie immobilière, alors que « l'arrêt d'une saisie immobilière en cours à la date d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'emporte pas anéantissement rétroactif des actes de la procédure d'exécution forcée accomplis avant cette date ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21, II et L. 631-14 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 622-21, II, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14, et les articles L. 642-18, alinéa 2, et L. 643-2, alinéas 1 et 3, du même code :

9. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire entraîne la suspension de la procédure de saisie immobilière en cours à la date du jugement d'ouverture. Cette suspension emporte le maintien des actes de procédure et juridictionnels afférents à cette procédure intervenus avant le jugement d'ouverture.

10. Pour rétracter le jugement du 24 janvier 2019 ayant constaté la suspension de la saisie immobilière en cours par l'effet du jugement ouvrant le redressement judiciaire de M. [W], puis constater l'arrêt de cette procédure d'exécution et l'anéantissement rétroactif des actes d'exécution forcée, dont le commandement aux fins de saisie immobilière, et de l'ensemble de la procédure de saisie immobilière, l'arrêt énonce qu'il résulte de l'article L. 622-21, II, susvisé qu'en matière de redressement judiciaire, toute procédure de saisie qui n'a pas produit son effet attributif au jour du jugement d'ouverture se trouve arrêtée, et non seulement suspendue comme en matière de liquidation judiciaire, et que les dispositions de l'article L. 642-18, alinéa 2, susvisé ne s'appliquent pas au redressement judiciaire, dès lors qu'elles sont insérées dans une partie du code de commerce relatif à la liquidation judiciaire et au rétablissement personnel, et qu'elles ne font référence qu'au liquidateur. Après avoir constaté que la procédure de saisie immobilière engagée par la banque n'avait pas produit son effet attributif à la date du jugement ouvrant le redressement judiciaire de M. [W], l'arrêt en déduit, d'un côté, que ce jugement n'a pu qu'arrêter les poursuites en cours, ce qui justifie la rétractation du jugement du 24 janvier 2019 ayant constaté la suspension des poursuites, de l'autre, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la question de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement d'orientation en ce qu'il a fixé la créance de la banque et qu'il appartiendra aux organes de la procédure collective de trancher toute difficulté relative à la fixation des créances, cette demande n'ayant plus d'intérêt dès lors que, par l'effet de l'arrêt des poursuites, l'ensemble de la procédure de saisie immobilière se trouve rétroactivement anéanti, en ce compris le jugement d'orientation.

11. En statuant ainsi, alors que la procédure de saisie immobilière en cours à la date du jugement ouvrant le redressement judiciaire de M. [W] était seulement suspendue, de sorte que les actes de cette procédure intervenus avant le jugement d'ouverture conservaient leur fondement juridique et n'étaient pas rétroactivement anéantis, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. La procédure de saisie immobilière en cours ayant seulement été suspendue par le jugement ouvrant le redressement judiciaire de M. [W], doit être rejetée la tierce opposition formée par la société [N], ès qualités, qui tend à obtenir la rétractation du jugement du 24 janvier 2019 en ce qu'il a constaté la suspension de cette saisie immobilière, ainsi que les demandes de M. [W] et de la société [N], ès qualités, tendant à ce qu'il soit constaté que « l'arrêt » de cette procédure d'exécution emporte l'anéantissement rétroactif subséquent de la mesure d'exécution forcée et que le jugement d'orientation du 27 septembre 2018 n'a pas fixé la créance de la banque.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement entrepris, il déclare recevable la tierce opposition formée par la société [N] et associés, en qualité de mandataire judiciaire puis de commissaire à l'exécution du plan de M. [W], contre le jugement du juge de l'exécution du 24 janvier 2019, l'arrêt rendu le 18 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement du 9 juillet 2020 rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Toulouse ;

Y ajoutant, rejette les demandes de M. [W] ;

Condamne M. [W] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque populaire occitane SCBP ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-trois, et signé par lui et Mme Vaissette, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Banque populaire occitane SCBP.

La Banque Populaire Occitane fait grief à la décision infirmative attaquée d'avoir ordonné la rétractation du jugement du 24 janvier 2019, d'avoir constaté l'arrêt de la procédure de saisie immobilière entreprise selon le commandement du 4 avril 2018 et l'anéantissement rétroactif des actes d'exécution forcés, dont le commandement aux fins de saisie immobilière, et de l'ensemble de la procédure de saisie immobilière ;

alors 1/ que l'arrêt d'une saisie immobilière en cours à la date d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'emporte pas anéantissement rétroactif des actes de la procédure d'exécution forcée accomplis avant cette date ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21 II et L. 631-14 du code de commerce ;

alors 2/ que l'anéantissement rétroactif des actes d'une saisie immobilière en cours au jour de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire sur le fondement de l'arrêt des poursuites individuelles porte une atteinte disproportionnée au droit du créancier au respect de ses biens ; qu'en prononçant cet anéantissement, la cour d'appel a violé l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

alors 3/ que le jugement d'orientation prononcé avant la suspension de la saisie immobilière par l'ouverture d'un redressement judiciaire a autorité de la chose jugée relativement au montant de la créance et s'impose aux organes de la procédure collective ; qu'en disant que le jugement d'orientation du 27 septembre 2018 avait été anéanti par l'effet de l'ouverture du redressement judiciaire de M. [W] et qu'il appartenait aux organes de la procédure collective de trancher toute difficulté relative à la fixation de la banque créancière, la cour d'appel a violé les articles L. 622-21 II du code de commerce, 480 du code de procédure civile et R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution.

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