1 mars 2023
Cour d'appel d'Orléans
RG n° 22/01607

Chambre des Urgences

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'ORLÉANS







CHAMBRE DES URGENCES





COPIES EXECUTOIRES + EXPÉDITIONS :

Me Audrey BERTHON

SARL ARCOLE

ARRÊT du 1er MARS 2023



n° : 65/23 RG 22/01607

n° Portalis DBVN-V-B7G-GTME





DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Ordonnance de référé du Président, Tribunal Judiciaire de BLOIS en date du 31 mai 2022, RG 22/00417, n° Portalis DBYN-W-B7G-EADM, minute n° 22/00069 ;



PARTIES EN CAUSE



APPELANT : timbre fiscal dématérialisé n°: 1265 2822 0833 2924



Monsieur [M] [F]

[Adresse 3]



représenté par Me Audrey BERTHON, avocat au barreau de BLOIS



INTIMÉS : timbre fiscal dématérialisé n°: 1265 2854 2176 1146



Monsieur [C] [L]

Madame [O] [P]

[Adresse 4]



représentés par Me Jacques SIEKLUCKI de la SARL ARCOLE, avocats au barreau de TOURS



CRAMA [Localité 5] VAL DE LOIRE, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège ; timbre fiscal dématérialisé n°: 1265 2805 7476 3296

[Adresse 1]



représentée par Me Delphine COUSSEAU, avocat au barreau d'ORLÉANS



' Déclaration d'appel en date du 1er juillet 2022

' Ordonnance de clôture du 16 décembre 2022







Lors des débats, à l'audience publique du 11 janvier 2023, Monsieur Michel Louis BLANC, Président de Chambre, a entendu les avocats des parties, avec leur accord, par application des articles 786 et 910 du code de procédure civile ;





Lors du délibéré :



Monsieur Michel BLANC, président de chambre,

Monsieur Yannick GRESSOT, conseiller,

Madame Laure Aimée GRUA, conseiller,



Greffier : Madame Mireille LAVRUT, faisant fonction de greffier lors des débats et du prononcé par mise à disposition au greffe ;



Arrêt : prononcé le 1er mars 2023 par mise à la disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;




Par une ordonnance en date du 31 mai 2022, à laquelle il convient de se reporter, le président du tribunal judiciaire de Blois condamnait [M] [F] à faire procéder aux opérations de décontamination (désamiantage et dépollution) et de remise en état du terrain (engazonnement et plantations) appartenant à [C] [L] et [O] [P] sis [Adresse 4] (41), parcelle B [Cadastre 2], dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'ordonnance, sous astreinte provisoire de 100 € par jour de retard pendant une période de six mois, et à payer à [O] [P] et [C] [L] la somme de 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Par une déclaration en date du 1er juillet 2022, [M] [F] en interjetait appel.



Par ses dernières conclusions en date du 9 décembre 2022, il en sollicite l'infirmation sauf en ce qu'elle a débouté ses adversaires de leur demande de provision, demandant à la cour, statuant à nouveau, si de débouter [C] [L] et [O] [P] de l'ensemble de leurs demandes, et subsidiairement, de condamner la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles [Localité 5] Val de Loire à le garantir de l'ensemble de ses condamnations. En tout état de cause, il sollicite l'allocation de la somme de 1500 € au titre des frais exposés en première instance et de la somme de 2500 € au titre des frais d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Par leurs dernières conclusions en date du 9 décembre 2022, [C] [L] et [O] [P] sollicitent la confirmation de l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle les a déboutés de leur demande de provision, demandant à la cour, statuant à nouveau, de leur allouer à ce titre la somme de 10'000 €. Ils réclament en outre le paiement de la somme de 3500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ses dernières conclusions, la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles [Localité 5] Val de Loire sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise, le rejet des prétentions de [M] [F] et la location de la somme de 3000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture était rendue le 13 décembre 2022.




SUR QUOI :



Attendu que [M] [F] invoque les dispositions de l'article 1242 du Code civil, selon lesquelles celui qui détient tout ou partie de l'immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris











naissance ne sera responsable vis-à-vis des tiers des dommages causés par cet incendie que s'il est prouvé qu'il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable ;



Qu'il indique que selon la jurisprudence, ce régime de responsabilité pour faute prouvée est exclusif de tout autre principe de responsabilité, et qu'il s'applique y compris lorsque le dommage de la victime ne résulte pas d'une communication de l'incendie ;



Qu'il déclare qu'aucune faute n'a été évoquée à son encontre, et estime qu'aucune faute ne peut lui être imputée, et observe que c'est à juste titre que le juge des référés a considéré dans l'ordonnance critiquée que le seul régime de responsabilité applicable est celui de l'article 1242 alinéa 2 du Code civil, mais lui reproche de n'avoir pas tiré toutes les conséquences de l'application de ce régime en retenant l'existence d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 du code de procédure civile tout en estimant qu'il existait une contestation sérieuse quant à la détermination d'une faute ;



Attendu qu'il est constant que l'incendie ne s'est pas propagé sur le terrain de [C] [L] et [O] [P], de sorte que le régime de la responsabilité pour faute prouvée en cas de communication d'incendie n'est pas applicable ;



Que c'est à juste titre que les intimés considèrent que la dispersion préjudiciable de particules amiantées sur leur terrain est la résultante de la présence de matériaux amiantés dans le bâtiment appartenant à [M] [F], et que le même incendie, sans présence de tels matériaux dans le bâtiment n'aurait provoqué aucun dommage au fonds voisin ;



Attendu que [M] [F] considère que le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultat d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit, puisque sa responsabilité n'est pas susceptible d'être engagée pour faute ;



Attendu qu'il est établi qu'une large partie de la propriété de [C] [L] et [O] [P] se trouve recouverte de fragments et de particules de fibrociment amianté, le premier juge ayant souligné à juste titre qu'il est acquis scientifiquement que toutes les variétés d'amiante sont classées comme substances cancérogènes et que la particulière toxicité de cette substance a justifié son interdiction par un décret du 24 décembre 1996 ;



Attendu que l'appelant ne peut valablement prétendre qu'il n'existerait pas de dommage imminent au motif que le dommage serait déjà réalisé, puisque la pollution du terrain de ses voisins ne constitue que la première partie de ce dommage, la présence même de substances dangereuses constituant en elle-même un péril de sorte que la réalité d'un dommage imminent que constitue un risque grave pour la santé des occupants est avérée ;



Que les opérations de dépollution réclamée par les intimés sont précisément de nature à empêcher le trouble actuel d'entraîner des conséquences néfastes ;



Que c'est donc de façon pertinente que le juge des référés a considéré que la pollution provoquée par l'incendie de l'atelier de [M] [F] était constitutif d'un dommage imminent en ce sens qu'elle expose [C] [L] et [O] [P], directement et quotidiennement, à un produit qui risque de façon certaine de provoquer à terme une maladie grave si les mesures qui s'imposent ne sont pas prises très rapidement ;











Attendu que l'appelant prétend qu'une partie dont la responsabilité n'est pas rapportée ne peut être condamnée par le juge des référés sur le seul fondement du dommage imminent, la charge de la preuve de la responsabilité du défendeur incombant aux demandeurs, lesquels n'invoquent aucune faute de sa part ;



Que les intimés invoquent pourtant le caractère fautif de la présence de matériaux prohibés et dangereux dans l'immeuble incendié ;



Que le dommage imminent trouve son origine dans la conjonction de deux circonstances, l'une fautive de la part de [M] [F], à savoir la présence de tels matériaux, et l'autre non fautive de sa part, à savoir l'incendie ;



Que cette conjonction suffit pour constituer la cause de trouble manifestement illicite auquel il y a lieu de mettre fin ;



Attendu que c'est à juste titre que [M] [F] déclare aujourd'hui que Groupama n'avait pas contesté sa garantie devant le premier juge, puisqu'elle s'était limitée à soutenir l'absence de responsabilité de la part de l'assuré ;



Attendu que pour refuser aujourd'hui sa garantie, la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles [Localité 5] Val de Loire explique que [M] [F] était couvert par une assurance de choses concernant ses propres biens, mais qu'il se méprendrait sur les conditions d'assurance en ce qu'il a dit que la police couvre tous les dommages subis par les tiers résultant d'un incendie ;



Qu'elle explique à cet égard que s'il est couvert au titre de sa responsabilité de propriétaire, il s'agit d'une garantie de responsabilité et certainement pas d'une garantie de choses, produisant la clause intitulée « responsabilité à l'égard des voisins et des tiers » laquelle est rédigée de la manière suivante : « la responsabilité que vous pouvez encourir à l'égard des voisins et des tiers pour les dommages matériels et immatériels résultant des événements mentionnés (') ainsi que la responsabilité du fait d'un préjudice écologique, à l'exclusion des frais de dépollution des sols, eaux souterraines ou de surface, imposés par des dispositions législatives ou réglementaires postérieures au règlement du sinistre » ;



Que cette clause fait donc apparaître clairement que [M] [F] se trouve couvert dans sa responsabilité du fait d'un préjudice écologique, ce qui ne souffre aucune interprétation qui excéderait les pouvoirs du juge des référés ;



Que l'exclusion des frais de dépollution des sols et des eaux ne concerne pas les frais imposés par des dispositions législatives ou réglementaires antérieures au règlement du sinistre, alors qu'il est évident que le sinistre n'est pas encore réglé, de sorte que l'obligation de dépolluer a été édictée par des textes entrés en vigueur antérieurement à l'intervention du sinistre, et a fortiori avant son règlement ;



Que [M] [F] va donc devoir engager, afin de mettre fin à un trouble manifestement illicite causé par sa responsabilité du fait d'un préjudice écologique, des frais de dépollution imposée par des dispositions antérieures au règlement du sinistre, ce qui n'entre pas dans l'exclusion prévue par son contrat d'assurance ;













Attendu que l'application d'une clause contractuelle claire entre pleinement dans les pouvoirs du juge des référés, de sorte qu'il y a lieu de dire que la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles [Localité 5] Val de Loire devra garantir [M] [F] du préjudice écologique dont sont victimes ses voisins du fait de la conjonction de circonstances évoquée supra ;



Qu'il va de soi que la demande de garantie de [M] [F] « l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre » concerne à la fois les condamnations prononcées en première instance et les condamnations prononcées en appel ;



Attendu que pour rejeter la demande de provision, le juge des référés a considéré que la contestation portant sur les conditions d'application du régime de responsabilité pour faute de l'article 1242 alinéa 2 du Code civil est suffisamment sérieuse pour empêcher l'allocation d'une provision à ce stade de la procédure ;



Qu'il est cependant indéniable que le préjudice invoqué par [C] [L] et [O] [P] est déjà en partie constitué, puisque leurs fonds se trouve affecté depuis le sinistre, dont les conséquences les empêchent en particulier de procéder à l'entretien normal de leur terrain et d'aérer la chambre de leurs enfants en ouvrant les lucarnes qui se trouvent sur le toit, lequel est couvert d'amiante, de sorte que la situation dont ils se plaignent aboutira nécessairement à une indemnisation à leur profit ;



Que la juridiction des référés peut donc sans excéder ses pouvoirs leur allouer une somme à titre de provision ;



Qu'il échet de réformer sur ce point l'ordonnance entreprise et de leur allouer à titre de provision la somme de 8000 € ;



Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de [M] [F] d'une part et à celle de [C] [L] et [O] [P] d'autre part l'intégralité des sommes qu'ils ont dû exposer du fait de la présente procédure ;



Qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles [Localité 5] Val de Loire à lui payer la somme de 1000 € au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et la somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles d'appel ;



Qu'il y a lieu au même titre de condamner [M] [F] à payer à [C] [L] et [O] [P] la somme de 2000 € au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, et de condamner la Caisse régionale d'assurances mutuelles [Localité 5] Val de Loire à le garantir de cette condamnation ;



PAR CES MOTIFS :



Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,



Confirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a débouté [C] [L] et [O] [P] de leur demande de provision et en ce qu'elle a débouté les parties de toutes autres demandes,



Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,













Condamne [M] [F] à payer à [C] [L] et [O] [P] la somme de 8000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice et la somme de 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en appel,



Condamne la Caisse régionale d'assurances mutuelles [Localité 5] Val de Loire à garantir [M] [F] de l'ensemble des condamnations prononcées contre lui en première instance et en appel, et à lui payer, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 1000 € au titre des frais exposés en première instance et la somme de 2000 € au titre des frais exposés en appel,



Condamne la Caisse régionale d'assurances mutuelles [Localité 5] Val de Loire aux dépens et autorise Maître Audrey Berthon à se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





Arrêt signé par Monsieur Michel Louis BLANC, président de chambre, et Madame Mireille LAVRUT, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire ;







LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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