17 février 2023
Cour d'appel de Douai
RG n° 20/02021

Sociale C salle 3

Texte de la décision

ARRÊT DU

17 Février 2023







N° 338/23



N° RG 20/02021 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TGTP



GG/VM

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVESNES SUR HELPE

en date du

14 Septembre 2020

(RG 20/00001 -section 3 )











































GROSSE :



aux avocats



le 17 Février 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [H] [D]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Frédérique SEDLAK, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE substitué par Me Mounir AIDI, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE





INTIMÉE :



S.A.S. SOCOTEC EQUIPEMENTS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Sophie BRASSART, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Mathieu DEMOULAIN, avocat au barreau de PARIS







DÉBATS : à l'audience publique du 16 Novembre 2022



Tenue par Gilles GUTIERREZ

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.



GREFFIER : Annie LESIEUR



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ







Soleine HUNTER-FALCK



: PRÉSIDENT DE CHAMBRE





Muriel LE BELLEC



: CONSEILLER





Gilles GUTIERREZ



: CONSEILLER









Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 27 janvier 2023 au 17 février 2023 pour plus ample délibéré



ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 26 Octobre 2022






EXPOSE DU LITIGE



La SAS SOCOTEC EQUIPEMENTS venant aux droits de la SA SOCOTEC FRANCE, a pour activité la réalisation de mission d'inspection d'installations électriques.



Par le truchement d'une plate-forme dite «'SOCOTEC COMMUNITY'», elle propose des missions pouvant être réalisées par des collaborateurs indépendants.



La SAS SOCOTEC FRANCE devenue SOCOTEC EQUIPEMENTS a conclu avec M. [H] [D], né en 1969, un contrat de collaboration le 13/10/2017 ayant vocation à encadrer les relations issues «'des missions temporaires confiées aux collaborateurs libéraux par SOCOTEC via SOCOTEC COMMUNITY'».



Estimant que le contrat de collaboration constitue en réalité un contrat de travail, M. [D] a saisi le 14/11/2018 le conseil de prud'hommes d'Avesnes sur Helpe de diverses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat.



Par jugement du 29/07/2019 le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Versailles.



La cour d'appel de céans par arrêt du 20/12/2019 a infirmé le jugement entrepris, dit que le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur la demande présentée par [H] [D], et renvoyé l'affaire devant le conseil de prud'hommes d'Avesnes sur Helpe afin qu'il soit statué sur le fond du litige, et condamné la société SOCOTEC EQUIPEMENTS SAS aux dépens.



Par jugement du 14/09/2020, le conseil de prud'hommes a :

-dit que la SA SOCOTEC et M. [H] [D] sont liés par un contrat d'entreprise,

-débouté M. [H] [D] de l'ensemble de ses demandes,

-condamné M. [H] [D] à payer à la SA SOCOTEC FRANCE la somme de 150 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.



Par déclaration reçue le 28/09/2020, M. [D] a régulièrement interjeté appel de la décision précitée.



Selon ses conclusions d'appelant reçues le 14/12/2020, M. [D] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et en conséquence de :

-ordonner la requalification du contrat de collaboration signé le 13 octobre 2017 en contrat de travail à durée indéterminée,

-dire et juger que la rupture du contrat de travail est irrégulière,

-dire et juger que la rupture du contrat de travail est sans cause réelle et sérieuse,

-condamner la société SOCOTEC France à lui verser la somme de 20.000 € au titre du non respect de la procédure de licenciement ainsi qu'à titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-ordonner la remise des fiches de paie pour la période d'activité du 13 octobre 2017 au 12 mars 2018 ainsi que l'attestation Pôle Emploi, le certificat de travail ainsi que les conditions d'une éventuelle portabilité de la mutuelle et ce sous astreinte de 50 euros par jours de retard à compter du jugement à intervenir,

-condamner la société SOCOTEC FRANCE à verser la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.





Selon ses conclusions d'intimée du 15/02/2022, la SAS SOCOTEC EQUIPEMENTS demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions



La clôture de la procédure résulte d'une ordonnance du 26/10/2022.



Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites et transmises par RPVA dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.




MOTIFS DE L'ARRÊT



Sur la demande de requalification du contrat



L'appelant fait valoir son activité de diagnostiqueur électrique, l'employeur lui ayant fait signer un contrat de collaboration le contraignant à se déclarer en tant qu'auto-entrepreneur, qu'il s'est engagé à effectuer des missions temporaires de vérification et à suivre une formation de 63 heures, que la direction générale du travail a refusé que la réalisation de visites périodiques s'effectue sous cette forme, le contrat de collaboration ayant été résilié le 12/03/2018, qu'il était placé dans un lien de subordination permanent, qu'il utilisait du matériel de la société et était tenu à une obligation de résultat, qu'il a toujours été considéré comme un salarié de la société SOCOTEC, que la cour a déjà jugé que les parties étaient liées par un contrat de travail.



L'intimée expose que la cour ne s'est prononcée que sur la question de la compétence de la juridiction prud'homale, que le contrat a pour objet de déléguer une prestation de service via une plate-forme numérique, que l'appelant n'a effectué que deux missions de moins d'une journée chacune, qu'il était inscrit au RCS depuis un an de sorte que la présomption de non-salariat trouve à s'appliquer, qu'il choisissait librement ses missions sur la plate-forme numérique, qu'il n'existait aucune sanction en cas de refus, qu'elle ne fixait pas les horaires et durées des missions, qu'il établissait lui-même ses factures, qu'un second contrat du 11/12/2017 s'est substitué à celui du 13/10/2017, et ne prévoit plus d'obligation de non concurrence, que le contrat ne prévoit que le type de missions que M. [D] pouvait accomplir, que l'obligation de résultat est caractéristique du contrat d'entreprise, qu'il a été rappelé que le prestataire devait respecter la norme ISO qui impose des exigences d'impartialité et d'indépendance, que l'obligation de formation a pour objet de garantir la maîtrise des règles de l'art.



Sur ce, l'article L8221-6 du code du travail dans sa version applicable dispose que :

-sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription : 1° les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ['],

-l'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.



Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.



En l'absence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d'en établir l'existence dans tous les éléments qui viennent d'être indiqués et, en particulier, d'apporter la preuve de l'existence du lien de subordination, lequel se caractérise par l'exécution du travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner à celui qui exécute ce travail des ordres et des directives, de contrôler cette exécution et de sanctionner les éventuels manquements de son subordonné.



La qualification de contrat de travail dépend non de la dénomination choisie par les parties, mais des conditions d'exécution de celui-ci, en ayant recours au besoin à la méthode du faisceau d'indices.



En l'espèce, il est constant que M. [D] est immatriculé au registre du commerce et des sociétés depuis le 31/10/2016, pour une activité de diagnostics immobiliers, électriques et thermiques. La présomption de non salariat de l'article L8221-6 du code du travail a donc lieu de s'appliquer, étant observé que contrairement à ce qui est soutenu, l'inscription au registre du commerce est antérieure d'une année à la conclusion du contrat de collaboration du 13/10/2017.



Le débat porte pour l'essentiel sur l'existence d'un lien de subordination, dans la mesure où M. [D] a effectué une prestation de travail, même limitée à deux missions, et qu'il a adressé des factures à la société SOCOTEC EQUIPEMENTS.



Outre le contrat de collaboration du 13/10/2017, les parties ont conclu le 11/12/2017 un «'contrat de prestations de missions d'inspection'», aucune stipulation ne prévoyant toutefois que ce contrat se substitue au précédent, comme le soutient la société SOCOTEC EQUIPEMENTS.



Ces contrats ont pour objet la réalisation de missions de vérifications périodiques sur des installations électriques d'établissement recevant du public de 5ième catégorie, par le biais d'une plate-forme de «'crowdsourcing'» dénommée SOCOTEC COMMUNITY.



Il est constant que M. [D], pour avoir accès aux missions proposées par la plate-forme numérique, a dû dans un premier temps effectuer une formation pour une durée de 63 heures du 13/11/2017 au 29/11/2017 qu'il a financée. Il ressort des contrats que cette formation est obligatoire, qu'elle est dispensée par SOCOTEC, que l'échec à celle-ci interdit tout accès aux missions proposées par la société, que la mission doit en outre être réalisée conformément aux règles dispensées au cours de la formation (article 2 contrat du 11/12/2017).



Par conséquent, M. [D] ne peut être considéré comme un prestataire indépendant dans la mesure où il est tenu de se conformer, non uniquement à la norme NF EN ISO/CEI 17020, mais surtout à un enseignement dispensé et évalué par la société SOCOTEC. Cela est confirmé par le fait que le «'prestataire'», qui doit exercer en qualité d'auto-entrepreneur ou disposer d'une société commerciale, voit sa liberté contractuelle réduite, puisque lui est interdite toute activité «'de type conception, production, fourniture, installation, acquisition, possession ou maintenance d'installations électriques, ni aucun lien avec une autre entité juridique exerçant des activités de ce type'», et qu'en cas de conflit d'intérêt il doit informer immédiatement la société SOCOTEC EQUIPEMENTS.







En outre, M. [D] était contractuellement tenu d'utiliser le matériel fourni par la société SOCOTEC EQUIPEMENTS. La «'charte des bonnes pratiques'» prévoit que le matériel est maintenu en bon état, et remplacé si nécessaire. M. [D] ne pouvait donc pas utiliser son propre matériel, ce qui ne peut pas s'expliquer par le simple respect de la norme EN ISO/CEI 17020.



De plus, M. [D] s'est engagé à réaliser les missions sur des supports fournis par l'intimée, à son en tête. En dépit de l'absence de fixation d'horaires, le prestataire contraint d'utiliser le matériel de l'entreprise n'est pas autonome dans l'exercice de son activité.



Le paragraphe «'relation client'» de la charte demande au «'prestataire'» de s'assurer au préalable que :

-les conditions du bon déroulement de la visite sont réunies (modification apportées à l'installation, consignes particulières d'intervention, condition de réalisation de la coupure des installations),

-de porter la tenue SOCOTEC et d'adopter «'un comportement adapté'».



Ces consignes démontrent l'exercice d'un pouvoir de direction sur le prestataire.



Au surplus, la société SOCOTEC EQUIPEMENT paraît consciente de l'ambiguïté du statut de l'intéressé, dans la mesure où la charte comporte un paragraphe relatif à cette question, indiquant que'si le prestataire est interrogé sur son statut, il doit répondre : «' je travaille pour SOCOTEC en tant que collaborateur libéral avec une formation et une surveillance équivalente aux collaborateurs salariés. SOCOTEC a recours à des collaborateurs comme moi en cas de pics d'activité, dans des zones éloignées de l'agence'». Il est ajouté que l'intimée se réfère, pour justifier la relation contractuelle à la norme de NF EN ISO 17020, dont le ministère du travail (bureau des équipements et des lieux de travail, lettre du 02/03/2018) précise que certaines dispositions («'exigences pour le fonctionnement de différents types d'organismes procédant à l'inspection'») apparaissent en contradiction avec la réglementation du travail. Bien que contestant cette analyse, la société a mis fin aux missions de vérification périodiques électriques par lettre du 12/03/2018, et proposé ensuite des contrats à durée déterminée de six mois (courriel du 04/04/2018) aux personnels intéressés, dont M. [D].



Enfin, le travail du salarié est contrôlé par la société SOCOTEC EQUIPEMENTS qui s'autorise à réaliser à tout instant tout audit sur la prestation réalisée et à effectuer des contrôles qualité. S'il est soutenu par l'intimée que M. [D] a pu refuser des missions sans être sanctionné, il n'en reste pas moins qu'il est tenu à une obligation de résultat, et que le prestataire s'engage en ce cas à indemniser la société SOCOTEC EQUIPEMENTS des conséquences de non-réalisation de la mission, ce qui s'analyse comme un pouvoir de sanction du collaborateur.



Il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. [D] démontre que le contrat de collaboration du 13/10/2017 constitue en réalité un contrat de travail. Le jugement est infirmé.















Sur les conséquences indemnitaires de la requalification



La rupture du contrat de travail le 12/03/2018 s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.



L'appelant ne justifie aucunement la somme de 20.000 € au titre du non respect de la procédure de licenciement ainsi qu'à titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A cet égard, l'article L1235-2 du code du travail dispose en son alinéa 5 dispose que lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.



Nonobstant l'absence de toute procédure de licenciement, ce préjudice n'a pas à être indemnisé, le licenciement n'étant pas causé.



Il n'est produit qu'une facture aux débats pour une intervention le 21/02/2018 pour un montant TTC de 567,68 €, soit pour une journée de 7 heures un taux horaire de 81,10 €.



Compte-tenu d'une ancienneté de 5 mois, et en l'absence de tout élément sur la situation du salariée, le préjudice résultant de la rupture du contrat de travail sera évalué à la somme de 1.500 €.



La Société SOCOTEC EQUIPEMENTS sera tenue au paiement de cette somme.



Sur les autres demandes



Il sera enjoint, sans qu'il n'y ait lieu à astreinte à la société SOCOTEC EQUIPEMENTS FRANCE de remettre à M. [D] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail, conformes au présent arrêt et le cas échéant les modalités de portabilité de ses droits à mutuelle.



Succombant, et par infirmation, la SAS SOCOTEC EQUIPEMENTS supporte les dépens de première instance et d'appel, et sera tenue au paiement d'une indemnité de 1.500 € à M. [D] pour ses frais irrépétibles par application de l'article 700 du code de procédure civile.





























PAR CES MOTIFS



La cour d'appel de Douai, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,



Infirme le jugement déféré,



Statuant à nouveau, y ajoutant,



Dit que M. [H] [D] et la SAS SOCOTEC EQUIPEMENTS sont liés par un contrat de travail à compter du 13/10/2017,



Dit que la rupture du contrat est sans cause réelle et sérieuse,



Condamne la SAS SOCOTEC EQUIPEMENTS à payer à M. [H] [D] les sommes de :

-1.500 € d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,



Enjoint à la SAS SOCOTEC EQUIPEMENTS de remettre à M. [H] [D] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail, conformes au présent arrêt et le cas échéant les modalités de portabilité de ses droits à mutuelle,



Dit n'y avoir lieu à astreinte,



Condamne la SAS SOCOTEC EQUIPEMENTS aux dépens de première instance et d'appel.











LE GREFFIER







Nadine BERLY







LE PRÉSIDENT







Soleine HUNTER-FALCK

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