9 février 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-21.217

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C200162

Titres et sommaires

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Préjudice économique - Perte de gains professionnels futurs - Indemnisation - Préjudice au titre du retentissement économique définitif après consolidation - Préjudice distinct (non)

En application du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit, une victime ne peut être indemnisée deux fois en réparation d'un même préjudice. Dès lors, encourt la cassation une cour d'appel qui alloue à une victime une somme au titre du « retentissement économique définitif après consolidation », calculée sur la base du coût horaire d'embauche d'un salarié, capitalisé pour l'avenir, alors que pour lui allouer une somme distincte au titre de sa perte future de revenus personnels, elle avait pris en considération la diminution du bénéfice annuel de son exploitation, qui inclut nécessairement le surcoût de charges lié à l'embauche d'un salarié

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Réparation intégrale - Portée

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 février 2023




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 162 F-B

Pourvoi n° W 21-21.217









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2023


La société Pacifica, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 21-21.217 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2021 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [P] [R], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à la mutualité sociale agricole de Lorraine, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Pacifica, de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [R], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 28 juin 2021), Mme [R] a été victime d'un accident de la vie privée.

2. Au titre d'une garantie « accidents de la vie », elle a assigné son assureur, la société Pacifica (l'assureur), aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. L'assureur fait grief à l'arrêt de fixer le préjudice de la victime à 112 146,75 euros au titre des pertes de gains futurs et 737 874,60 euros au titre du retentissement économique, et de le condamner à payer à cette dernière la somme de 991 783,85 euros à titre d'indemnisation de ses préjudices, alors « que la victime ne peut obtenir une double indemnisation pour un même préjudice ; le contrat d'assurance garantissait « le retentissement économique définitif après consolidation sur l'activité professionnelle future de la victime, entraînant une perte de revenus ou son changement d'emploi » ; que la prise en charge du salaire d'un palefrenier pour remplacer la victime revient à solliciter la compensation d'une perte de revenus professionnels, lesquels connaissent une diminution par la hausse des charges de l'exploitation ; qu'en allouant la somme de 737 874,60 euros au titre du retentissement économique définitif résultant de « l'obligation d'être remplacée pour l'exécution des tâches devenues totalement et partiellement impossibles », en plus d'une indemnité pour la perte de gains professionnels futurs, la cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice, en violation du principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

5. Pour allouer à Mme [R] une somme au titre du « retentissement économique définitif après consolidation », l'arrêt, après avoir relevé que celle-ci avait choisi de conserver son emploi mais était devenue incapable d'effectuer toutes les tâches physiques qu'elle exécutait avant l'accident, retient que cette diminution de ses aptitudes physiques, qui implique l'aide d'un tiers, justifie l'octroi d'une somme calculée sur la base du coût horaire d'embauche d'un salarié, capitalisée pour l'avenir.

6. En statuant ainsi, alors que pour allouer à la victime une somme distincte au titre de sa perte future de revenus personnels, elle avait pris en considération la diminution du bénéfice annuel de l'exploitation de la victime, qui inclut nécessairement le surcoût de charges lié à l'embauche d'un salarié, la cour d'appel, qui a indemnisé deux fois le même préjudice, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe les préjudices de Mme [R] à la suite de l'accident du 15 décembre 2012 à la somme de 112 146,75 euros au titre de la perte de gains futurs et à la somme de 737 874,60 euros au titre du retentissement économique, et condamne la société Pacifica à payer à Mme [R] la somme de 991 783,85 euros à titre d'indemnisation, déduction faite des provisions de 14 100 euros, l'arrêt rendu le 28 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne Mme [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Pacifica

La société Pacifica reproche à l'arrêt attaqué d'avoir fixé à 70 000 euros le préjudice au titre du préjudice d'agrément spécifique, 112 146,75 euros au titre des pertes de gains futurs et 737 874,60 euros au titre du retentissement économique, et de l'avoir condamnée à payer à Mme [R] la somme de 991 783,85 euros à titre d'indemnisation de ses préjudices ;

Alors 1°) que l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs suppose l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'accident subi et la perte des revenus invoquée ; qu'en retenant une somme de 112 146,75 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, après avoir constaté que l'activité déployée par Mme [R] avant l'accident survenu le 15 décembre 2012 était déficitaire en 2009, que le bénéfice réalisé pour l'année 2012 avant l'accident était déjà en baisse par rapport à celui réalisé en 2011 et sans avoir caractérisé l'imputabilité à l'accident de la perte annuelle de revenus postérieurement au 15 décembre 2012, s'agissant d'une activité déficitaire au départ, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1103 du code civil ;

Alors 2°) que la victime ne peut obtenir une double indemnisation pour un même préjudice ; le contrat d'assurance garantissait « le retentissement économique définitif après consolidation sur l'activité professionnelle future de la victime, entraînant une perte de revenus ou son changement d'emploi » ; que la prise en charge du salaire d'un palefrenier pour remplacer Mme [R] revient à solliciter la compensation d'une perte de revenus professionnels, lesquels connaissent une diminution par la hausse des charges de l'exploitation ; qu'en allouant la somme de 737 874,60 euros au titre du retentissement économique définitif résultant de « l'obligation d'être remplacée pour l'exécution des tâches devenues totalement et partiellement impossibles », en plus d'une indemnité pour la perte de gains professionnels futurs, la cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice, en violation du principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime ;

Alors 3°) que l'indemnisation d'une « perte de revenus » ne peut être supérieure aux revenus perçus avant l'accident, sauf à procurer à la victime un profit ; qu'en indemnisant au titre du retentissement professionnel « l'obligation d'être remplacée pour l'exécution des tâches devenues totalement et partiellement impossibles », par capitalisation du coût salarial d'un palefrenier, évaluée à 38 246 euros par an, après avoir retenu que l'activité générait avant l'accident un bénéfice moyen de 5 153 euros par an, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la somme demandée par la victime au titre de l'obligation d'être remplacée pour l'exécution de certaines tâches dépassait largement le revenu moyen perçu avant l'accident, violant ainsi le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;

Alors 4°) que l'indemnisation d'un dommage suppose un lien de causalité avec l'accident ; qu'à défaut d'avoir recherché, comme elle y était invitée, si l'obligation d'embaucher un palefrenier n'était pas exclusivement due à la structure de l'exploitation elle-même, une personne seule ne pouvant s'occuper de plusieurs dizaines de chevaux, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-3 du code civil ;

Alors 5°) que la réparation du préjudice d'agrément suppose la preuve par la victime de l'impossibilité pour elle de pratiquer régulièrement une activité sportive spécifique en raison de l'accident qu'elle a subi ; qu'en allouant une somme de 70 000 euros à Mme [R] à ce titre, après avoir constaté qu'elle ne possédait plus de licence pour la pratique de l'équitation depuis 1994 et qu'elle n'avait justifié de sa participation à des concours hippiques que jusqu'en 2001, soit bien avant son accident et sans préciser de quel élément de preuve il résultait que Mme [R] exerçait de manière effective et intense l'équitation de loisirs avant son accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit.

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