8 février 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.534

Chambre sociale - Formation plénière de chambre

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00143

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 février 2023




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 143 FP-D

Pourvoi n° H 21-14.534


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023

La société Rhodia opérations, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 12], a formé le pourvoi n° H 21-14.534 contre l'arrêt rendu le 4 février 2021 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale C), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [I] [K], domicilié [Adresse 1],

2°/ à M. [G] [X], domicilié [Adresse 14],

3°/ à Mme [A] [W], domiciliée [Adresse 8],

4°/ à M. [Y] [P], domicilié [Adresse 3],

5°/ à Mme [F] [S], domiciliée [Adresse 7],

6°/ à M. [U] [D], domicilié [Adresse 11],

7°/ à M. [Z] [R], domicilié [Adresse 9],

8°/ à M. [J] [L], domicilié [Adresse 16],

9°/ à M. [C] [O], domicilié [Adresse 4],

10°/ à Mme [N] [E], domiciliée [Adresse 10],

11°/ à Mme [JE] [MJ], domiciliée [Adresse 6],

12°/ à Mme [V] [IZ] [H], domiciliée [Adresse 2],

13°/ à M. [T] [B], domicilié [Adresse 5],

14°/ à M. [M] [KO], domicilié [Adresse 13],

15°/ au syndicat CGT des personnels du site chimique de [Localité 17], dont le siège est [Adresse 15],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Rhodia opérations, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [K] des treize autres salariés et du syndicat CGT des personnels du site chimique de [Localité 17], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine, Monge, Mariette, MM. Rinuy, Pion, Pietton, Mmes Cavrois, Ott, MM. Sornay, Barincou, Mme Lacquemant, conseillers, M. Le Corre, Mmes Lanoue, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 4 février 2021), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 29 janvier 2020, pourvoi n° 18-16.759), M. [K] et treize autres salariés ont été engagés par la société Rhône Poulenc chimie, aux droits de laquelle vient la société Rhodia opérations (la société).

2. Par un arrêté ministériel du 30 septembre 2005, l'établissement de [Localité 17], au sein duquel ils ont travaillé, a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période 1916-2001.

3. Par un arrêté ministériel du 23 août 2013, cette période a été étendue jusqu'en 2005.

4. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir réparation notamment d'un préjudice au titre d'un manquement à l'obligation de loyauté.

5. Le syndicat CGT des personnels du site chimique de [Localité 17] est intervenu à l'instance.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de Mme [S] et de MM. [X], [P], [D], [R], [B], [O] et [KO] au titre du manquement à l'obligation de loyauté, de le condamner à payer à ceux-ci une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation de l'obligation de loyauté, de le condamner à verser au syndicat CGT des personnels du site chimique de [Localité 17] une somme au titre du préjudice subi par la collectivité de travail et de le condamner à payer à chacun des salariés et au syndicat une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'il en résulte que le salarié dont le droit à réparation au titre du préjudice d'anxiété, en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, est éteint n'est pas recevable à solliciter le versement de dommages-intérêts au titre d'une utilisation d'amiante par l'employeur sur un autre fondement juridique ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'action des salariés en réparation de leur préjudice d'anxiété en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 était irrecevable comme prescrite ; qu'en leur allouant néanmoins des dommages-intérêts en réparation du préjudice au titre d'un manquement de l'employeur à son obligation de loyauté résultant de l'utilisation d'amiante entre 2002 et 2005, la cour d'appel a violé l'article L. 4121-1 du code du travail, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

2°/ qu'à supposer que le salarié, dont le droit à réparation au titre du préjudice d'anxiété en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 est éteint, puisse invoquer un manquement de l'employeur à son obligation de loyauté résultant de l'utilisation d'amiante, il ne peut solliciter une réparation qu'à condition d'établir l'impact d'une telle utilisation sur ses conditions de travail et l'existence d'un préjudice personnellement subi ; qu'en se bornant à relever, pour allouer à chacun des salariés une somme de dommages-intérêts au titre d'une méconnaissance de son obligation de loyauté, que la société Rhodia opérations avait continué à utiliser de l'amiante illégalement et sans transparence vis-à-vis des représentants du personnel de 2002 à 2005, sans caractériser la moindre exposition personnelle des salariés au cours de cette période, le moindre manquement commis par l'employeur, ni le moindre préjudice personnellement subi résultant du manquement de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 1222-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. En premier lieu, il résulte de l'article L. 1222-1 du code du travail que l'atteinte à la dignité de son salarié constitue pour l'employeur un manquement grave à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail (Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.686, Bull. 2012, V, n° 58).

9. Dès lors, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'employeur, qui avait bénéficié d'une dérogation jusqu'au 31 décembre 2001 l'autorisant à poursuivre l'utilisation de l'amiante malgré l'entrée en vigueur du décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l'interdiction de l'amiante, et continué, en toute illégalité, à utiliser ce matériau de 2002 à 2005 alors qu'il n'était plus titulaire d'aucune autorisation dérogatoire, a ainsi manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi les contrats de travail.

10. En second lieu, l'employeur qui soutenait devant la cour d'appel que tous les salariés de l'établissement de [Localité 17] avaient reçu leur attestation d'exposition à l'amiante à leur départ de l'entreprise, est irrecevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire selon lequel les salariés ne caractérisaient pas la moindre exposition personnelle à l'amiante au cours de la période concernée.

11. Enfin, les salariés, au soutien de leur demande au titre de l'obligation de loyauté, n'invoquaient pas l'existence d'un préjudice d'anxiété.

12. Il en résulte que le moyen, partiellement irrecevable et inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Rhodia opérations aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Rhodia opérations et la condamne à payer à Mmes [S], [W], [E], [MJ] et [KU] et à MM. [K], [X], [P], [D], [R], [L], [B], [O] et [KO] et au syndicat CGT des personnels du site chimique de [Localité 17] la somme globale de 3 750 euros.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.










MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Rhodia opérations

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Rhodia Chimie reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable l'action de Mme [S] et à MM. [X], [P], [D], [R], [B], [O] et [KO] au titre du manquement à l'obligation de loyauté, de l'avoir condamnée à payer à Mme [S] et à MM. [X], [P], [D], [R], [B], [O] et [KO] la somme de 2 000 € chacun à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation de l'obligation de loyauté, de l'avoir condamnée à verser au syndicat CGT des personnels du site chimique du [Localité 17] la somme de 2 000 € au titre du préjudice subi par la collectivité de travail et d'avoir confirmé le jugement déféré en que qu'il l'a condamnée à payer à Mme [S] et à MM. [X], [P], [D], [R], [B], [O] et [KO] et au syndicat une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

ALORS QUE l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'il en résulte que le salarié dont le droit à réparation au titre du préjudice d'anxiété, en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, est éteint n'est pas recevable à solliciter le versement de dommages-intérêts au titre d'une utilisation d'amiante par l'employeur sur un autre fondement juridique ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'action des salariés en réparation de leur préjudice d'anxiété en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 était irrecevable comme prescrite ; qu'en leur allouant néanmoins des dommages-intérêts en réparation du préjudice au titre d'un manquement de l'employeur à son obligation de loyauté résultant de l'utilisation d'amiante entre 2002 et 2005, la cour d'appel a violé l'article L. 4121-1 du code du travail, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU'à supposer que le salarié, dont le droit à réparation au titre du préjudice d'anxiété en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 est éteint, puisse invoquer un manquement de l'employeur à son obligation de loyauté résultant de l'utilisation d'amiante, il ne peut solliciter une réparation qu'à condition d'établir l'impact d'une telle utilisation sur ses conditions de travail et l'existence d'un préjudice personnellement subi ; qu'en se bornant à relever, pour allouer à chacun des salariés une somme de dommages-intérêts au titre d'une méconnaissance de son obligation de loyauté, que la société Rhodia Opérations avait continué à utiliser de l'amiante illégalement et sans transparence vis-à-vis des représentants du personnel de 2002 à 2005, sans caractériser la moindre exposition personnelle des salariés au cours de cette période, le moindre manquement commis par l'employeur, ni le moindre préjudice personnellement subi résultant du manquement de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 1222-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

La société Rhodia Opérations fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mmes [W], [E], [MJ] et [KU] et à MM. [K] et [L] la somme de 12 000 € chacun au titre du préjudice d'anxiété et de l'avoir condamnée à verser au syndicat CGT des personnels du site chimique du [Localité 17] la somme de 2 000 € au titre du préjudice subi par la collectivité de travail et d'avoir confirmé le jugement déféré en que qu'il l'a condamnée à payer à Mmes [W], [E], [MJ] et [KU] et à MM. [K] et [L] et au syndicat une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

ALORS QUE le salarié qui recherche la responsabilité de son employeur doit justifier des préjudices qu'il invoque en faisant état d'éléments personnels et circonstanciés pertinents ; que la circonstance qu'il ait travaillé dans un établissement susceptible d'ouvrir droit à l'ACAATA ne dispense pas l'intéressé, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de la réalité d'un préjudice personnellement subi ; qu'en allouant à chacun des six salariés défendeurs au moyen une somme forfaitaire de 12 000 € en réparation du préjudice d'anxiété pour avoir travaillé au sein de l'établissement de [Localité 17], sans caractériser l'existence d'un préjudice personnellement subi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et du principe de la réparation intégrale du préjudice.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.