8 février 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.954

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00110

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Liquidation judiciaire - Effets - Dessaisissement du débiteur - Action en justice - Irrecevabilité - Action en responsabilité contre son avocat mandaté dans l'exercice d'un droit propre

Le débiteur, dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens par l'effet du jugement prononçant la liquidation judiciaire, conserve le droit, pourvu qu'il l'exerce contre le liquidateur ou en sa présence, de former un appel, puis le cas échéant, un pourvoi en cassation, contre les décisions prononçant la résolution de son plan de redressement et sa liquidation judiciaire. Il n'est, en revanche, pas recevable à agir en responsabilité contre l'avocat qu'il a mandaté pour le représenter et l'assister dans l'exercice de ce droit propre, une telle action en responsabilité n'ayant pas pour effet de faire valoir le point de vue du débiteur dans le déroulement de la procédure collective, mais poursuivant une finalité patrimoniale consistant en l'obtention de dommages-intérêts et relevant, en conséquence, des droits et actions atteints par le dessaisissement et exercés par le liquidateur pendant la durée de la procédure collective

Texte de la décision

COMM.

DB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 février 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 110 F-B

Pourvoi n° N 21-16.954




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023

M. [S] [B], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° N 21-16.954 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [U] [F], domicilié [Adresse 2],

2°/ à la société MMA IARD,

3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller doyen, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [B], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [F], des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vaissette, conseiller doyen rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 mars 2021), M. [B] ayant été mis en redressement judiciaire le 7 septembre 2005, son plan de continuation, arrêté le 6 septembre 2006, a été résolu par un jugement du 29 mars 2011 qui a prononcé la liquidation judiciaire du débiteur. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 18 janvier 2012 cassé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 22 mai 2013 (pourvoi n° 12-16.641).

2. Le 10 octobre 2017, se prévalant d'une faute de M. [F], son avocat, consistant à ne pas avoir saisi la cour de renvoi dans le délai imparti après l'arrêt de cassation précité, M. [B] l'a assigné en paiement de dommages et intérêts pour compenser le préjudice résultant de la perte de chance d'éviter la liquidation judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [B] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état ayant « annulé » l'assignation du 10 octobre 2017 pour « défaut de capacité » à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi, alors « que le débiteur qui recherche la responsabilité civile professionnelle de son conseil ayant failli dans l'exécution du mandat qui lui avait été donné de contester la liquidation judiciaire prononcée à son encontre exerce un droit qui lui est propre ; qu'en énonçant que "l'action en responsabilité exercée par M. [B] à l'encontre de son avocat constitue une action patrimoniale" qui relève de l'article L. 641-9 du code de commerce, en ce qu' "elle ne porte sur aucun droit propre à ce débiteur", de sorte que ce dernier "n'a pas qualité à agir seul à l'encontre de M. [F], étant dessaisi de l'exercice de ses droits patrimoniaux" et que "(son) défaut de capacité à agir justifie la nullité de l'assignation qu'il a fait délivrer (…) à M. [F] pour engager (sa) responsabilité", cependant que le débiteur avait recherché la responsabilité civile professionnelle de M. [F] pour avoir, après l'arrêt de cassation du 22 mai 2013, qui avait censuré la cour d'appel de Douai ayant ouvert la liquidation de M. [B], omis de saisir la cour d'appel de renvoi dans le délai imparti, ce dont il résultait que le débiteur exerçait un droit propre, en relation avec le prononcé de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

5. Si le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens, par l'effet du jugement prononçant la liquidation judiciaire, conserve le droit, pourvu qu'il l'exerce contre le liquidateur ou en sa présence, de former un appel, puis le cas échéant, un pourvoi en cassation, contre les décisions prononçant la résolution de son plan de redressement et sa liquidation judiciaire, il n'est, en revanche, pas recevable à agir en responsabilité contre l'avocat qu'il a mandaté pour le représenter et l'assister dans l'exercice de ce droit propre.

6. Une telle action n'ayant pas pour effet de faire valoir le point de vue du débiteur dans le déroulement de la procédure collective, mais poursuivant une finalité patrimoniale consistant en l'obtention de dommages et intérêts, elle ne peut se rattacher à l'exercice d'un droit propre et la fin de non-recevoir opposée au débiteur n'est pas contraire aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine, seuls atteints par le dessaisissement, sont exercés par le liquidateur pendant toute la durée de la procédure collective.

7. En conséquence, l'arrêt a exactement retenu que M. [B] exerçait contre son avocat une action en responsabilité de nature patrimoniale entrant dans le champ d'application de l'article L. 641-9 du code de commerce, de sorte qu'il n'avait pas qualité pour agir contre M. [F].

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [B].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [S] [B] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'assignation du 10 octobre 2017 pour défaut de capacité à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi ;

Alors que la règle du dessaisissement étant édictée dans l'intérêt des créanciers, seul le liquidateur judiciaire peut s'en prévaloir ; qu'en énonçant, pour juger du contraire, que « M. [F] a qualité à solliciter l'application de la fin de non-recevoir tirée du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire, dont l'invocation n'est pas réservée au seul liquidateur judiciaire », la cour d'appel a violé L. 641-9, I, du code de commerce, ensemble l'article 122 du code de procédure civile et l'article 6§ 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

M. [S] [B] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'assignation du 10 octobre 2017 pour défaut de capacité à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi ;

Alors 1°) que le débiteur qui recherche la responsabilité civile professionnelle de son conseil ayant failli dans l'exécution du mandat qui lui avait été donné de contester la liquidation judiciaire prononcée à son encontre exerce un droit qui lui est propre ; qu'en énonçant que « l'action en responsabilité exercée par M. [B] à l'encontre de son avocat constitue une action patrimoniale » qui relève de l'article L. 641-9 du code de commerce, en ce qu' « elle ne porte sur aucun droit propre à ce débiteur », de sorte que ce dernier « n'a pas qualité à agir seul à l'encontre de M. [F], étant dessaisi de l'exercice de ses droits patrimoniaux » et que « (son) défaut de capacité à agir justifie la nullité de l'assignation qu'il a fait délivrer (…) à M. [F] pour engager (sa) responsabilité », cependant que le débiteur avait recherché la responsabilité civile professionnelle de M. [F] pour avoir, après l'arrêt de cassation du 22 mai 2013, qui avait censuré la cour d'appel de Douai ayant ouvert la liquidation de M. [B], omis de saisir la cour d'appel de renvoi dans le délai imparti, ce dont il résultait que le débiteur exerçait un droit propre, en relation avec le prononcé de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

Alors 2°) que le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ; que, dans ses écritures d'appel (concl., p. 3), M. [B] a fait valoir que « l'action visant à engager la responsabilité d'un auxiliaire de justice, en l'occurrence (son) ancien avocat, ne relève nullement de la mission de Me [V] », liquidateur, étant précisé que ce dernier lui avait refusé son assistance et que, par ordonnance du 13 mars 2019, le président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer avait, pour rejeter sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc, retenu que « l'action à l'encontre de son ancien conseil n'entre indiscutablement pas dans la mission du liquidateur et qui est exclusivement personnelle au débiteur » et que « sa demande de réparation est consécutive à atteinte personnelle au droit de former un ultime recours à l'encontre du jugement prononçant sa liquidation judiciaire, droit qui lui a d'ailleurs été reconnu tant par la cour d'appel que la Cour de cassation », pour en conclure « le droit de M. [S] [B] tente de faire reconnaître est donc bien un droit propre, de sorte qu'il n'appartient pas au liquidateur judiciaire de substituer M. [S] [B], qui a toute capacité pour accomplir les actes et exercer les droits actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la mise en cause de la responsabilité civile professionnelle du conseil du débiteur pour avoir failli à son mandat de contestation du prononcé de la liquidation judiciaire était comprise dans la mission du liquidateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 641-9, I, du code de commerce.

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