1 février 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-82.235

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00123

Titres et sommaires

SAISIES - Saisies spéciales - Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels - Appel - Règle de l'unique objet - Moyen portant sur l'immunité pénale liée aux fonctions - Recevabilité

Si la personne dont le bien fait l'objet d'une saisie pénale au cours d'une enquête préliminaire, ne saurait, à l'occasion de son appel contre l'ordonnance de saisie, invoquer des exceptions ou formuler des demandes étrangères à l'unique objet de l'appel, il se déduit des articles 689-11 et 706-153 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre une ordonnance de saisie spéciale rendue dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis à l'étranger et dont les éventuelles poursuites sont conditionnées par la résidence en France de la seule personne mise en cause, est tenue, nonobstant la règle de l'unique objet, d'examiner les éléments que celle-ci lui soumet en invoquant l'immunité pénale liée aux fonctions qu'elle occupait à la date des faits et à la nature des actes qui lui sont reprochés

Texte de la décision

N° R 22-82.235 F- B

N° 00123


GM
1ER FÉVRIER 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER FÉVRIER 2023



M. [P] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 23 mars 2022, qui, dans la procédure suivie des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité et de complicité, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. d'Huy, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [P] [B], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. d'Huy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.



Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée en France des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité et complicité relatifs à des faits qui auraient été commis en Côte d'Ivoire, mettant en cause, notamment, M. [P] [B] qui revendique avoir exercé les fonctions de premier ministre durant la période incriminée, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie pénale de la somme détenue sur un contrat d'assurance-vie par la [1], tiers débiteur de M. [B], pour un montant de 231 931,23 euros.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale frappée d'appel par M. [B], alors « que la règle de l'unique objet ne peut être opposée à la personne qui fonde son appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé une saisie sur l'exception tirée de l'immunité de juridiction de l'Etat étranger ; qu'en retenant que la règle de l'unique objet de l'appel lui interdisait d'examiner l'exception d'immunité invoquée par M. [B] à raison de sa qualité de premier ministre de la Côte d'Ivoire à l'époque des faits, la cour d'appel a méconnu les principes généraux du droit international et les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 706-153, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

4. La Cour de cassation juge que la personne dont le bien fait l'objet d'une saisie pénale au cours d'une enquête préliminaire, ne saurait, à l'occasion de son appel contre l'ordonnance de saisie, invoquer des exceptions ou formuler des demandes étrangères à l'unique objet de l'appel.

5. Il résulte de l'article 689-11 du code de procédure pénale que peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle réside habituellement sur le territoire de la République, toute personne soupçonnée d'avoir commis les crimes contre l'humanité définis au chapitre II du sous-titre 1er du titre 1er du livre II du code pénal, si les faits sont punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis ou si cet Etat ou l'Etat dont la personne soupçonnée a la nationalité est partie à la convention portant statut de la Cour pénale internationale, ouverte à la signature le 18 juillet 1998, ou, dans les mêmes conditions, celle soupçonnée d'avoir commis les crimes et délits de guerre définis aux articles 461-1 et 461-31 du même code.

6. Il résulte de ces dispositions que la compétence des juridictions françaises pour connaître des crimes et délits susvisés est conditionnée par la faculté, pour les autorités judiciaires françaises, de pouvoir poursuivre la personne résidant habituellement sur le territoire de la République.

7. Il se déduit du principe énoncé au § 4 et des articles 689-11 et 706-153 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre une ordonnance de saisie spéciale rendue dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis à l'étranger et dont les éventuelles poursuites sont conditionnées par la résidence en France de la seule personne mise en cause, est tenue, nonobstant la règle de l'unique objet, d'examiner les éléments soumis par l'intéressé qui invoque l'immunité pénale liée aux fonctions qu'il occupait à la date des faits et à la nature des actes qui lui sont reprochés.

8. C'est donc à tort que la chambre de l'instruction a jugé qu'aucune disposition du code de procédure pénale ne donne compétence à la chambre de l‘instruction, saisie d'un appel formé contre une ordonnance de saisie, en l'absence d'ouverture d'information, pour statuer sur des exceptions de procédure, y compris lorsque le mis en cause invoque une immunité pénale.

9. En effet, l'immunité revendiquée par le demandeur qui est seul mis en cause des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité, si elle est avérée, est de nature à priver la juridiction française de la compétence universelle qui lui est reconnue par les dispositions de l'article 689-11 du code de procédure pénale et en conséquence, de mettre un terme aux investigations en cours.

10. L'arrêt n'encourt toutefois pas la censure dès lors qu'il résulte de ses énonciations que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a confirmé que M. [B], qui revendique avoir exercé les fonctions de premier ministre de Côte d'Ivoire et invoque l'immunité pénale qui s'attache aux actes susceptibles de lui être reprochés en cette qualité, n'exerçait aucune fonction officielle entre le 6 décembre 2010 et le 11 avril 2011 et qu'il ne peut, au moins durant cette période, se prévaloir d'une quelconque immunité.

11. Dès lors, le moyen doit être écarté.

12. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.

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