25 janvier 2023
Cour d'appel de Limoges
RG n° 21/00855

Chambre sociale

Texte de la décision

ARRET N° .



N° RG 21/00855 - N° Portalis DBV6-V-B7F-BIIHV



AFFAIRE :



S.A.S. [Localité 3]-DIS Prise en la personne de son représentant légal domiciliée ès qualité audit siège



C/



M. [E] [F]









J-PC/MS







Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution







Grosse délivrée à Me Matthias WEBER, Me Richard DOUDET, avocats





COUR D'APPEL DE [Localité 3]

Chambre économique et sociale

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ARRET DU 25 JANVIER 2023

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Le VINGT CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre économique et sociale a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :



ENTRE :



S.A.S. [Localité 3]-DIS Prise en la personne de son représentant légal domiciliée ès qualité audit siège, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Matthias WEBER de la SCP TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS substituée par Me Aurore LINET, avocat au barreau de POITIERS









APPELANTE d'une décision rendue le 14 SEPTEMBRE 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE [Localité 3]



ET :



Monsieur [E] [F]

né le 26 Septembre 1972 à [Localité 2], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Richard DOUDET de la SELARL SELARL D'AGUESSEAU CONSEIL, avocat au barreau de [Localité 3]









INTIME







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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 05 Décembre 2022. L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 novembre 2022.



La Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Monsieur Jean-Pierre COLOMER et de Madame Géraldine VOISIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Monsieur Jean-Pierre COLOMER, Conseiller, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.



Puis Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 25 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.



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LA COUR

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EXPOSE DU LITIGE :



La société [Localité 3]-DIS exploite un magasin sous l'enseigne Leclerc à [Localité 3].



Elle a engagé M. [F] en qualité de responsable du rayon fruits et légumes, à compter du 3 juillet 2006 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, statut cadre. Le contrat de travail prévoyait en outre une convention individuelle annuelle de forfait-jours de 215 jours par an.



Le 25 mars 2019, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable prévu le 30 mars suivant, son employeur lui reprochant principalement son comportement inadapté envers l'une de ses collègues de l'entreprise. La convocation était assortie d'une mise à pied conservatoire.



Le 3 avril 2019, le salarié a été convoqué à un deuxième entretien préalable prévu le 13 avril suivant et sa mise à pied conservatoire a été maintenue.



Le 23 avril 2019, M. [F] a été licencié pour faute grave.



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Par requête en date du 25 juin 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 3] de contestations portant sur l'exécution et la rupture de son contrat de travail.



Par jugement du 14 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Limoges a :

- dit que le licenciement de M. [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;



- dit que la convention individuelle de forfait jours est privée d'effet ;



- dit que M. [F] est bien fondé à demander le paiement des heures supplémentaires ;



- condamné la société [Localité 3]-DIS à verser à M. [F] les sommes de :


16 214,19 € net au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;





17 943,51 € net au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;





16 214,19 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 621,42 € brut de congés payés afférents ;





3 150,01 € brut au titre du rappel de salaire relatif à la période de mise à pied outre 315 € de congés payés afférents ;





61 803,12 € brut en paiement des heures supplémentaires outre 6 180,31 € brut de conges payés ;




- ordonné le remboursement par la société [Localité 3]-DIS à Pôle emploi de un mois d'indemnités chômage versées à M. [F], du jour de son licenciement au jour du présent jugement en application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;



- débouté M. [F] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;



- condamné la société [Localité 3]-DIS à verser à M. [F] la somme de 300 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



- condamné la société [Localité 3]-DIS aux entiers dépens ;



- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner au titre de l'article 515 du code de procédure civile l'exécution provisoire pour le surplus des sommes qui n'en sont pas assorties de droit au titre de l'article R. 1454-28 du code du travail ; la moyenne des 3 derniers mois de salaires étant de 5 179,05 €.



La société [Localité 3]-DIS a interjeté appel de la décision le 7 octobre 2021. Son recours porte sur l'ensemble des chefs de jugement lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent.





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Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2022, la société [Localité 3]-DIS demande à la cour de :

- infirmer le jugement dont appel dans l'ensemble de ses chefs critiqués ;



- le confirmer en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;



Et, statuant à nouveau, de :

- débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;



- débouter le même de son appel incident ;



- condamner M. [F] à lui verser une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3 000 €, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.



A l'appui de son recours, la société [Localité 3]-DIS fait valoir que le licenciement pour faute grave de M. [F] repose sur des faits qui ne sont pas prescrits dès lors qu'il s'agit d'un comportement fautif persistant. Ainsi, elle estime que le comportement déplacé du salarié, à l'égard de sa collègue féminine justifiait la rupture du contrat de travail sur le fondement de la faute grave, d'autant qu'il a abusé de ses fonctions et de son autorité.

Elle conteste l'irrégularité de la convention de forfait en jours en faisant valoir que M. [F] a bénéficié d'un suivi régulier de sa charge de travail notamment lors des entretiens annuels.



Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 novembre 2022, M. [F] demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a  limité l'indemnité allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à 16 214,19 € net ainsi qu'en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;



- dire recevable et bien fondé son appel incident ;



- condamner la société [Localité 3]-DIS à lui verser les sommes de :


62 154,40 € net au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;





10 000 € net de dommages-intérêts en raison du licenciement vexatoire dont il a fait l'objet ;




- confirmer le jugement pour le surplus ;



- condamner la société [Localité 3]-DIS à lui verser la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



L'employeur soutient qu'une partie des griefs formulés dans la lettre de licenciement sont prescrits. Pour le surplus, il fait valoir que les faits reprochés ne procèdent pas d'un même comportement fautif. Par ailleurs, il conteste la validité de sa convention de forfait en jours en faisant valoir que M. [F] n'a effectué un suivi ni de sa charge de travail ni de son amplitude horaire. Tirant les conséquences de la nullité de la convention de forfait en jours, il réclame le paiement de 1 974 heures supplémentaires effectuées.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 novembre 2022.



Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.






SUR CE,



1. Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail :



- Sur la convention de forfait en jours :



Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.



Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.



Selon, l'article L. 3121-60 du code du travail applicable aux conventions individuelles de forfait en jours, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.



En l'espèce, la possibilité de mettre en oeuvre une convention de forfait en jours est inscrite dans la Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.



L'article 5.5.6. de la convention prévoit les dispositions suivantes qui sont de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié :

- le suivi du nombre de jours ou demi-journées travaillés et du respect du repos quotidien et hebdomadaire, sous la forme, d'une part, d'un document de décompte signé par le salarié et remis mensuellement à sa hiérarchie, responsable de son analyse des suites à donner ainsi que sa conservation et, d'autre part, d'un récapitulatif annuel remis au salarié ;



- un entretien annuel à l'initiative de la hiérarchie portant sur la charge et l'amplitude de travail, sur l'organisation du travail, sur l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération ;



- un entretien proposé par la hiérarchie lorsque le mensuel de décompte fait apparaître des anomalies répétées met en évidence des difficultés en matière de temps de travail ;



- un entretien supplémentaire à l'initiative du salarié si celui-ci rencontre des difficultés d'organisation de sa charge de travail l'amenant à des durées de travail trop importantes ;



- un bilan 3 mois après un entretien rendu nécessaire en raison des difficultés en matière de temps de travail.



M. [F] soutient que l'employeur n'a effectué aucun suivi de sa charge de travail ou de l'amplitude de son travail.



La société [Localité 3]-DIS produit des tableaux de suivi des jours travaillés ainsi qu'un décompte du nombre de jours travaillés par an. Comme le fait observer le salarié, ces documents ne sont pas nominatifs et si M. [T] atteste que les données figurant dans ce tableau sont bien issues des données internes de l'entreprise, celui-ci ne confirme pas que les données figurant sur ces documents non nominatifs sont issues du contrôle de l'activité de M. [F] qui le conteste.



L'employeur produit également les documents qu'il qualifie de compte rendu d'entretien mais comme le relève M. [F] qui soutient que ces entretiens n'ont jamais été réalisés et que ces documents ont été créés de toutes pièces, ceux-ci ne contiennent ni le nom ni la signature de l'auteur de l'entretien et n'ont pas été soumis à l'avis du salarié évalué. La preuve n'est donc pas rapportée de la mise en 'uvre de l'entretien annuel prévu par la convention collective.



Au regard de ces éléments, il apparaît que la société [Localité 3]-DIS n'a pas mis en 'uvre les mesures conventionnelles de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables, d'une part, et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié, d'autre part. En conséquence, la convention de forfait en jours est privée d'effet.



La décision des premiers juges sera confirmée de ce chef.





- Sur les heures supplémentaires :



Il résulte des dispositions des articles L. 3121-27 à L. 3121-29 du code du travail que la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine, que toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent et que les heures supplémentaires se décomptent par semaine.



Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.



Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.



En l'espèce, M. [F] produit à l'appui de sa demande le calcul des heures supplémentaires dont il demande le paiement ainsi que les modalités de calcul du rappel de salaire.



Son calcul est suffisamment précis pour que l'employeur puisse y répondre.



Ainsi, M. [F] prétend qu'il commençait à travailler à partir de 6h30 et qu'il débauchait à 18 heures après avoir bénéficié d'une pause déjeuner d'une durée de 2 heures, ce qui correspond à une journée de travail d'une durée de 9h30. Il travaillait trois journées complètes par semaine ainsi que deux demi-journées le matin, soit 48h30 par semaine. Il produit par ailleurs différents témoignages qui viennent confirmer ses heures de début et de fin de travail. L'employeur ne produit aucun élément permettant de remettre en cause ces témoignages et il se déduit des tableaux produits par l'employeur que ce dernier confirme que l'intéressé travaillait trois journées complètes par semaine ainsi que deux demi-journées le matin.



M. [F] a donc réalisé 13h30 supplémentaires par semaine.



Pour la détermination du rappel de salaire, il convient de tenir compte des congés payés, des jours RTT inclus dans les congés figurants sur les bulletins de salaire (31 jours), les jours fériés puisque selon les documents de l'employeur M. [F] en bénéficié.



Par ailleurs, s'agissant du taux horaire appliqué aux heures supplémentaires, celui-ci ne peut être déterminé par référence au salaire forfaitaire rémunérant 216 jours de travail. En effet, l'écart existant entre le taux horaire conventionnel et le taux horaire résultant du rapport entre le salaire forfaitaire du salarié et la durée légale de travail montre que le salaire forfaitaire rémunérait nécessairement une activité supérieure à la durée légale de travail. En conséquence, il y a donc lieu de retenir le taux horaire prévu par la convention collective pour la rémunération d'un emploi de niveau 7.



La société [Localité 3]-DIS sera condamnée à lui payer la somme de 37 522,91 € brut ainsi que les congés payés y afférents.



La décision des premiers juges sera réformée de ce chef.





2. Sur la rupture du contrat de travail :



- Sur le licenciement :



La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.



Il appartient l'employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu'il reproche à son salarié.



Par ailleurs, l'article L. 1332-4 du code du travail prévoit qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.



Il est constant que lorsque le comportement fautif du salarié, bien qu'ayant commencé plus de deux mois avant l'engagement des poursuites, s'est poursuivi, la prescription des faits ne peut être opposée à l'employeur.



En l'espèce, dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, l'employeur reproche à son salarié les faits suivants :

« Nous avons été alertés de votre comportement abusif et nous ne pouvons le tolérer.

En effet, après une 1 ère alerte au début du mois de janvier 2019, par Mademoiselle [J] [T], jeune employée du magasin en contrat à durée déterminée : elle nous avait en effet notamment indiqué que vous lui aviez glissé votre numéro de téléphone dans la poche arrière de son pantalon pour la revoir en dehors des heures de travail, nous avons de nouveau été alertés de votre comportement à son égard dans le courant du mois de mars 2019.



C'est la raison pour laquelle, nous vous avons reçu ensemble avec l'intéressée afin de faire le point sur cette affaire.





Toutefois, eu égard aux faits qui venaient d'être portés à notre connaissance et au déroulé de cette rencontre, nous avons été contraints de vous convoquer à un 1 er entretien préalable le 30 mars 2019.



Vous avez alors démenti les accusations portées à votre encontre tentant de vous justifier par deux notes écrites.



Néanmoins, après cet entretien préalable, nous avons été alertés par un salarié du magasin de votre comportement menaçant à l'égard de Mademoiselle [J] [T] il déclare : « J'ai vu le responsable fruits et légumes passer à côté de [J] faire un geste avec l'index levé tout en disant 'fais attention à toi' [J] était sur la défensive et a eu un geste de recul. J'ai été la voir pour confirmer ce que j'avais entendu et m'a redit qu'il lui avait bien dit de faire attention à elle. Je lui ai conseillé de ne pas laisser passer ça ».



C'est la raison pour laquelle nous avons été contraints de vous convoquer le 3 avril 2019 à un nouvel entretien préalable.



Un tel comportement est inacceptable et porte gravement atteinte à la sécurité de nos salariés, nous ne pouvons le tolérer.



Pourtant, vous aviez déjà été reçu pour vos abus dans l'exercice de vos fonctions.



En effet, notamment, le 17 janvier 2017, vous aviez été reçu par la Direction parce que nous avions découvert que vous aviez imité la signature d'une salariée placée sous votre responsabilité pour ses demandes de congés payés. Vous n'aviez aucune autorisation de sa part pour le faire et la salariée s'en était plainte. Vous aviez même à l'époque demandé à la salariée de ne rien dire à la Direction pour tenter de dissimuler votre faute.



Force est de constater que vous n'avez pas tenu compte de nos alertes puisque comme nous vous l'avons indiqué lors de l'entretien préalable, la présente lettre de notification ne fait état de quelques exemples de votre abus d'autorité.



Votre comportement est inacceptable et porte gravement atteinte non seulement au bon fonctionnement de l'entreprise mais également à la sécurité de nos salariés.

(...) »



Préalablement, il convient de relever qu'au moment des faits, il existait, d'une part, une différence d'âge certaine entre M. [F], âgé de 46 ans, et Mme [T], âgée de 21 ans, et, d'autre part, une différence de situation au sein de l'entreprise puisque M. [F], titulaire d'un contrat à durée indéterminée, exerçait un emploi de responsable de rayon tandis que Mme [T], titulaire d'un contrat à durée déterminée, occupait un emploi précaire et de subalterne même si elle n'exerçait pas sous la responsabilité de ce dernier. Dans son témoignage, Mme [T] précise qu'il s'agissait de sa première expérience professionnelle.



La société [Localité 3]-DIS produit le courrier rédigé le 29 mars 2019 par Mme [T] qui a confirmé dans une attestation être l'auteur de celui-ci. Dans ce courrier, la salariée décrit précisément et de manière circonstanciée l'évolution de l'attitude de M. [F] à son égard, des premiers contacts survenus en octobre 2018 jusqu'au dernier incident du 16 mars 2019.



Il résulte de ce témoignage que rapidement M. [F] a commencé à lui poser des questions sur sa situation personnelles afin de connaître son âge, son lieu de résidence mais aussi son éventuelle situation de célibataire. Par la suite, son comportement est devenu plus familier. Ainsi, après l'avoir surnommée « Robocop » en raison du port temporaire d'une attelle, il s'est mis à l'appeler « ma chérie » et à lui faire la bise pour lui dire bonjour tout en la prenant par la taille. Elle décrit également un épisode au cours duquel, à la suite d'une coupure au doigt, M. [F] a tenu absolument à lui faire son pansement en voulant lui faire « un bisou magique ». Elle indique le 14 janvier 2019 que celui-ci lui a glissé un papier dans la poche arrière de son pantalon sur lequel son numéro de téléphone était inscrit, tout en lui disant « pour qu'on se voit en dehors ».



Mme [T] déclare avoir averti le jour même son responsable (M. [V]) ainsi que le directeur (M. [K]). Par la suite, son contrat de travail ayant été renouvelé, M. [F] n'a eu connaissance de son renouvellement que le 4 février 2019 lorsqu'elle a fait un remplacement à l'épicerie. Elle indique qu'il a recommencé à se comporter comme auparavant, qu'elle est retournée voir son responsable qui lui a conseillé d'avoir une explication avec lui, ce qu'elle a fait le 8 février. Elle dit avoir été soulagée d'avoir pu exprimer ce qu'elle ressentait. Elle ajoute que, durant la semaine du 11 février, elle l'a croisé dans les rayons et que, comme il la regardait avec l'insistance, elle lui avait demandé ce qu'il y avait et il lui avait alors répondu de faire attention à elle tout en la menaçant avec son doigt.



Enfin, Mme [T] décrit très précisément la gêne qu'elle a ressenti face à cette situation, l'apparition d'un stress à l'idée de croiser M. [F] et le développement de son mal-être au travail.



Les déclarations de Mme [T] sont corroborées par le témoignage de M. [V], responsable du service Drive, qui confirme que cette dernière est venue se confier à lui quelques minutes après que M. [F] lui ait glissé son numéro de téléphone dans la poche arrière de son pantalon. Il ajoute qu'elle lui a indiqué que ce dernier lui avait dit qu'elle pouvait l'appeler en dehors des heures de travail. Il a également observé que durant la période du contrat de travail de Mme [T], M. [F] faisait en sorte de descendre dans son service lorsqu'elle était présente.



M. [P] atteste avoir été témoin des menaces par M. [F] à l'égard de la salariée et il confirme avoir entendu les propos dénoncés par Mme [T].



Par ailleurs, M. [V] indique qu'à la même période, une saisonnière s'est confiée à une personne du rayon fruits et légumes pour se plaindre de M. [F] qui avait les mains baladeuses et qu'un autre salarié de l'entreprise a affirmé qu'il se vantait de ses conquêtes féminines au sein de l'entreprise.



Mme [N] témoigne que M. [F] lui a montré la photo d'une collègue nue assise sur une chaise, en précisant que celui-ci avait une relation avec cette personne à ce moment-là.



L'ensemble de ces témoignages corrobore les déclarations de Mme [T].



M. [F] reconnaît avoir donné son numéro de téléphone à sa jeune collègue mais affirme l'avoir fait dans l'unique but de lui venir en aide dans la mesure où elle s'était plainte à de nombreuses reprises de l'enfer qu'elle vivait au quotidien sous la responsabilité de son supérieur. Cette allégation est en contradiction avec le fait que Mme [T] est allée signaler immédiatement les faits à son supérieur. Il convient par ailleurs d'observer qu'aucun des témoignages produits par le salarié ne fait état des difficultés dans les relations entre Mme [T] et M. [V].



Il produit également divers témoignages qui louent ses qualités relationnelles en milieu professionnel. Néanmoins, ceux-ci ne sauraient remettre en cause les déclarations circonstanciées de la salariée qui sont corroborées par des éléments ci-dessus.



Il apparaît ainsi que M. [F] a eu des agissements répétés qui ont eu pour conséquence de causer un mal-être au travail au préjudice de Mme [T], en profitant de l'inexpérience de cette dernière dans le monde professionnel et de sa position dominante liée à l'écart d'âge mais aussi à son positionnement au sein de l'entreprise.



Les faits reprochés au salarié ne sont pas prescrits dès lors que si le comportement de M. [F] a commencé plus de deux mois avant l'engagement de poursuites, celui-ci a perduré jusqu'au mois de mars 2019.



Il s'ensuit que les griefs sont établis.







L'employeur lorsqu'il a été informé de l'incident survenu le 14 janvier 2019, a demandé à la salariée d'avoir une explication avec M. [F], ce qu'elle a fait le 8 février suivant. Pour autant, ce dernier a persisté dans son comportement inadapté puisque s'il a cessé de tenter de la séduire, il a adopté un comportement menaçant.



Ainsi, les fautes commises par M. [F] rendaient impossible le maintien de son contrat de travail pendant la durée du préavis dès lors que son comportement entraînait une dégradation des conditions de travail de Mme [T], susceptible de porter atteinte à sa dignité ainsi qu'à sa santé mentale.



Les manquements commis par M. [F] étant constitutifs d'une faute grave, ce dernier sera débouté de sa contestation de son licenciement. La décision des premiers juges sera infirmée de ce chef.





Sur les autres demandes :



A la suite de la présente procédure, M. [F] a exposé des frais non compris dans les dépens. L'équité commande de l'en indemniser. La société [Localité 3]-DIS sera condamnée à lui payer la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.





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PAR CES MOTIFS

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LA COUR 



Statuant par décision Contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;





INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de [Localité 3] en date du 14 septembre 2021 en ses dispositions ayant :

- dit que le licenciement de M. [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;



- condamné la société [Localité 3]-DIS à verser à M. [F] les sommes de :


16 214,19 € net au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;





17 943,51 € net au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;





16 214,19 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 621,42 € brut de congés payés afférents ;





3 150,01 € brut au titre du rappel de salaire relatif à la période de mise à pied outre 315 € de congés payes afférents ;





61 803,12 € brut en paiement des heures supplémentaires outre 6 180,31 € brut de conges payés ;




- ordonné le remboursement par la société [Localité 3]-DIS à Pôle emploi d' un mois d'indemnités chômage versées à M. [F], du jour de son licenciement au jour du présent jugement en application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;





Le confirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour ;



Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,



DEBOUTE M. [F] de sa contestation de son licenciement pour faute grave et des demandes financières liées à cette contestation ;



CONDAMNE la société [Localité 3]-DIS à payer à M. [F] la somme de 37 522,91 € brut au titre des heures supplémentaires ainsi que la somme de 3 752,29 € brut au titre des congés payés y afférents ;



Rappelle en tant que de besoin que le présent arrêt infirmatif tient lieu de titre afin d'obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l'exécution provisoire ;



Condamne la société [Localité 3]-DIS aux dépens de l'appel et à payer à M. [F] la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;









LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,











Sophie MAILLANT. Pierre-Louis PUGNET.

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