24 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-85.828

Chambre criminelle - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00005

Titres et sommaires

ACTION CIVILE - Partie civile - Constitution - Constitution à l'instruction - Recevabilité - Existence d'un préjudice certain, direct et personnel - Appréciation - Cas - Attentats terroristes

C'est à tort que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré la constitution de partie civile de la plaignante irrecevable, les juges ont retenu que celle-ci ne s'était pas trouvée sur la trajectoire de la camionnette conduite par l'un des auteurs des faits poursuivis. Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses énonciations que, si l'intéressée se trouvait à proximité, elle n'a pas été en situation de prendre la mesure des faits qui étaient en train de se dérouler, de sorte qu'elle ne s'est pas crue exposée à une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin)

Texte de la décision

N° A 21-85.828 FP-B

N° 00005


ODVS
24 JANVIER 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2023



Mme [C] [X], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 22 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre MM. [M] [H] et [N] [K] des chefs de tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable sa constitution de partie civile.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [C] [X], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Labrousse, MM. d'Huy, Wyon, Mmes Ménotti, Leprieur, Sudre, Goanvic, M. Sottet, conseillers de la chambre, M. Leblanc, Mmes Guerrini, Chafaï, M. Michon, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 17 août 2017, vers 17 heures, une fourgonnette a fait irruption sur [Adresse 3] à [Localité 1], avant de remonter [Adresse 2] jusqu'à [Adresse 4], artères touristiques de la ville, fonçant dans la foule, faisant quatorze morts et plus d'une centaine de blessés. Le conducteur a pris la fuite avant d'être tué par des policiers quatre jours plus tard. L'organisation dite « Etat islamique » a revendiqué cet attentat.

3. Une information judiciaire a été ouverte à Paris des chefs susvisés, des ressortissants français ayant été blessés.

4. Mme [C] [X] s'est constituée partie civile, faisant valoir un préjudice psychologique.

5. Le juge d'instruction a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable.

6. Mme [X] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Mme [X], alors :

« 1°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu' « il ressort des explications précises données par Mme [X] qu'après y être descendue, elle se trouvait devant la station de métro et que la camionnette est passée derrière sur sa droite » et que son traumatisme était « indéniable » ; qu'en retenant pourtant, pour déclarer sa constitution de partie civile irrecevable, que Mme [X] n'avait pas été « directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur de la camionnette » et que son traumatisme relevait de celui des témoins des conséquences de l'infraction et non d'une victime directe, la chambre de l'instruction qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 2, 3, 85 et 593 du code de procédure pénal ;

2°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en se fondant, pour retenir que Mme [X] n'avait pas été directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste et déclarer sa constitution de partie civile irrecevable, sur le fait qu'elle ne s'était pas trouvée dans la trajectoire même de la camionnette, quand cette seule circonstance n'était pas de nature à exclure toute intention homicide à son encontre de la part du terroriste dans un attentat visant à tuer le plus de personnes possibles présentes sur [Adresse 2], la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 2, 3 et 85 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'une constitution de partie civile est recevable dès lors que le préjudice invoqué découle des faits objets des poursuites ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le traumatisme de Mme [X] était « indéniable » ; qu'en subordonnant la recevabilité de sa constitution de partie civile à la preuve qu'elle avait été directement et immédiatement exposée à l'intention homicide du terroriste, quand il suffisait que Mme [X] puisse se prévaloir d'un préjudice qui découlait des faits poursuivis, la chambre de l'instruction a violé les articles 2, 3 et 85 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré la constitution de partie civile de Mme [X] irrecevable, l'arrêt attaqué reprend les premières déclarations de celle-ci selon lesquelles elle se trouvait, à l'heure des faits, sur [Adresse 2], a vu arriver de sa droite une camionnette à vive allure, a pensé qu'en raison de sa vitesse elle pouvait blesser quelqu'un, a entendu « une vague de bruit » l'ayant pétrifiée, puis a été entraînée par un tiers dans un restaurant d'où elle a pu voir des personnes allongées sur le sol, qu'elle a pensé endormies, des ambulances et des policiers.

9. Les juges, se fondant sur les déclarations ultérieures de l'intéressée, énoncent qu'il ressort de ces explications que la camionnette est passée derrière l'intéressée sans qu'elle se soit trouvée sur sa trajectoire, même si elle a pu voir des gens au sol, ressentir le mouvement et le bruit de la foule avant d'être entraînée par un tiers vers un restaurant.

10. Ils en concluent que le traumatisme indéniable de la plaignante correspond à celui vécu par les témoins des conséquences de l'infraction, et non au préjudice d'une victime directe au sens de l'article 2 du code de procédure pénale.

11. C'est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n'était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que l'intéressée ne s'était pas trouvée sur la trajectoire de la camionnette.

12. Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure.

13. En effet, il résulte de ses énonciations que, si Mme [X] se trouvait à proximité, elle n'a pas été en situation de prendre la mesure des faits qui étaient en train de se dérouler, de sorte qu'elle ne s'est pas crue exposée à une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin).

14. Dès lors, le moyen doit être écarté.

15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre janvier deux mille vingt-trois.

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