25 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.089

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300096

Titres et sommaires

BAIL COMMERCIAL - Renouvellement - Refus - Refus comportant offre d'indemnité d'éviction - Indemnité d'éviction - Préjudice distinct - Perte du droit au maintien dans les lieux - Réparation

Il résulte, d'une part de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution que si la décision de justice, titre en vertu duquel l'exécution est poursuivie aux risques du créancier, est ultérieurement modifiée, le créancier rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent, d'autre part des articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce que le locataire évincé, qui peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial, a droit jusqu'au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Viole ces textes la cour d'appel qui, pour refuser d'indemniser le locataire à bail commercial des gains qu'il aurait obtenus s'il était resté en possession du fonds, retient qu'il a été indemnisé de la perte de son fonds de commerce, intervenue à la date de son expulsion, alors que la privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION - Règles générales - Titre - Titre exécutoire - Titre ultérieurement modifié - Rétablissement du débiteur dans ses droits - Cas - Renouvellement - Refus comportant offre d'indemnité d'éviction - Indemnité d'éviction - Préjudice distinct - Perte du droit au maintien dans les lieux - Réparation

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 janvier 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 96 FS-B

Pourvoi n° G 21-19.089




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023

1°/ Mme [O] [F], épouse [L], domiciliée [Adresse 1],

2°/ la société Archibald, dont le siège est [Adresse 2], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, en la personne de Mme [Z] [M], agissant en sa qualité de mandataire liquidateur de Mme [O] [L],

ont formé le pourvoi n° G 21-19.089 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 chambre 3), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Span, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société de Paris, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [L] et de la société Archibald,ès qualité, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société de Paris, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2021), en 2005 et en 2007, deux baux commerciaux portant sur des locaux à usage d'hôtel, bar restaurant et organisation de réception, ont été consentis par la société civile immobilière Span (la bailleresse) à Mme [L] (la locataire).

2. En exécution d'un arrêt, rendu en référé le 1er octobre 2015, confirmant une ordonnance qui constatait la résiliation des baux par acquisition de la clause résolutoire, la locataire a été expulsée des locaux, qui ont été vendus à une société tierce, le 12 mai 2017.

3. Statuant par arrêt du 20 septembre 2018, après cassation de l'arrêt du 1er octobre 2015 (3e Civ., 30 mars 2017, pourvoi n° 16-10.366, Bull. 2017, III, n° 47), la cour d'appel de renvoi a infirmé l'ordonnance.

4. Au cours de la procédure en référé, la locataire avait assigné la bailleresse, en annulation des commandements et du procès-verbal d'expulsion, en réintégration et en indemnisation des préjudices subis en conséquence de son expulsion.

5. Par jugement du 10 juillet 2019, la procédure de redressement judiciaire de la locataire a été convertie en liquidation judiciaire et la société Archibald a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. La locataire représentée par son mandataire liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de condamnation de la bailleresse et de l'acquéreur des locaux en réparation de la perte de son chiffre d'affaires depuis la date de l'expulsion, alors : « que le preneur qui n'a pu continuer son activité jusqu'à la date de paiement de l'indemnité d'éviction du fait du manquement du bailleur à ses obligations, est fondé à solliciter la réparation du préjudice qui en résulte ; qu'à supposer que, comme l'a retenu la cour d'appel, la restitution à laquelle avait droit Mme [L] devait être calculée comme l'indemnité d'éviction du preneur à bail commercial, elle devait inclure les pertes d'exploitation subies jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, L. 145-14 du code de commerce et 1147, nouvellement 1231-1, du code civil.»

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution et les articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce :

8. Il résulte, du premier de ces textes, que si la décision de justice, titre en vertu duquel l'exécution est poursuivie aux risques du créancier, est ultérieurement modifiée, le créancier rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent et, des deux derniers, que le locataire évincé, qui peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial, a droit jusqu'au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.

9. Pour rejeter la demande de condamnation au titre de la perte de chiffre d'affaires, l'arrêt retient que la locataire, indemnisée de la perte de son fonds de commerce, intervenue à la date de son expulsion, ne peut au surplus être indemnisée des gains qu'elle aurait obtenus si elle était restée en possession du fonds.

10. En statuant ainsi, alors que la privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. La portée de la cassation est limitée au rejet de la demande en paiement de la somme de 2 430 000 euros, au titre de la perte de chiffre d'affaires, pour l'hôtel et le restaurant, pour les mois d'avril 2016 à la fin de l'année 2020, en ce qu'elle est dirigée contre la bailleresse.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de la somme de 2 430 000 euros, au titre de la perte de chiffre d'affaires, pour l'hôtel et le restaurant, pour les mois d'avril 2016 à la fin de l'année 2020, en ce qu'elle est dirigée contre la société civile immobilière Span, l'arrêt rendu le 16 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société civile immobilière Span aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Span et la condamne à payer à Mme [L] et à la société Archibald, agissant en qualité de mandataire liquidateur de celle-ci, la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.

Le conseiller rapporteur le president





Le greffier de chambre

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour Mme [L] et de la société Archibald, ès qualités,

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Les demanderesses au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme [L] de sa demande tendant à lui voir déclarer inopposable la vente immobilière intervenue entre la SCI Span et la SCI de Paris et d'avoir mis hors de cause la SCI de Paris

alors 1°) qu'il suffit, pour que l'action paulienne puisse être exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait été certaine en son principe au moment de l'acte argué de fraude ; qu'en jugeant, pour rejeter l'action paulienne de Mme [L] visant la cession de l'immeuble de la SCI Span à la SCI de Paris, qu'au moment de la signature de la promesse de vente, le 24 janvier 2017, la créance de Mme [L] à l'égard de la SCI Span n'aurait pas été certaine en son principe quand elle intervenait pendant l'examen du pourvoi contre l'arrêt sur le fondement duquel avait été exécutée son expulsion des lieux et qu'ainsi la créance de restitution de Mme [L] existait en son principe, la cour d'appel a violé, par refus d'application l'article 1167 ancien, actuel 1341-2, du code civil ;

2°) que l'action paulienne peut avoir pour objet de rendre inopposable un acte commis par le débiteur dans le cadre d'une fraude organisée en vue de porter préjudice à un créancier futur ; qu'en considérant qu'il n'était pas établi que, lors de la signature de la promesse de vente de ses murs de l'hôtel et du restaurant à la SCI de Paris, la SCI Span avait eu conscience de diminuer son patrimoine pour empêcher Mme [L] de recouvrer la créance née de la mise à néant de son expulsion, en se bornant à rappeler les stipulations de la promesse de vente quant aux modalités de paiement du prix de cession, mais sans s'interroger sur leur signification quant à l'étroitesse des liens existant entre la SCI Span et la SCI de Paris et sans rechercher plus largement, comme il le lui était demandé, si, dès avant l'expulsion de Mme [L], ces deux sociétés ne s'étaient pas entendues pour rendre le départ de la locataire irréversible et le paiement impossible des créances de cette dernière à l'égard de la SCI Span, ce qu'avait permis le transfert des biens de l'une vers l'autre dès que cela avait été possible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 ancien, actuel 1341-2, du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Les demanderesses au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué de débouter Mme [L] de sa demande tendant à voir condamner in solidum, les sociétés Span et de Paris à lui verser à titre de dommages-intérêts une somme de 2 430 000 euros pour réparer la perte de son chiffre d'affaires du mois d'avril 2016 jusqu'à la fin de l'année 2020 alors :

1°) que l'indemnisation de la privation de jouissance consécutive à l'exécution d'un arrêt ultérieurement cassé constitue une restitution indemnisable au titre de l'article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution ; qu'en limitant pourtant l'indemnisation de Mme [L] due en conséquence de la cassation de l'arrêt ayant fondé son expulsion à la seule perte des fonds de commerce d'hôtel et de restaurant, excluant qu'elle puisse être indemnisée de la privation de jouissance de ces fonds au titre de son droit à restitution, la cour d'appel a violé le texte précité ;

2°) que le preneur qui n'a pu continuer son activité jusqu'à la date de paiement de l'indemnité d'éviction du fait du manquement du bailleur à ses obligations, est fondé à solliciter la réparation du préjudice qui en résulte ; qu'à supposer que, comme l'a retenu la cour d'appel, la restitution à laquelle avait droit Mme [L] devait être calculée comme l'indemnité d'éviction du preneur à bail commercial, elle devait inclure les pertes d'exploitation subies jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, L. 145-14 du code de commerce et 1147, nouvellement 1231-1, du code civil,;

3°) à titre subsidiaire, que doit être réparée sur le fondement de la responsabilité civile toute faute indépendante de l'exécution de la décision cassée ; qu'en excluant toute réparation de la privation de jouissance des fonds de commerce exploités dans l'immeuble dont Mme [L] avait été expulsée en exécution d'une décision ultérieurement cassée au seul motif qu'elle ne relèverait pas de la restitution prévue à l'article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si cette réparation n'était pas due en réparation de la stratégie conduite de mauvaise foi par la société Span qui avait conduit à la liquidation judiciaire de Mme [L], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 nouvellement 1240 du code civil.

Le greffier de chambre

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