19 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.889

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C200081

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 janvier 2023




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 81 F-D

Pourvoi n° E 21-15.889







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023

La société [Z] [U] et cie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 21-15.889 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Swisslife assurances de biens, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Savoie, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [Z] [U] et cie, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Swisslife assurances de biens, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 janvier 2021), le 27 octobre 2011, [Z] [U], alors qu'il était piéton, a été percuté par un véhicule poids lourd appartenant à la société Cartier Million, lequel était assuré auprès la société Swisslife assurances de biens (la société Swisslife). Il est décédé des suites de cet accident de la circulation.

2. À défaut d'accord amiable, Mme [U], veuve de [Z] [U], ainsi que la société [Z] [U] et cie (la société [Z] [U]), au sein de laquelle ce dernier occupait au moment du décès les fonctions de gérant et de directeur technique en charge de l'activité commerciale, ont par acte du 16 octobre 2015, assigné devant un tribunal de grande instance la société Swisslife en réparation des préjudices consécutifs au décès de [Z] [U].

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société [Z] [U] fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande indemnitaire à hauteur de la somme de 610 867 euros au titre des charges supplémentaires liées à l'embauche d'un directeur technique en charge de l'activité commerciale, alors « que, pour débouter la société [Z] [U] de sa demande d'indemnisation, la cour d'appel s'est réfugiée derrière les motifs des premiers juges qu'elle a adoptés et ainsi jugé qu'il apparaissait que le choix de recourir à l'embauche de M. [M] avait été bénéfique pour l'entreprise puisque cela avait eu pour conséquence une meilleure rentabilité de cette dernière et qu'il y avait lieu de constater que l'activité générée par l'entreprise suite au décès de M. [Z] [U] avait absorbé largement le surcoût induit par l'embauche de M. [M] ; qu'en postulant ainsi que la meilleure rentabilité de l'entreprise provenait de l'engagement d'un directeur technique, sans rechercher, ainsi qu'elle y était cependant invitée, si elle n'aurait pas été nécessairement atteinte sans le décès de [Z] [U], de sorte qu'elle n'avait pas à être prise en compte pour évaluer le préjudice économique subi par la société [Z] [U] à la suite du décès de la victime directe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt retient, par motifs propres, que le tribunal a considéré que l'embauche d'un directeur technique en lien avec le décès de [Z] [U] constituait un coût supplémentaire pour l'entreprise, que toutefois, rien ne permettait de retenir que [Z] [U] aurait continué à exercer ses fonctions de directeur technique jusqu'en 2020, date d'expiration de l'autorisation d'exploiter la carrière délivrée en 2005, soit jusqu'à l'âge de 86 ans, qu'il a par ailleurs retenu qu'au regard des documents comptables, il apparaissait que le choix de recourir à l'embauche de M. [M] avait été bénéfique pour l'entreprise puisqu'une meilleure rentabilité de cette dernière pouvait être observée.

5. Par ces constatations souveraines, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en retenant qu'au regard des documents comptables, l'activité générée par l'entreprise à la suite du décès de [Z] [U] avait largement compensé le surcoût induit par l'embauche de M. [M], pour en déduire que le préjudice subi par la société [Z] [U] n'était pas établi, a légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. La société [Z] [U] fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande indemnitaire à hauteur de la somme de 367 613 euros au titre de la perte d'exploitation pour l'année 2012, alors :

« 1°/ que, dans ses conclusions d'appel, la société [Z] [U] contestait le motif des premiers juges ayant relevé sa carence à établir la réalité de la fuite de la clientèle entre 2011 et 2012 ; qu'à cet égard, elle attirait l'attention de la Cour sur une nouvelle pièce qu'elle versait aux débats en pièce n° 26, en l'occurrence les états financiers de la société qui faisaient apparaître une diminution franche du poste Vente marchandises au cours de l'année 2012, passant de 2 022 410,22 euros en 2011 à 1 297 013,91 euros en 2012, et démontraient ainsi la perte de clientèle au cours de l'année 2012 ; qu'en se bornant à adopter le motif précité du tribunal, sans répondre à ce chef précité des écritures de l'exposante et dont il résultait que celle-ci rapportait la preuve qui lui incombait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ en tout état de cause, que l'auteur d'un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; que, pour refuser à la société [Z] [U] toute indemnisation de son préjudice, la cour d'appel a, par motif adopté, relevé qu'une mauvaise gestion de la société peut se poser comme cause possible de la baisse du chiffre d'affaires de la société, que Mme [J] [U], qui a pris la gestion et la direction technique de l'entreprise suite au décès de son époux, a attendu près d'un an avant de confier ce poste à M. [M] et l'a fait suite au rapport au 26 avril 2021 énoncé précédemment et que, dès lors, il est possible de s'interroger sur cette gestion ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

3°/ en tout état de cause, que, dans ses conclusions d'appel, la société [Z] [U] faisait valoir que, pour déterminer l'incidence du décès de [Z] [U] sur la perte d'exploitation invoquée, il y avait lieu d'examiner, non pas l'évolution du résultat net de l'entreprise ou de son chiffre d'affaires, mais l'évolution de l'excédent brut d'exploitation qui n'intégrait ni le redressement fiscal ni l'abandon de créance et qui constituait la seule valeur pertinente pour mesurer la perte d'exploitation, préjudice dont il était précisément demandé l'indemnisation en l'espèce ; qu'elle faisait valoir - preuves à l'appui - que l'excédent brut d'exploitation avait montré, pour la première fois en 2012, un recul à hauteur de 367 613 euros alors qu'il était en hausse de 2008 à 2011, établissant ainsi que le décès de [Z] [U] en 2012 était directement à l'origine de la perte d'exploitation subie par l'entreprise la même année ; qu'en se bornant à adopter les motifs des premiers juges relevant l'absence de lien entre le décès de la victime directe et la baisse du résultat net ou du chiffre d'affaires de l'entreprise en 2012, sans répondre au moyen précité des conclusions d'appel de la société exposante, la cour d'appel a, une nouvelle fois, violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt relève par motifs adoptés qu'il est exact qu'entre 2011 et 2012, il apparaît une baisse de chiffre d'affaires de 2 040 017 euros à 1 349 578 euros, que si la société [Z] [U] explique cette baisse comme étant le résultat « de la perte de certains clients qui faisaient affaires avec la société [Z] [U] et qui se sont montrés inquiets après sa mort », elle n'apporte toutefois aucun élément permettant de démontrer cette fuite de clientèle.

8. L'arrêt retient encore que si la société [Z] [U] souligne que son résultat net est déficitaire en 2012 pour un montant de 94 575,69 euros alors que les années précédentes ce résultat était bénéficiaire, il ressort au titre des charges supportées par l'entreprise cette année-là deux postes importants : un redressement fiscal de 170 000 euros et un abandon de créances pour 123 000 euros, que ces deux éléments, indépendants du décès de [Z] [U], peuvent expliquer ce résultat déficitaire, qu'en outre la société reconnaît également dans ses conclusions que sur l'année 2012 il a été recensé une baisse générale de l'activité pour les carrières savoyardes de l'ordre de 5 %.

9. De ses constatations et énonciations la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, abstraction faite du motif surabondant critiqué à la deuxième branche du moyen, a pu retenir que la baisse de résultat ou du chiffre d'affaires de l'entreprise en 2012 trouvait son origine dans différentes causes indépendantes du décès du gérant de la société et que s'il existait une perte d'exploitation, la preuve d'un lien de causalité direct et certain avec l'accident n'était pas rapportée.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société [Z] [U] et cie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société [Z] [U] et cie

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société [Z] [U] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande indemnitaire à hauteur de la somme de 610.867 euros au titre des charges supplémentaires liées à l'embauche d'un directeur technique en charge de l'activité commerciale ;

Alors que, pour débouter la société [Z] [U] de sa demande d'indemnisation, la cour d'appel s'est réfugiée derrière les motifs des premiers juges qu'elle a adoptés et ainsi jugé qu'il apparaissait que le choix de recourir à l'embauche de Monsieur [M] avait été bénéfique pour l'entreprise puisque cela avait eu pour conséquence une meilleure rentabilité de cette dernière et qu'il y avait lieu de constater que l'activité générée par l'entreprise suite au décès de Monsieur [Z] [U] avait absorbé largement le surcoût induit par l'embauche de Monsieur [M] ; qu'en postulant ainsi que la meilleure rentabilité de l'entreprise provenait de l'engagement d'un directeur technique, sans rechercher, ainsi qu'elle y était cependant invitée, si elle n'aurait pas été nécessairement atteinte sans le décès de Monsieur [U], de sorte qu'elle n'avait pas à être prise en compte pour évaluer le préjudice économique subi par la société [Z] [U] à la suite du décès de la victime directe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

SECOND MOYEN DE CASSATION

La société [Z] [U] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande indemnitaire à hauteur de la somme de 367.613 euros au titre de la perte d'exploitation pour l'année 2012 ;

Alors, d'une part, que, dans ses conclusions d'appel (p.26 in limine), la société [Z] [U] contestait le motif des premiers juges ayant relevé sa carence à établir la réalité de la fuite de la clientèle entre 2011 et 2012 ; qu'à cet égard, elle attirait l'attention de la Cour sur une nouvelle pièce qu'elle versait aux débats en pièce n°26, en l'occurrence les états financiers de la société qui faisaient apparaître une diminution franche du poste Vente marchandises au cours de l'année 2012, passant de 2.022.410,22 euros en 2011 à 1.297.013,91 euros en 2012, et démontraient ainsi la perte de clientèle au cours de l'année 2012 ; qu'en se bornant à adopter le motif précité du tribunal, sans répondre à ce chef précité des écritures de l'exposante et dont il résultait que celle-ci rapportait la preuve qui lui incombait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors, d'autre part et en tout état de cause, que l'auteur d'un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; que, pour refuser à la société [Z] [U] toute indemnisation de son préjudice, la cour d'appel a, par motif adopté, relevé qu'une mauvaise gestion de la société peut se poser comme cause possible de la baisse du chiffre d'affaires de la société, que Madame [J] [U], qui a pris la gestion et la direction technique de l'entreprise suite au décès de son époux, a attendu près d'un an avant de confier ce poste à Monsieur [M] et l'a fait suite au rapport au 26 avril 2021 énoncé précédemment et que, dès lors, il est possible de s'interroger sur cette gestion ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Alors, enfin et en tout état de cause, que, dans ses conclusions d'appel (p.24 in fine, 25 et 26), la société [Z] [U] faisait valoir que, pour déterminer l'incidence du décès de Monsieur [U] sur la perte d'exploitation invoquée, il y avait lieu d'examiner, non pas l'évolution du résultat net de l'entreprise ou de son chiffre d'affaires, mais l'évolution de l'excédent brut d'exploitation qui n'intégrait ni le redressement fiscal ni l'abandon de créance et qui constituait la seule valeur pertinente pour mesurer la perte d'exploitation, préjudice dont il était précisément demandé l'indemnisation en l'espèce ; qu'elle faisait valoir -preuves à l'appui- que l'excédent brut d'exploitation avait montré, pour la première fois en 2012, un recul à hauteur de 367.613 euros alors qu'il était en hausse de 2008 à 2011, établissant ainsi que le décès de Monsieur [Z] [U] en 2012 était directement à l'origine de la perte d'exploitation subie par l'entreprise la même année ; qu'en se bornant à adopter les motifs des premiers juges relevant l'absence de lien entre le décès de la victime directe et la baisse du résultat net ou du chiffre d'affaires de l'entreprise en 2012, sans répondre au moyen précité des conclusions d'appel de la société exposante, la cour d'appel a, une nouvelle fois, violé l'article 455 du code de procédure civile.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.