18 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.104

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00033

Texte de la décision

SOC.

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 janvier 2023




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 33 F-D

Pourvoi n° J 21-24.104




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JANVIER 2023

La société Forestière girondine, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 21-24.104 contre l'arrêt rendu le 15 juillet 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. [J] [L], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de Me Soltner, avocat de la société Forestière girondine, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [L], après débats en l'audience publique du 23 novembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 15 juillet 2021), M. [L] a été engagé en qualité d'agent forestier par la société Forestière girondine (la société) selon un contrat à durée indéterminée du 2 janvier 1995, puis promu au statut cadre en 2007, avant d'être placé en arrêt de travail à la suite d'un accident survenu le 23 février 2017 et déclaré définitivement inapte à tout poste dans l'entreprise. Par lettre du 27 octobre 2017, il a été licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

2. Le salarié, affirmant avoir été victime d'un harcèlement moral, a saisi la juridiction prud'homale de demandes en annulation du licenciement et en indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié certaines sommes au titre d'un harcèlement moral et de dommages-intérêts pour licenciement nul, alors « que la qualification de harcèlement moral suppose que le salarié ait subi la répétition d'agissements excédant le pouvoir normal de direction de l'employeur et ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'un unique agissement excédant le pouvoir normal de direction de l'employeur ne suffit pas à caractériser une situation de harcèlement moral : qu'en l'espèce, pour juger que, pris dans leur ensemble, les faits apportés par le salarié laissaient présumer un harcèlement, et que les réponses de l'employeur ne permettaient pas de justifier le comportement de M. [D], la cour d'appel s'est fondée sur des reproches et brimades faits au salarié dont seuls ceux en date du 23 février 2017 pourraient éventuellement excéder le pouvoir normal de direction de l'employeur ; que la cour d'appel s'est encore fondée sur des demandes de l'employeur faites au salarié de prêter temporairement son véhicule de fonction à un collègue dont le véhicule nécessitait des réparations ainsi que sur une demande de restitution documents en sa possession et nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise ce qui ne sont pas des agissements excédant le pouvoir normal de direction de l'employeur pas plus que la circonstance que l'employeur ait opposé à son salarié un refus quant à l'allocation de moyens supplémentaires pour l'exécution de son travail ; qu'en définitive, la cour d'appel s'est fondée sur un agissement unique susceptible d'excéder le pouvoir normal de direction de l'employeur et ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en statuant ainsi, en se fondant sur un agissement unique, impropre à laisser présumer ni même à caractériser une situation de harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de preuve et de fait dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit l'existence de faits matériellement établis par le salarié qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et l'absence de justification par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Forestière girondine aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Forestière girondine et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Forestière girondine

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté Monsieur [J] [L] ses demandes de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement et statuant à nouveau, D'AVOIR condamné la société Forestière Girondine à verser à Monsieur [J] [L] la somme de 8.000 euros au titre du harcèlement moral et la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

AUX MOTIFS QUE « Sur le harcèlement moral Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. L'article L.1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. En l'espèce, M. [L] expose que, depuis 2015, il fait l'objet de dénigrements, d'agressivité, de reproches incessants, de brimades, de mise à l'écart, de propos déplacés devant d'autres salariés, d'injures et de menaces de licenciement de la part du directeur de la société, M. [D] et et de Mme [D], salariée de l'entreprise et que ces pressions sont devenues plus intenses à son retour de congés fin août 2016 lorsque M. [D] tentait de trouver un repreneur à sa société et qu'il a refusé de donner suite à sa proposition de reprendre des parts de la société dans le cadre d'une cession interne avec d'autres cadres de l'entreprise. Il affirme que ces agissements ont dégradé ses conditions de travail, ont porté atteinte à sa santé et sont à l'origine de son arrêt de travail et de son inaptitude ainsi que l'indique le courrier du Docteur [K], psychiatre, établi à l'attention du médecin du travail. Sur les reproches et brimades injustifiés et répétés Pour justifier ces affirmations, M. [L] produit ses propres notes dans lesquelles il reprend les dates et les heures auxquels il a eu des échanges avec M. [D] et son épouse, elle même salariée de l'entreprise. Il en ressort, à titre d'exemple, les faits suivants : - le 22 novembre 2016 : M. [L] évoque "une pluie de reproches sur [ses] façons de faire, organisation de [son] travail et [mon] absence de communication interne" et une "impossibilité de travailler avec [lui]", - le 27 février 2015, il indique que M. [D] lui a fait les reproches suivants : "je suis fatigué" "égoïste (travail seul) envers mes collègues", "si je ne suis pas content du travail, je dégage" et que Mme [D] lui a dit qu'il "n'en fait pas assez". A la déclaration d'accident du travail, M. [L] a joint un courrier faisant référence au comportement de M et Mme [D] à son égard. Ainsi, indique-t-il dans ce document, que le 23 février 2017, lors d'une conversation téléphonique Mme [D] lui a crié "dessus, l'a insulté en le "traitant d'incapable, d'incompétent au travail qu'[il] ne faisait rien" puis lors d'une conversation téléphonique avec M. [D], celui-ci l'a insulté en ces termes : "casse couille", "incompétent", "égocentrique", "que si je n'étais pas content je n'avais qu'à dégager en lui envoyant une lettre de démission et que "de toute façon, il allait commencer à m'envoyer la première dès aujourd'hui, une lettre d'avertissement d'une part pour le comportement tenu, puis par d'autres en suivant jusqu'à ce que je dégage". Le 5 avril 2017, M. [L] a écrit à M. [D] le courrier suivant : " Je reviens vers vous concernant les termes de notre dernière conversation verbale en date du 23 mars 2017. Cette situation agressive de votre part, n'a fait que confirmer tous les reproches habituels, incessants et pour la plupart injustifiés que vous m'énoncez depuis 2015. En effet, ce harcèlement moral et la pression psychologique subie ont pris de plus en plus d'ampleur depuis février 2015. La résultante de vos propos haineux a conduit mon médecin à la prescription d'un arrêt de travail en date du 25 février 2017. Cette situation inédite depuis 22 ans d'emploi au sein de votre société nécessita urgemment l'intervention de mon médecin traitant. Cette situation ne faisait que conforter la consultation du médecin du travail. Outre le surcroit de travail engendré par l'exploitation tempête de 2009, vous n'avez fait que détruire au fils des ans la confiance acquise dans mon poste et mes fonctions. En date du 27 février 2017, lors d'une conversation téléphonique, vous me marquiez votre agressivité par des mots violets tels que "fatigue intellectuelle, égoïsme, irresponsabilité" allant jusqu'à me reprocher "mon manque de sommeil, et mon droit à prendre des vacances". Des mots insoutenables par ce que injuste pour un salarié ayant participé au développement de votre "notre" entreprise depuis sa création en 1992. Ces paroles devenant depuis deux ans un véritable cauchemar ont créés une pression psychologique telle, qu'elle a conduite à la dégradation très importante de mes conditions de travail et de mon état de santé. Ne vous arrêtant pas à ces faits, le 23 mars 2017 vous poursuiviez jusqu'à l'explosion violente par des propos brutaux tels que : "Casse couilles!..., Incompétent!..., Egocentrique!..." Terminant par le fait que "je n'avais qu'à dégager par une démission!..." Toutes ces brimades et remontrances injustifiées ne correspondent pas aux actions que j'ai pu avoir envers notre entreprise. " Il communique également les attestations de deux autres salariés qui confirment le comportement inapproprié de l'employeur à son égard. M. [X] atteste en ces termes : "Je me souviens avoir été régulièrement choqué du comportement vexatoire et humiliant de M. [D] envers [R] [L]. Il n'hésitait pas à le dénigrer devant un public de professionnel, à l'écarter sans raisons de réunions de travail ou à le stigmatiser lorsqu'il était présent à ces mêmes occasions. En février et mars 2015, M. [D] m'a exprimé clairement et régulièrement son intention de le licencier au motif que ses résultats étaient insuffisants. Il oubliait de tenir compte du contexte spécifique de son secteur dévasté par la tempête de 2009 où le bois était devenu rare. Il y a finalement renoncé m'expliquant que son ancienneté dans la société impliquait le versement d'indemnités qu'il jugeait prohibitives et qu'il trouverait bien un moyen avec le temps de le faire partir ou une faute à lui imputer." M. [I] déclare : "Je tiens également à signaler que plusieurs fois Mr [D], dirigeant de la société Forestière Girondine, m'a à l'occasion de discussions dénigré Mr [L] par la fonction qu'il occupait et de ses faibles rendements avec pour final un licenciement en ligne de mire." Sur le retrait des avantages en nature suite à l'arrêt de travail M. [L] justifie que durant ses arrêts de travail : - le 15 mars 2017, après avoir reçu un courriel de M. [T], un cadre de l'entreprise, sa voiture de fonction déclarée comme un avantage en nature, lui a été retirée, sous prétexte de l'emmener au garage, - le 29 juin 2016, M. [T] lui a demandé par courriel de ramener ou envoyer le téléphone au bureau, - Par courrier du 2 octobre 2017, M. [D] lui demandé de lui restituer temporairement le téléphone portable de la société ainsi que les contrats passés avec les clients et autres documents en sa possession, nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise. Sur les allégations de moyens insuffisants pour accomplir son travail Par courrier du 5 avril 2017 déjà cité, M. [L] a fait part à son employeur des difficultés qu'il rencontre et du manque de moyens, dans les termes suivants : "Depuis de long mois, je vous informe de ces difficultés face aux marchés et ce manque de moyen pour contrer ce handicap. Je vous sollicite constamment pour mettre en place de nouvelles stratégies afin d'enrayer cette hémorragie structurelle de mon secteur, bien qu'à aucun moment vous n'en prenez connaissance." M. [X] témoigne du fait que les rares discussions sur les conditions de travail (salaire, vacances, matériel de sécurité...) se terminaient systématiquement par une fin de non recevoir exprimé en ces termes par [Y] [D] : "si vous n'êtes pas content, vous n'avez qu'à partir. Avec 4 millions de chômeurs..." et du fait que "le travail de bureau se faisait à [leur] domicile avec [leurs] moyens personnels (bureau, ordinateur, internet...)". Sur son état de santé Le 20 février 2017, M. [L] a adressé un courriel à la médecine du travail pour obtenir un rendez vous en raison des "problèmes qu'[il] rencontre aujourd'hui au travail et se porte sur [son] état de santé". L'accident du travail survenu le 23 février 2017 s'est traduit par un syndrôme anxio dépressif réactionnel causé par les injures et menaces téléphoniques de M. [D] énoncées ci-dessus. En arrêt de travail à compter du 25 février 2017, M. [L] présentait une symptomatologie dépressive traitée par psychotropes et un suivi psychiatrique. Ses arrêts de travail successifs ont conduit à une inaptitude à l'issue de deux visites médicales aux termes desquels le médecin du travail a conclu, le 19 septembre 2017, que "tout maintien du salarié dans un emploi serait préjudiciable à sa santé". Ainsi, pris dans leur ensemble, ces agissements répétés tendant à dévalorisation de M. [L], qui ont eu pour effet de porter atteinte à sa dignité, à ses droits et d'altérer sa santé, laissent présumer un harcèlement moral. L'employeur considère que les allégations du salarié ne reposent que sur ses propres déclarations et que les témoignages recueillis ne font état que d'un seul évènement précis et daté susceptible de constituer des faits de harcèlement. Il indique que l'ensemble des allégations de M. [L] relève de la rancoeur et de la calomnie à l'encontre de son employeur bien loin des faits de harcèlement moral dont il soutient être la victime. Il fait valoir que la relation de travail était jusqu'alors très cordiale comme le prouve la volonté de M. [L] de participer au rachat de la société dans laquelle M. [D] serait resté actionnaire. L'employeur rappelle, par ailleurs, que M. [L] a toujours été encouragé dans son travail par le versement de primes importantes. La société conteste l'origine professionnelle des arrêts de travail de M. [L] et de son inaptitude compte tenu du caractère tardif du certificat médical initial et prétend que celui-ci a organisé son départ pour créer sa propre entreprise le 1er février 2018 à la suite de l'échec du projet de cession de la société. Pour étayer sa défense, l'employeur met en avant l'absence d'élément de fait contemporain des années 2015 et 2016 et produit un courrier du 1er juin 2017 adressé à M. [L] par lequel il conteste les accusations de harcèlement moral et les pressions psychologiques énoncées dans son courrier du 5 avril 2017. Mais, ce courrier qui n'est étayé par aucun élément de preuve, ne permet pas de justifier les faits dénoncés par le salarié. En ce qui concerne le retrait des avantages en nature, l'employeur n'apporte aucune explication quant au fait que le véhicule de M. [T] devait aller au garage. Il convient en outre de relever qu'un employeur ne peut pas retirer un avantage en nature à un salarié sauf en cas de rupture du contrat de travail, ce qui en l'espèce n'était pas le cas puisque le véhicule de fonction a été retiré à M. [L] le 15 mars 2017. S'agissant des documents et contrats dont l'employeur réclamait la restitution, M. [L] a répondu par courrier du 12 octobre 2017 en réfutant les propos de l'employeur qui l'accusait de "voleur" et en lui demandant d'arrêter ces calomnies faute de quoi il engagerait sa défense devant M. Le Procureur de la République. Contrairement à ce que soutient l'employeur, il ne peut être déduit de la création par M. [L] de sa propre société en février 2018, 4 mois après le licenciement, que celui-ci a prémédité son départ de la société Forestière Girondine. En effet, la cause du licenciement est une inaptitude constatée par le médecin du travail sur la base d'éléments médicaux objectivés par des certificats médicaux. Il importe peu, à cet égard, que M. [L] ait contacté des clients de la société Forestière Girondine. De même, s'il est avéré que M. [L] a régulièrement perçu des primes en contre partie du travail accompli, cette décision de l'employeur en faveur du salarié ne permet pas de l'exonérer d'un comportement visant à abaisser et à humilier le salarié par des reproches injustifiés ou disproportionnés. L'ensemble des ces éléments n'est pas de nature à justifier le comportement de M. [D], ses propos vexatoires et injurieux et ses menaces réitérées de licenciement à l'égard de M. [L]. Par conséquent, la cour estime que les agissements répétés de harcèlement moral sont caractérisés et ont causé à M. [L] un préjudice qui sera réparé par des dommages et intérêts d'un montant de 8 000 euros. Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef. Sur le licenciement L'article L. 1152-3 du code du travail précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul. Le licenciement pour inaptitude de M. [L] est consécutif à la dégradation de son état de santé en raison du harcèlement moral dont il a fait l'objet. Cette dégradation est avérée par les différents courriers du docteur [K], psychiatre, et du docteur [V] lequels mentionnent : - courrier du 28 août 2017 du docteur [K] : "Depuis le début de son trouble, il m'exprime que des perturbations concernant son travail actuel. L'épisode dépressif était initialement sévère et préoccupant en raison des idées suicidaires avec une évolution fluctuante au cours du temps avec des paroxismes en lien avec des informations concernant son travail. Il s'est cependant amélioré progressivement de cet épisode avec actuellement une rémission mais avec encore des symptômes résiduels et une réactivité encore traumatique vis à vis de toute information concernant le travail. L'arrêt de travail n'est plus justifié. Je pense qu'une reprise dans son entreprise est dangereuse au vu de son état. Une inaptitude sans possibilité de reclassement est à mon avis justifiée." - compte rendu de consultation spécialisée du 10 octobre 2017 du docteur [V] mentionne que M. [L] "décrit en détail l'événement traumatique pour lui qui a conduit à cette déclaration [d'accident du travail]. Lors de l'évocation on constate un moment de dissociation ce qui va dans le sens d'un événement traumatique. Il rappelle ensuite de nombreux épisodes faits de "reproches incessants". Il dit "elle me harcelait psychologiquement", "elle m'a crié dessus". Il rapporte spontanément les propos de son employeur qui l'aurait insulté. La symptomatologie du patient dans les suites de ce coup de téléphone est tout à fait compatible avec un choc psychologique." - courrier du 5 janvier 2018 du docteur [K] : "après une amélioration clinique au cours du mois de novembre 2017, il présente à nouveau une aggravation de la symptomatologie dépressive avec une humeur dysphorique, des troubles du sommeil, des ruminations anxieuses ou irritables, des pensées anxieuses envahissantes et récurrentes vis à vis de l'avenir. Ces troubles ont nécessité une intensification du traitement psychotrope." En outre, il convient de relever que dans le courrier du 28 août 2017, il y est fait mention du traitement suivi par M. [L] à base d'antidépresseur, d'anxiolytique et de neuroleptique (sertraline, xanax et risperidone) lequel a fait l'objet d'une intensification suite à l'aggravation des symptômes de M. [L] en janvier 2018. Par conséquent, la nullité du licenciement ayant été établie, la société Forestière Girondine sera condamnée à verser à M. [L] la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul. Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef. »

ALORS QUE, la qualification de harcèlement moral suppose que le salarié ait subi la répétition d'agissements excédant le pouvoir normal de direction de l'employeur et ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'un unique agissement excédant le pouvoir normal de direction de l'employeur ne suffit pas à caractériser une situation de harcèlement moral : qu'en l'espèce, pour juger que, pris dans leur ensemble, les faits apportés par le salarié laissaient présumer un harcèlement, et que les réponses de l'employeur ne permettaient pas de justifier le comportement de Monsieur [D], la Cour d'appel s'est fondée sur des reproches et brimades faits au salarié dont seuls ceux en date du 23 février 2017 pourraient éventuellement excéder le pouvoir normal de direction de l'employeur ; que la Cour d'appel s'est encore fondée sur des demandes de l'employeur faites au salarié de prêter temporairement son véhicule de fonction à un collègue dont le véhicule nécessitait des réparations ainsi que sur une demande de restitution documents en sa possession et nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise ce qui ne sont pas des agissements excédant le pouvoir normal de direction de l'employeur pas plus que la circonstance que l'employeur ait opposé à son salarié un refus quant à l'allocation de moyens supplémentaires pour l'exécution de son travail ; qu'en définitive, la Cour d'appel s'est fondée sur un agissement unique susceptible d'excéder le pouvoir normal de direction de l'employeur et ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en statuant ainsi, en se fondant sur un agissement unique, impropre à laisser présumer ni même à caractériser une situation de harcèlement moral, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1152-1, 1152-2 et 1154-1 du Code du travail.

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