18 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-18.264

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00006

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 janvier 2023




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 6 F-D

Pourvoi n° M 21-18.264

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [I].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 avril 2021.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JANVIER 2023

Mme [T] [I], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 21-18.264 contre l'arrêt rendu le 23 juin 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant au Service départemental d'incendie et de secours, établissement public, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.

Le Service départemental d'incendie et de secours a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de Mme [I], de Me Brouchot, avocat du Service départemental d'incendie et de secours, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 23 juin 2020), Mme [I] a été engagée, par le Service départemental d'incendie et secours de la Réunion, en qualité d'agent polyvalent, dans le cadre d'un contrat d'insertion - contrat d'accompagnement dans l'emploi, à compter du 1er mars 2015 jusqu'au 28 février 2016, puis du 1er mars au 28 octobre 2016.

2. Elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à la requalification de son contrat de travail en contrat à durée indéterminée, au paiement de diverses sommes en raison de la rupture de son contrat de travail et à sa réintégration.

Examen des moyens

Sur les deux moyens du pourvoi incident qui est préalable, ci-après annexés,


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt la débouter de sa demande de réintégration au sein du Service départemental d'incendie et de secours de la Réunionn alors « que selon l'article 562, alinéa 1, du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ; qu'en la déboutant de sa demande de réintégration, motif pris qu'« il sera relevé que l'acte d'appel de la salariée ne défère à la cour d'appel que les chefs du jugement qu'il critique expressément, savoir "dit que la discrimination à l'embauche n'est pas prouvée, rejette sa demande de réintégration, condamne le SDIS en la personne de son représentant légal à lui payer la somme de 8.800 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, déboute la salariée du surplus de ses demandes" », pour en déduire « qu'il a été définitivement jugé que les contrats dont la salariée a bénéficié devaient être requalifiés en contrat à durée indéterminée et que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en sorte qu'il n'est pas nul », quand l'acte d'appel déférait à la cour la connaissance non seulement des chefs de jugement qui y étaient expressément visés, mais également de ceux qui en dépendaient, de sorte que le chef du dispositif du jugement ayant dit que le licenciement était abusif, bien que non expressément critiqué par la déclaration d'appel, se situait dans la dépendance des chefs ayant dit que la discrimination à l'embauche n'était pas prouvée et rejeté sa demande de réintégration, expressément critiqués par la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé l'article 562, alinéa 1, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 562, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

5. Aux termes de ce texte, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

6. Pour débouter la salariée de sa demande de réintégration subséquente à la demande de nullité du licenciement, l'arrêt retient que l'acte d'appel formé par l'intéressée ne défère à la cour d'appel que les chefs du jugement qu'il critique expressément, savoir "dit que la discrimination à l'embauche n'est pas prouvée, rejette sa demande de réintégration, condamne l'établissement à lui payer la somme de 8 800 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, déboute la salariée du surplus de ses demandes''. Il en déduit qu'il a été définitivement jugé que les contrats dont la salariée a bénéficié devaient être requalifiés en contrat à durée indéterminée et que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en sorte qu'il n'est pas nul.

7. En statuant ainsi, alors que le chef du dispositif du jugement ayant dit que le licenciement de la salariée était abusif se rattachait par un lien de dépendance nécessaire aux chefs de dispositif ayant condamné l'employeur à payer une somme de 8 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit que la discrimination à l'embauche n'était pas prouvée et rejeté la demande de réintégration, expressément critiqués par la déclaration d'appel, en sorte qu'elle était donc saisie d'une demande de nullité du licenciement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une somme au titre des congés payés non pris, alors « qu'eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels, la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement ses droits à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement ; que pour rejeter la demande, la cour d'appel a retenu que « la salariée réclame la somme de 831 euros de ce chef, en faisant valoir qu'elle "s'est vu appliqué une durée de congé payés inférieure à la durée normale", sans invoquer aucune pièce à l'appui, en sorte qu'elle ne peut qu'être déboutée de cette demande, qui est contestée » ; qu'en statuant ainsi, quand il appartenait à l'employeur de prouver qu'il avait pris les mesures propres à assurer à la salariée la possibilité d'exercer effectivement ses droits à congé et qu'il avait accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles L. 3141-12, L. 3141-14 du code du travail, ensemble l'article 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-1, L. 3141-3, L. 3141-12 du code du travail et 1353 du code civil :

8. Aux termes du premier de ces textes, tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur.

9. Aux termes du deuxième, le salarié a droit à congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.

10. Aux termes du troisième, les congés peuvent être pris dès l'embauche, sans préjudice des règles de détermination de la période de prise des congés et de l'ordre des départs et des règles de fractionnement du congé.

11. Aux termes du dernier, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

12. Il résulte de ces dispositions interprétées à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement.

13. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement de la somme de 831 euros, l'arrêt retient qu'elle s'est vue appliquer une durée de congés payés inférieure à la durée normale, sans invoquer aucune pièce à l'appui, en sorte qu'elle ne peut qu'être déboutée de cette demande.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute Mme [I] de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un préjudice distinct, condamne le Service départemental d'incendie et de secours de la Réunion à payer à Mme [I] la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination ainsi que celle de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée ;

Condamne le Service départemental d'incendie et de secours aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Service départemental d'incendie et de secours à payer à la SARL Jérôme Ortscheidt la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour Mme [I], demanderesse au pourvoi principal

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme [T] [I] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir déboutée de sa demande de réintégration au sein du Service départemental d'incendie et de secours de la Réunion ;

ALORS QUE selon l'article 562, alinéa 1, du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ; qu'en déboutant l'appelante de sa demande de réintégration, motif pris qu'« il sera relevé que l'acte d'appel de Mme [I] ne défère à la cour d'appel que les chefs du jugement qu'il critique expressément, savoir "dit que la discrimination à l'embauche n'est pas prouvée, rejette sa demande de réintégration, condamne le SDIS en la personne de son représentant légal à lui payer la somme de 8.800 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, déboute Madame [I] du surplus de ses demandes" » (arrêt, p. 2, § 5), pour en déduire « qu'il a été définitivement jugé que les contrats dont Mme [I] a bénéficié devaient être requalifiés en contrat à durée indéterminée et que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en sorte qu'il n'est pas nul » (arrêt, p. 3, § 6), quand l'acte d'appel déférait à la cour la connaissance non seulement des chefs de jugement qui y étaient expressément visés, mais également de ceux qui en dépendaient, de sorte que le chef du dispositif du jugement ayant dit que le licenciement était abusif, bien que non expressément critiqué par la déclaration d'appel, se situait dans la dépendance des chefs ayant dit que la discrimination à l'embauche n'était pas prouvée et rejeté sa demande de réintégration, expressément critiqués par la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé l'article 562, alinéa 1, du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Mme [T] [I] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir déboutée de sa demande en paiement de la somme de 831 euros au titre des congés payés ;

ALORS QU' eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement ses droits à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement ; que pour rejeter la demande, la cour d'appel a retenu que « Mme [I] réclame la somme de 831 euros de ce chef, en faisant valoir qu'elle "s'est vu appliqué une durée de congé payés inférieure à la durée normale", sans invoquer aucune pièce à l'appui, en sorte qu'elle ne peut qu'être déboutée de cette demande, qui est contesté » (arrêt, p. 4, § 4) ; qu'en statuant ainsi, quand il appartenait à l'employeur de prouver qu'il avait pris les mesures propres à assurer à Mme [I] la possibilité d'exercer effectivement ses droits à congé et qu'il avait accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles L. 3141-12, L. 3141-14 du code du travail, ensemble l'article 1353 du code civil. Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour le Service départemental d'incendie et de secours, demandeur au pourvoi incident

PREMIER MOYEN DU POURVOI INCIDENT

Le Service Départemental d'Incendie et de Secours de La Réunion fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR considéré comme recevable l'appel de Mme [I] et par réformation du jugement entrepris, d'AVOIR dit que Mme [I] a été victime de discrimination et de l'AVOIR condamné à verser à Mme [I] la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination ;

ALORS QUE selon l'article 901 du code de procédure civile, la déclaration d'appel est faite par acte contenant, en outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57 ; qu'il résulte de ces textes que la déclaration d'appel doit mentionner l'objet de l'appel et sa portée ; qu'en l'absence de toute mention de l'objet de l'appel, la déclaration d'appel qui ne comporte que la reproduction littérale de certains chefs du dispositif de la décision de première instance, est entachée de nullité ; qu'en statuant cependant sur l'appel de Mme [I] qui ne la saisissait pas, la cour d'appel a violé les articles 54, 57 et 901 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DU POURVOI INCIDENT, SUBSIDIAIRE

Le Service Départemental d'Incendie et de Secours de La Réunion fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR statué sur les chefs du jugement autres que ceux relatifs à une discrimination à l'embauche, à une demande de réintégration de Mme [I] et à sa condamnation à payer la somme de 8.800 euros à Mme [I] à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

ALORS QUE la déclaration d'appel ne pouvait opérer dévolution du litige sur la déclaration visant le chef du jugement ainsi globalement libellé « Déboute Mme [I] [T] du surplus de ses demandes » ; qu'en effet, lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas ; qu'ainsi, faute par l'appelante d'avoir énuméré celles de ses prétentions formulées en première instance qu'elle entendait reprendre en appel, autres que celles concernant une discrimination à l'embauche, une demande de réintégration et la condamnation du SDIS à payer une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel ne pouvait déduire de la reproduction dans la déclaration d'appel d'un chef de dispositif de rejet général, qu'elle était saisie par l'effet dévolutif de l'ensemble des prétentions ainsi globalement rejetées ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 562, alinéa 1, du code de procédure civile.

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