5 janvier 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 22/11667

Pôle 1 - Chambre 2

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 05 JANVIER 2023



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/11667 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGAGN



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 Mai 2022 -Président du TJ de Bobigny - RG n° 22/00563





APPELANT



M. [Z] [X]



[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me Myriam DUMONTANT, avocat au barreau de PARIS

Substituée à l'audience par Me Xavier COURTEILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : G539





INTIMEE



S.A.R.L. TIVOLI & CO, RCS de Paris n°849 808 365, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, toque : W09

Assistée à l'audience par Me Edouard PRAQUIN, avocat au barreau de LILLE







COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 24 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :



Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère



Qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL







ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.




*****



EXPOSE DU LITIGE



Le 25 septembre 2007, M. [Z] [X] a été embauché par la société Tivoli & co sous contrat à durée indéterminée en qualité de cuisinier.



Exposant que M. [X] serait embauché dans le cadre d'un autre contrat de travail au sein de la société JJ alimentation générale, et que, partant, en cumulant deux emplois salariés il dépasserait la durée hebdomadaire légale du travail, la société Tivoli & co a déposé le 27 décembre 2021 une requête aux fins de constat par un huissier de justice par devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny.



Par ordonnance du 27 décembre 2021, le président du tribunal judiciaire de Bobigny a fait droit à cette requête et commis un huissier de justice avec mission de :



' se rendre et pénétrer au sein de la société JJ alimentation générale,

' être autorisé à se faire communiquer tous les documents relatifs à l'éventuelle embauche de M. [Z] [X], tels que les déclarations préalables à l'embauche, les lettres d'embauche, les contrats de travail, les bulletins de paie et le registre unique du personnel,

' interroger l'ensemble des membres du personnel présents ainsi que les dirigeants au titre de l'activité de M. [X] au sein de la société JJ alimentation générale;

' constater la présente de M. [X] dans les locaux de la société JJ alimentation générale et y décrire son activité ;

' pénétrer dans les pièces de l'épicerie JJ alimentation générale afin de constater les fonctions exercées par M. [X] au sein de cette société.



Par acte du 14 mars 2022, M. [X] a fait assigner en référé la société Tivoli & co devant le tribunal judiciaire de Bobigny, aux fins de voir ordonner la rétractation de cette ordonnance et condamner la société Tivoli & co à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.



Par ordonnance contradictoire du 23 mai 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a :



- débouté la société Tivoli & co de sa demande en nullité de l'assignation ;

- débouté M. [Z] [X] de sa demande en nullité de la requête ;

- débouté M. [Z] [X] de sa demande en rétractation de l'ordonnance sur requête rendue par M. le président du tribunal judiciaire de Bobigny, saisi par la société Tivoli & co, le 27 décembre 2021 ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [Z] [X] aux dépens.



Par déclaration du 20 juin 2022, M. [X] a relevé appel de cette décision.



Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 21 juillet 2022, il demande à la cour de :



In limine litis,

- confirmer l'ordonnance de référé du 22 mai 2002 en ce qu'elle a débouté la société Tivoli & co de sa demande de nullité de l'assignation ;

- infirmer l'ordonnance de référé du 22 mai 2002 en ce qu'elle a débouté M. [X] de sa demande de nullité de la requête et, statuant à nouveau,

- constater la nullité de la requête présentée par la société Tivoli & co ;

Sur le fond,

- infirmer l'ordonnance de référé du 22 mai 2002 en ce qu'elle a débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes et, statuant à nouveau,

- le recevoir en toutes ses demandes et les dire bien-fondé ;

- constater que la société Tivoli & co ne fait pas état de la nécessité de déroger au principe du contradictoire ;

- constater que la société Tivoli & co ne justifie pas d'un motif légitime aux mesures d'instruction sollicitées ;

- constater que la requête de la société Tivoli & co a un caractère disproportionné ;

En conséquence,

- ordonner la rétractation de l'ordonnance rendue le 27 décembre 2021 à la requête de la société Tivoli & co ;

- condamner la société Tivoli & co au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter la Tivoli & co de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Tivoli & co aux entiers dépens de l'instance.



Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 4 août 2022, la société Tivoli & co demande à la cour de :



- confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de nullité de l'assignation et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau, de :

In limine litis,

- déclarer nulle l'assignation de M. [X] pour défaut de mention de l'organe représentant la personne morale de l'intimée ;

A titre principal,

- rejeter la demande de M. [X] de rétractation de l'ordonnance rendue le 27 décembre 2021 à sa requête ;

En tout état de cause,

- condamner M. [X] à lui payer la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [X] aux entiers dépens de la présente procédure.



Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.




SUR CE, MOTIFS



Sur la demande d'annulation de l'assignation en référé-rétractation



La société Tivoli & co sollicite l'annulation de l'assignation en référé-rétractation au motif qu'elle ne mentionne pas l'organe représentant la société Tivoli & co.



Aux termes de l'article 54 du code de procédure civile, l'assignation doit comporter, à peine de nullité, certaines mentions parmi lesquelles, s'agissant des personnes morales, leur forme, leur dénomination , leur siège social et l'organe qui les représente. En application de l'article 114 du code de procédure civile, le défaut de ces mentions constitue une irrégularité qui n'entraîne la nullité de l'acte qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver qu'elle lui a causé un grief.



En l'espèce, il est constant que l'assignation n'indique pas l'organe qui représente la société Tivoli & co.



L'intimée affirme que cette irrégularité est d'autant plus préjudiciable que dans son assignation, M. [X] indique constamment la SARL Tivoli et non la SARL Tivoli & co, alors même qu'il s'agit de deux personnes morales distinces immatriculées au registre du commerce et des sociétés de Paris sous des numéros différents.



Ce faisant, elle n'explique pas en quoi l'irrégularité lui a été préjudiciable, ne contestant pas s'être personnellement vu remettre l'assignation par l'huissier de justice, ni avoir pu se défendre sans retard à l'action en référé, pour laquelle elle a constitué avocat.



L'ordonnance sera confirmée en qu'elle a rejeté cette exception de procédure.



Sur la demande d'annulation de la requête



M. [X] sollicite l'annulation de la requête initiale au motif qu'elle n'indique pas son domicile alors qu'en application de l'article 57 du code de procédure civile, "la requête contient, outre les mentions énoncées à l'article 54, également à peine de nullité, lorsqu'elle est formée par une seule partie, l'indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée." Il soutient que l'absence de mention de son adresse a manifestement empêché la communication du procès-verbal de constat d'huissier de justice , lui causant ainsi un préjudice.



Il est constant que la requête ne mentionne pas le domicile de M. [X].



Il s'agit là aussi d'un vice de forme qui, selon l'article 114 du code de procédure civile, n'entraîne la nullité de l'acte que s'il est fait la démonstration d'un grief.



Or, étant observé que des pièces jointes à la requête, notamment les bulletins de salaire de M. [X], font mention du domicile de l'intéressé, il n'est pas contesté que M. [X] s'est vu remettre par l'huissier de justice une copie de la requête et de l'ordonnance rendue sur cette requête conformément aux dispositions de l'article 495 du code de procédure civile. Le défaut d'indication de son domicile sur la requête n'a donc eu aucune conséquence. Le défaut de remise du procès-verbal de constat d'huissier établi en exécution de l'ordonnance ne peut être constitutif d'un grief, alors que les textes n'imposent pas la remise du procès-verbal de constat après l'exécution de la mesure.



L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté cette exception de procédure.



Sur le fond du référé-rétractation



Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.



Selon l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.



L'article 145 suppose l'existence d'un motif légitime c'est à dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Elle doit être pertinente et utile.



Ainsi, si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n'est pas manifestement voué à l'échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.



Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli. Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.



En l'espèce, M. [X] sollicite la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête aux motifs suivants :



- le défaut de caractérisation par la société Tivoli & co dans sa requête, et par le premier juge dans son ordonnance, de la nécessité de déroger au principe de la contradiction, alors que compte tenu des obligations de déclarations auprès des organismes sociaux incombant à tout employeur, la preuve d'une telle embauche est insusceptible de déperissement ;



- de l'absence de motif légitime, alors que la société Tivoli & co procède par affirmations en soutenant que "M. [X] cumulerait un emploi au sein de la SARL JJ alimentation depuis le 16 février 2021, entraînant ainsi un cumul de deux emplois salariés dont la durée totale dépasse la durée légale du travail", les attestations de deux de ses salariés n'étant pas probantes, leurs auteurs se trouvant dans un lien de subordination avec elle ;



- du caractère disproportionné des mesures sollicitées et ordonnées, l'huissier étant autorisé à pénétrer au sein de la société JJ alimentation générale sans aucune limitation de durée, à se faire communiquer tous documents relatifs à l'éventuelle embauche de M. [X], interroger l'ensemble des membres du personnel présents, et à recourir à la force publique, un tel recours étant excessif s'agissant d'un supposé dépassement de la durée hebdomadaire légale du travail.



Au soutien de sa requête, la société Tivoli & co établit par la production d'un contrat de travail, des bulletins de salaire et d'une déclaration d'accident du travail, embaucher M. [X] comme cuisinier et que depuis le 5 novembre 2021 son salarié se trouve en arrêt-maladie suite à une tendinopathie. Il justifie en outre, par un extrait du registre du commerce et des sociétés et les statuts de la société JJ alimentation générale que M. [X] est associé dans cette société, et par le témoignage de deux de ses salariés maîtres d'hôtel, que M. [X] serait salarié de cette société JJ alimentation générale. L'un expose en effet avoir entendu à plusieurs reprises que M.[X] travaillait, en plus de son contrat de travail chez Tivoli & co, dans une épicerie à [Localité 5], l'autre déclare s'être vu demander par M. [X] des aménagements d'horaires au motif qu'il travaillait dans une épicerie à [Localité 5].



La société Tivoli & co précise vouloir vérifier la réalité de ce cumul d'emplois, conduisant à un dépassement de la durée légale de travail autorisée, en vue d'engager une action prud'homale contre son salarié pour déloyauté, celui-ci ne l'ayant pas informée de la situation.



Ce faisant, la société Tivoli & co justifie bien d'un motif légitime à voir désigner un huissier de justice pour vérifier la réalité du cumul d'emplois supposé, lequel est crédible au vu de la qualité d'associé de M. [X] de la société JJ alimentation générale et des témoignages des salariés de la requérante, dont l'un constitue un témoignage direct puisque le maître d'hôtel rapporte des propos que lui a tenus M. [X] lui-même, étant rappelé qu'au stade de la requête, le demandeur n'a pas à prouver la réalité des faits allégués puisque la mesure sollicitée tend précisément à les confirmer, en sorte qu'est inopérant le moyen de M. [X] tiré du caractère non probant des témoignages fournis.







S'agissant de la dérogation au principe de la contradiction, la société Tivoli & co l'a suffisamment motivé dans sa requête en indiquant "il est constant qu'il existe une nécessité de déroger au principe du contradictoire dès lors qu'il y a lieu de procurer au requérant un effet de surprise, effet sans lequel l'intérêt de la mesure serait vidé de sa substance."



En effet, la mesure tendant à vérifier la réalité du travail salarié de M. [X] au sein d'une entreprise tierce, ménager un effet de surprise était nécessaire compte tenu du risque de dissimulation de l'emploi de M. [X] par son absence physique et des documents afférents à son embauche, étant observé, comme le souligne la société Tivoli & co, que des tiers au contrat de travail n'ont pas la possibilité de se procurer auprès des organismes sociaux la déclaration préalable à l'embauche du salarié.



Il y avait donc bien nécessité de déroger au principe de la contradiction.



Enfin, la mesure qui a été sollicitée et ordonnée n'apparaît pas disproportionnée au but recherché, en ce que "tous les documents" que l'huissier est autorisé à se faire communiquer sont bien limités dans leur objet en se rapportant uniquement à l'embauche de M. [X] ; qu'il en est de même des questions que l'huissier est autorisé à poser à l'ensemble des membres du personnel présents ; que le défaut de limitation du nombre de venues de l'huissier dans les lieux est justifié par la nécessité de trouver sur place M. [X] ou les autres membres du personnel ; que la possibilité d'avoir recours à la force publique n'apparaît pas excessif dès lors que l'accès aux lieux est susceptible d'être refusé.



L'ordonnance sur requête a donc bien été rendue dans le respect des conditions légales ; il n'y a pas lieu à rétractation et l'ordonnance entreprise sera confrmée.



Le premier juge a exactement réglé le sort des dépens et des frais irrépétibles de première instance.



Perdant en appel, M. [X] sera condamné aux entiers dépens de cette instance.



La nature du litige commande, comme en première instance, de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS



Confirme en toutes ses dispositions l'odonnance entreprise,



Y ajoutant,



Condamne M. [X] aux entiers dépens de l'instance d'appel,



Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.



LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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