11 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-10.027

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300013

Titres et sommaires

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - Cession amiable - Cession postérieure à la déclaration d'utilité publique - Cession et concession temporaire d'immeubles expropriés - Régime - Application

Les dispositions des articles L. 21-1 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur version applicable à la cause, relatives à la cession et à la concession temporaire des immeubles expropriés, s'appliquent aux cessions amiables consenties après une déclaration d'utilité publique

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 janvier 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 13 FS-B

Pourvoi n° D 22-10.027




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023

1°/ M. [F] [T],

2°/ Mme [W] [P], épouse [T],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° D 22-10.027 contre l'arrêt rendu le 2 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige les opposant à l'Etablissement public d'aménagement de [Localité 6] (Epamarne), établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 7], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. et Mme [T], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'Etablissement public d'aménagement de [Localité 6], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Farrenq-Nési, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmem, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 2021), l'Etablissement public d'aménagement de [Localité 6] (l'Epamarne), s'est porté acquéreur en 1975 et 1976 de nombreuses parcelles situées dans la zone d'aménagement concerté Paris Est (la ZAC).

2. Par acte authentique du 25 juin 2014, l'Epamarne a vendu à M. et Mme [T] un terrain issu de la réunion de plusieurs de ces parcelles, sur lequel ils avaient édifié et exploité un restaurant, sans autorisation.

3. L'acte de vente comportait un cahier des charges, correspondant aux clauses-types prévus par le décret n° 55-216 du 3 février 1955 pour l'application des articles L. 21-1 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, prévoyant notamment que la vente était consentie en vue de la démolition du bâtiment existant et de la construction d'un restaurant conforme à un permis de construire délivré aux acquéreurs le 18 octobre 2013, ces derniers ayant l'obligation de commencer les travaux au plus tard le 1er octobre 2014 et de les achever au plus tard le 1er octobre 2015.

4. Invoquant l'absence de réalisation des travaux prévus, l'Epamarne a assigné M. et Mme [T] en résolution de la vente.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.



Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [T] font grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la vente, alors « que le cahier des charges mentionné à l'article L. 21-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa version applicable à la cause, ne régit que les ventes faisant suite à une ordonnance d'expropriation et non les cessions amiables consenties après déclaration d'utilité publique ; qu'en énonçant pourtant, pour juger que l'insertion à l'acte de vente du 25 juin 2014 des clauses-types du décret de 1955 était valable, que les cessions amiables consenties après déclaration d'utilité publique avaient les mêmes effets qu'une ordonnance d'expropriation, la cour d'appel a violé les articles L. 12-2, L. 21-1 et L. 21-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur version applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

7. Selon les articles L. 21-1 et L. 21-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur version applicable à la cause, les immeubles expropriés en vue de la réalisation d'opérations dans les zones d'aménagement concerté peuvent être cédés de gré à gré ou concédés temporairement à des personnes de droit privé ou de droit public, sous condition que ces personnes les utilisent aux fins prescrites par le cahier des charges annexé à l'acte de cession ou de concession temporaire, un décret en Conseil d'Etat devant approuver les cahiers des charges types précisant les conditions selon lesquelles ces cessions et ces concessions temporaires seront consenties et résolues en cas d'inexécution des charges.

8. Ayant jugé, à bon droit, que ces dispositions étaient applicables aux immeubles ayant fait l'objet d'une cession amiable après déclaration d'utilité publique, la cour d'appel, après avoir relevé que la parcelle vendue à M. et Mme [T] était issue des parcelles originairement cadastrées B n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3], situées dans le périmètre de la ZAC et acquises amiablement par l'Epamarne à la suite d'une déclaration d'utilité publique, en a exactement déduit qu'avait valablement été inséré dans l'acte de vente un cahier des charges comportant les clauses types prévues par le décret n° 55-216 du 3 février 1955.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi,

Condamne M. et Mme [T] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [T] et les condamne à payer à l'Etablissement public d'aménagement de [Localité 6] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [T]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Les époux [T] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir prononcé la résolution de la vente qui leur a été consentie par l'Epamarne par acte notarié du 25 juin 2014 portant sur une parcelle cadastrée section AE n°[Cadastre 4] pour une contenance de 03a 35ca, sise [Adresse 8] à [Localité 5] (Seine-et-Marne), d'avoir dit qu'ils devront restituer à l'Epamarne ladite parcelle dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, et ce, sous astreinte provisoire de 200 € par jour de retard pendant deux mois, d'avoir fixé à 9 300 € l'indemnité forfaitaire contractuelle due par eux à l'Epamarne au titre de dommages-intérêts, d'avoir condamné l'Epamarne à leur verser la somme de 83 700 € à titre d'indemnité contractuelle de résolution et d'avoir rejeté les autres demandes,

1°) Alors que le cahier des charges mentionné à l'article L. 21-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa version applicable à la cause, ne régit que les ventes faisant suite à une ordonnance d'expropriation et non les cessions amiables consenties après déclaration d'utilité publique ; qu'en énonçant pourtant, pour juger que l'insertion à l'acte de vente du 25 juin 2014 des clauses-types du décret de 1955 était valable, que les cessions amiables consenties après déclaration d'utilité publique avaient les mêmes effets qu'une ordonnance d'expropriation, la cour d'appel a violé les articles L. 12-2, L. 21-1 et L. 21-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur version applicable à la cause.

2°) Alors que, en tout état de cause, le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que dans leurs conclusions d'appel, les époux [T] soutenaient que l'insertion, à l'acte de vente du 25 juin 2014, des clauses-types du décret de 1955 était dépourvue de base légale, dès lors que les déclarations d'utilité publique des 28 janvier 1969 et 20 mai 1976, au visa desquelles les terrains ont été acquis par l'Epamarne puis revendus aux époux [T], étaient caduques au moins depuis le 20 mai 1986, en application de l'article L. 11-5, II, de l'ancien code de l'expropriation (cf. conclusions d'appel des exposants, p. 16) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

3°) Alors que le juge doit respecter la loi des parties ; que l'acte de vente du 25 juin 2014, s'il stipulait que les époux [T] devraient réaliser une construction conforme au permis de construire délivré le 18 octobre 2013, mettait également à leur charge (p. 15) le respect des « directives d'urbanisme en date du 18 avril 2012 » annexées à l'acte de vente ; que ces directives d'urbanisme, qui devaient donc être contractuellement respectées, étaient incompatibles avec le permis de construire précité, puisqu'elles imposaient une construction en rez-de-chaussée et limitée à 5 mètres de hauteur, là où le permis de construire avait prévu une construction en rez-de-chaussée avec un 1er étage de 5,42 mètres de hauteur ; qu'en jugeant dès lors que les époux [T] n'apportaient pas de justification à l'absence d'engagement des travaux, puisque le permis de construire n'était plus susceptible de recours, de sorte que la construction ne pourrait plus faire l'objet d'une décision de démolition, sans rechercher si l'empêchement légitime invoqué ne résultait pas de la nécessité de respecter les stipulations de l'acte de vente lui-même, qui avaient imposé aux acquéreurs de suivre les directives d'urbanisme du 18 avril 2012, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

4°) Alors que, en tout état de cause, les clauses résolutoires doivent être mises en oeuvre de bonne foi ; que dans leurs conclusions d'appel, les époux [T] soutenaient que l'Epamarne avait invoqué la clause résolutoire stipulée à l'acte de vente de mauvaise foi, dès lors que l'absence d'exécution par eux des travaux prévus au permis de construire du 18 octobre 2013 annexé à l'acte de vente s'expliquait par la nécessité de respecter les règles d'urbanisme applicables (cf. conclusions d'appel des exposants, p. 22 et p. 17 à 21) ; que pour juger que l'Epamarne était autorisée à signifier la résolution de la vente, la cour d'appel a retenu que les époux [T] n'avaient pas commencé les travaux dans le délai convenu et qu'ils ne rapportaient pas la preuve de l'accord de l'Epamarne sur leur nouveau projet qu'ils lui ont adressé alors que les délais de réalisation des conditions de la vente autorisant l'Epamarne à leur en signifier la résolution étaient largement expirés ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher, comme elle y était invitée, si l'Epamarne, bien qu'informé du nouveau permis de construire obtenu par les époux [T], n'avait pas, en signifiant tardivement la résolution de la vente aux acquéreurs sans même examiner ce nouveau projet et sa pertinence au regard des règles d'urbanisme applicables, manqué à son obligation de mettre en oeuvre de bonne foi la clause résolutoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Les époux [T] font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leur demande de condamnation de l'Epamarne à leur payer un million d'euros pour l'indemnisation de la valeur des murs du restaurant et du fonds de commerce de restauration,

Alors que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; que dans leurs conclusions d'appel, pour justifier leur demande indemnitaire, les époux [T] soutenaient que l'Epamarne avait sollicité que soit constatée la résolution par abus de droit, dès lors qu'elle entendait s'approprier indûment l'immeuble existant où ils exploitent un restaurant entièrement neuf et conforme (cf. conclusions d'appel des exposants, p. 23) ; qu'ils se référaient, en outre, aux précédents développements de leur conclusions, dans lesquels ils avaient reproché à l'Epamarne d'avoir mis en oeuvre la clause résolutoire de mauvaise foi (cf. conclusions d'appel des exposants, p. 13 à 22) ; qu'en jugeant, pour débouter les époux [T] de leur demande indemnitaire, qu'ils ne faisaient valoir aucune faute imputable à l'Epamarne au soutien de leur demande, la cour d'appel a dénaturé leurs conclusions, en violation de l'article 4 du code de procédure civile, ensemble du principe susvisé.

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