10 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-85.968

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR00004

Titres et sommaires

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Requalification - Conditions - Identité de faits matériels - Portée - Cas - Menaces de mort et provocation directe à des actes de terrorisme

S'il appartient au juge répressif de restituer aux faits dont il est saisi leur véritable qualification, c'est à la condition de n'y rien ajouter ou de ne pas substituer des faits distincts à ceux de la prévention, sauf acceptation expresse par le prévenu d'être jugé sur des faits et circonstances non compris dans la poursuite. Encourt la cassation l'arrêt qui requalifie des menaces de mort en provocation directe à des actes de terrorisme, alors que les faits retenus pour affirmer le caractère terroriste des actes à la commission desquels il était provoqué n'étaient pas compris dans la citation, laquelle ne visait par ailleurs aucun propos portant sur des actes en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur

Texte de la décision

N° H 20-85.968 FS-B

N° 00004


SL2
10 JANVIER 2023


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 JANVIER 2023



M. [X] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 9 octobre 2020, qui, pour recel et provocation à un acte de terrorisme, en récidive, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement et a ordonné une mesure de confiscation.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [X] [B], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mmes Labrousse, Ménotti, M. Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement en date du 24 juin 2020, le tribunal correctionnel, saisi de poursuites contre M. [X] [B] des chefs de recel et menaces de mort réitérées, en récidive, a requalifié ces faits en provocation à des actes de terrorisme et, déclarant l'intéressé coupable des deux délits, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement.

3. Le prévenu, puis le procureur de la République, ont relevé appel de cette décision.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a requalifié les faits de menace de mort réitérée en récidive initialement poursuivis en délit de provocation directe à des actes de terrorisme avec la circonstance que les faits ont été commis avec utilisation d'un service de communication au public en ligne, en récidive, déclaré M. [B] coupable de ces faits et condamné ce dernier, alors :

« 1°/ que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d'être jugé sur des faits nouveaux ; qu'en l'espèce, le prévenu a comparu devant la juridiction correctionnelle uniquement pour des faits de menaces de mort réitérées sur les personnes de [M] [N], [C] [K], [A] [Y] et [L] [W], en menaçant de leur jeter de l'acide au visage, de les brûler dans un coffre, de leur envoyer « une équipe », ou de les viser avec une kalashnikov, et ce en état de récidive légale ; que dès lors, en le condamnant du chef de provocation directe à des actes de terrorisme, avec la circonstance que les faits ont été commis avec utilisation d'un service de communication au public en ligne en récidive, en relevant que les incitations répétées à commettre des actes de violences graves non seulement sur les « influenceuses », mais également sur les membres de leur famille, et notamment sur leurs enfants, a bien pour objet de créer la terreur ou l'intimidation, non seulement vis-à-vis des influenceuses, mais au sein du public ou encore que la demande expresse faite en public de filmer les actes de violence ainsi préconisés, et de les diffuser sur internet, participe directement à l'objectif d'intimidation et de terreur au sein du public, bien que la prévention ne visait pas ces faits et que le prévenu n'avait pas accepté d'être jugé dessus, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles 421-2-5 du code pénal, 388, 591 à 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en toute hypothèse, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée dans des conditions respectant l'exercice effectif et concret des droits de la défense ; que dès lors, en requalifiant les faits poursuivis sous la qualification de menace de mort réitérée en état de récidive légale en provocation directe à des actes de terrorisme avec la circonstance aggravante que les faits ont été commis avec utilisation d'un service de communication au public en ligne, en état de récidive sans avoir préalablement informé le prévenu de l'ajout de cette circonstance aggravante afin qu'il puisse organiser sa défense, la cour d'appel a violé les articles 421-2-5 du code pénal, 388, 591 à 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le délit de provocation directe à des actes de terrorisme nécessite la caractérisation d'une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; qu'en l'espèce, les menaces proférées à l'encontre de personnes dénommées, dans le cadre d'une émission internet en direct, en réponse à des agissements que celles-ci auraient eus à l'égard d'autres internautes et en réaction aux insultes dont le prévenu aurait été lui-même la cible, ne caractérisent pas une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 421-2-5 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 388 du code de procédure pénale :

5. Il se déduit de ce texte que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition de n'y rien ajouter ou de ne pas substituer des faits distincts à ceux de la prévention, sauf acceptation expresse par le prévenu d'être jugé sur des faits et circonstances non compris dans la poursuite.

6. M. [B] a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir, de manière réitérée, menacé de mort quatre personnes nommément désignées en menaçant notamment de leur jeter de l'acide au visage, de les brûler dans un coffre, de leur envoyer « une équipe », ou de les viser avec une kalashnikov.

7. Pour requalifier les faits de menace de mort ainsi poursuivis en provocation directe à des actes de terrorisme, aggravés par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne, l'arrêt attaqué énonce notamment que, par la nature des violences préconisées dans les propos que le prévenu reconnaît avoir tenus, par le nombre et la qualité des personnes visées, les faits énumérés dans la prévention constituent une incitation directe à commettre des actes causant un grave trouble à l'ordre public, par l'intimidation ou la terreur, pour faire taire des personnes avec lesquelles il y a désaccord, précisant que seule importe la volonté d'atteindre le maximum de personnes par le biais des réseaux sociaux et de provoquer des réactions des internautes.

8. Les juges ajoutent que la demande expresse faite en public, par M. [B], de filmer les actes de violence ainsi préconisés, et de les diffuser sur internet, participe directement à l'objectif d'intimidation et de terreur au sein du public.

9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé, pour les motifs qui suivent.

10. En premier lieu, les faits retenus par la cour d'appel pour affirmer le caractère terroriste des actes à la commission desquels il était provoqué n'étaient pas compris dans la citation, laquelle ne visait par ailleurs aucun propos portant sur des actes en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

11. En second lieu, si le prévenu avait accepté la requalification de l'infraction de menace en délit de provocation à commettre un crime ou un délit, tel n'était pas le cas s'agissant de la provocation directe à commettre un acte de terrorisme.

12. La cassation est ainsi encourue.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation sera limitée à la condamnation du chef de provocation directe à commettre des actes de terrorisme et aux peines, la condamnation du chef de recel n'encourant pas la censure.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen en date du 9 octobre 2020, mais en ses seules dispositions relatives à la condamnation du chef de provocation directe à commettre des actes de terrorisme et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix janvier deux mille vingt-trois.

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