14 décembre 2022
Cour d'appel de Reims
RG n° 21/01855

Chambre sociale

Texte de la décision

Arrêt n°

du 14/12/2022





N° RG 21/01855





IF/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 14 décembre 2022





APPELANTE :

d'un jugement rendu le 14 septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes de CHARLEVILLE-MEZIERES, section Commerce (n° F 20/00070)



S.A.S. KUEHNE+NAGEL ROAD

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par la SELARL OCTAV, avocats au barreau de REIMS et par la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON





INTIMÉ :



Monsieur [M] [R]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par la SCP MEDEAU-LARDAUX, avocats au barreau des ARDENNES

DÉBATS :



En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 septembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Madame Isabelle FALEUR, Conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 16 novembre 2022, prorogée au 14 décembre 2022.



COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :



Madame Christine ROBERT-WARNET, président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

Madame Isabelle FALEUR, conseiller



GREFFIER lors des débats :



Madame Lozie SOKY, greffier placé



ARRÊT :



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






* * * * *







Monsieur [M] [R] a été embauché par la SAS KUEHNE +NAGEL ROAD, entreprise de transport de marchandises, à compter du 7 juillet 1997 en qualité de conducteur poids-lourd.



Dans le dernier état de la relation de travail, Monsieur [M] [R] était conducteur poids-lourd haut qualifié, coefficient 150 M groupe GR-7.



La convention collective applicable est la convention collective nationale des entreprises de transport routier de marchandises.



Le 13 décembre 2019, Monsieur [M] [R] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 23 décembre 2019, auquel il ne s'est pas présenté.



Par lettre recommandée datée du 2 janvier 2020, il a été licencié pour faute grave pour avoir dénigré l'entreprise à plusieurs reprises et avoir violemment critiqué la politique de la direction.



Il a contesté son licenciement et un accord transactionnel a été conclu le 15 janvier 2020 qui prévoyait le paiement par l'employeur d'une somme de 6 000 euros.



Considérant ne pas être rempli de ses droits, Monsieur [M] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières le 25 mars 2020 pour solliciter, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, la condamnation de la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à lui payer, au titre de son licenciement sans cause et sérieuse, les sommes suivantes :

- 54'000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 474,42 euros à titre d'indemnité de préavis outre 447,44 euros de congés payés afférents,

- 140'914,72 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 5 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation,

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier,

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





La SAS KUEHNE + NAGEL ROAD a demandé au conseil de prud'hommes :

à titre principal,

- de déclarer irrecevable la demande de Monsieur [M] [R] comme s'opposant à l'autorité de la chose jugée du fait de la signature d'une transaction

à titre subsidiaire, si par extraordinaire le conseil annulait la transaction,

- de condamner Monsieur [M] [R] à lui restituer la somme de 6 000 euros perçue en échange de la signature de la transaction,

- de juger que le licenciement de Monsieur [M] [R] repose sur une faute grave,

à titre subsidiaire,

- de juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

- de débouter Monsieur [M] [R] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour préjudice financier et moral,

- de limiter le montant de l'indemnité de licenciement à la somme de 14'914,72 euros tel qu'il résulte des calculs de Monsieur [M] [R] et non à la somme erronée figurant dans son dispositif de 140'914,72 euros,

à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire le conseil venait à juger que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

- de constater que Monsieur [M] [R] ne peut solliciter une indemnisation supérieure à 16,5 mois de salaire soit 36'913,96 euros,

- de constater que Monsieur [M] [R] n'apporte pas la preuve de son préjudice,

- de condamner la société au versement de la somme de trois mois de salaire soit 6 711,63 euros,

- de limiter le montant de l'indemnité de licenciement à la somme de 14'914,72 euros tel qu'il résulte des calculs de Monsieur [M] [R] et non à la somme erronée figurant dans son dispositif de 140'914,72 euros,

sur la demande de formation,

- de constater que la société a respecté son obligation de formation,

- de constater que Monsieur [M] [R] n'apporte pas la preuve d'un quelconque préjudice,

- de le débouter de sa demande,

en tout état de cause,

- de débouter Monsieur [M] [R] de sa demande titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de débouter Monsieur [M] [R] de sa demande au titre de l'exécution provisoire,

- de condamner Monsieur [M] [R] à verser à la société la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par jugement du 14 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières a :

- déclaré que l'accord transactionnel conclu entre les parties n'est pas opposable à Monsieur [M] [R] et que ses demandes sont recevables et partiellement fondées,

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à payer à Monsieur [M] [R] les sommes suivantes :

- 4 474,42 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 447,44 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 14'914,72 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 49'186 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse,

- 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que Monsieur [M] [R] devra restituer l'indemnité transactionnelle de 6 000 euros déjà réglée par la SAS KUEHNE NAGEL ROAD,

- condamné la SAS KUEHNE NAGEL ROAD à rembourser à Pôle emploi tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [M] [R] du jour de son licenciement au jour de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- fixé la moyenne des salaires à la somme de 2 981 euros,

- débouté Monsieur [M] [R] du surplus de ses demandes,

- condamné la SAS KUEHNE NAGEL ROAD aux entiers dépens.





La SAS KUEHNE NAGEL ROAD a régulièrement interjeté appel le 8 octobre 2021.



Au terme de ses conclusions d'appelant n°2 notifiées par RPVA le 17 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS KUEHNE NAGEL ROAD demande à la cour :

DE LA JUGER bien fondée en son appel,

y faisant droit,

D'INFIRMER le jugement en ce qu'il a :

- déclaré l'accord transactionnel inopposable à Monsieur [M] [R] et les demandes de Monsieur [M] [R] recevables et partiellement fondées,

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS KUEHNE NAGEL ROAD à payer à Monsieur [M] [R] les sommes suivantes :

. 4 474,42 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 447,44 euros au titre des congés payés sur préavis,

. 14'914,72 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. 49'186 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse,

. 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS KUEHNE NAGEL ROAD à rembourser à Pôle emploi tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [M] [R],

- condamné la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD aux dépens,

en conséquence,

DE DÉCLARER irrecevable la demande de Monsieur [M] [R] comme s'opposant à l'autorité de la chose jugée et en conséquence, le débouter de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour confirmait l'annulation de la transaction,

DE CONFIRMER le jugement en ce qu'il a dit que Monsieur [M] [R] doit restituer à la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD la somme de 6 000 euros,

DE JUGER que le licenciement de Monsieur [M] [R] repose sur une faute grave de sorte qu'il doit être débouté de ses demandes,

Si par extraordinaire, la cour venait à juger que le licenciement de Monsieur [M] [R] ne repose pas sur une faute grave,

DE CONFIRMER le jugement en ce qu'il a dit que Monsieur [M] [R] doit restituer à la société la somme de 6 000 euros,

DE JUGER que le licenciement de Monsieur [M] [R] repose à minima sur une cause réelle et sérieuse et le débouter de ses demandes de dommages et intérêts,

DE LIMITER le montant de l'indemnité de licenciement à la somme de 14'914,72 euros,

Si par extraordinaire la cour venait à juger que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

DE CONFIRMER le jugement en ce qu'il a dit que Monsieur [M] [R] doit restituer à la société la somme de 6 000 euros,

D'INFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné la société à verser à Monsieur [M] [R] la somme de 49'186 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DE CONSTATER que Monsieur [M] [R] ayant 22 ans d'ancienneté peut solliciter une indemnisation comprise entre 3 et 16,5 mois,



DE CONSTATER l'absence de démonstration d'un préjudice par Monsieur [M] [R],

DE LIMITER en conséquence le montant des dommages et intérêts à la somme de 8 943,90 euros correspondant à trois mois de salaire,

DE LIMITER le montant de l'indemnité de licenciement à la somme de 14'914,72 euros,

En tout état de cause,

DE CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [M] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

DE CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [M] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice financier,

DE CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [M] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect d'une obligation de formation,

DE DÉBOUTER Monsieur [M] [R] de toutes ses demandes, fins et prétentions,

D'INFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné la société à rembourser tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [M] [R] par pôle emploi,

D'INFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné la société à verser 900 euros à Monsieur [M] [R] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DE CONDAMNER Monsieur [M] [R] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.



La SAS KUEHNE NAGEL ROAD soutient qu'en vertu de l'article 2052 du Code civil, la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet et que la saisine du conseil de prud'hommes par Monsieur [M] [R], se heurtant à l'autorité de la chose jugée est ainsi irrecevable. Elle souligne que nonobstant la mention 'sous réserve' portée sous sa signature, Monsieur [M] [R] a expressément consenti à la transaction en écrivant 'bon pour transaction renonciation à toute instance et action'.



La SAS KUEHNE NAGEL ROAD fait valoir que Monsieur [M] [R] a commis une faute grave pour avoir, à plusieurs reprises, violemment critiqué la politique de la direction de l'entreprise et que l'obligation de motivation de la lettre de licenciement n'oblige pas l'employeur à citer les propos insultants ou dénigrants du salarié.



L'employeur soutient que si l'existence de la faute grave n'est pas retenue par la Cour, le comportement du salarié justifie a minima un licenciement pour cause réelle et sérieuse.



Au terme de ses conclusions d'intimé et d'appelant incident notifiées par RPVA le 23 février 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé de ses moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Monsieur [M] [R] demande à la cour :

DE DÉBOUTER la SAS KUEHNE NAGEL ROAD de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

DE DÉCLARER l'appel incident formé par Monsieur [M] [R] recevable et bien-fondé,





y faisant droit,

D'INFIRMER partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en ce qu'il a débouté Monsieur [M] [R] de ses demandes au titre du non-respect de l'obligation de formation, du préjudice moral et du préjudice financier,

D'ADOPTER le raisonnement rendu par le conseil de prud'hommes pour le reste,

statuant à nouveau,

DE CONDAMNER la SAS KUEHNE NAGEL ROAD à lui payer les sommes suivantes :

. 54'000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse,

. 4 474,42 euros à titre d'indemnité de préavis outre 447,44 euros de congés payés afférents,

. 14'914,72 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 5 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation,

. 8 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral,

. 5 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice financier,

. 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DE CONDAMNER la SAS KUEHNE NAGEL ROAD aux entiers dépens.



Monsieur [M] [R] souligne le caractère équivoque de la transaction qu'il a signée et fait valoir qu'il a inscrit la mention 'sous réserve' en dessous de la mention 'bon pour transaction renonciation à toute instance et action' dès lors qu'il était conscient que ses droits semblaient être bafoués et qu'il souhaitait prendre par la suite le conseil auprès d'un avocat.



Il conteste le motif de son licenciement et soulève l'absence de motifs contenus dans la lettre de licenciement, les faits qui lui sont reprochés n'étant pas précisés en leur matérialité et en leur date.



Monsieur [M] [R] sollicite le contrôle in concreto de la cour sur son préjudice et demande que le barème des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse soit écarté.



Il soutient qu'il a subi un préjudice moral du fait des agissements de son employeur qui lui a proposé une transaction pour qu'il renonce à toute contestation moyennant le versement d'une somme dérisoire au regard de son ancienneté ; qu'il a également subi un préjudice financier puisqu'il a perdu le bénéfice de son ancienneté et de tous les avantages acquis dans la société alors qu'il était proche de la retraite.



Monsieur [M] [R] affirme enfin que son employeur n'a pas respecté l'obligation de formation.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 août 2022.












Motifs :



Sur la recevabilité de la demande de Monsieur [M] [R]



Au terme des articles 2044 et 2052 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

Ce contrat doit être rédigé par écrit.

La transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.



En matière de droit du travail, elle doit à peine de nullité pour violation des articles L. 1232-6 et L. 1231-4 du Code du travail et de l'article 2044 du Code civil être conclue après notification préalable du licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (Cass. soc., 23 sept. 2014, n° 13-16.600).



La transaction est soumise au droit commun des obligations, les parties doivent avoir la capacité de contracter et leur consentement doit être libre et éclairé.



La mention manuscrite 'sous réserve de mes droits' est exclusive de l'accord du salarié pour transiger sur ses droits relatifs à la rupture du contrat de travail (Cass. Soc., 11 février 1997 n° 94-45.431)



En l'espèce, la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD et Monsieur [M] [R] ont signé une convention le 15 janvier 2020 au terme de laquelle la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD s'est engagée à verser à Monsieur [M] [R], à titre d'indemnité transactionnelle forfaitaire et définitive, la somme de 6 000 euros net en réparation de tout préjudice professionnel, moral et financier qu'il estime avoir subi à l'occasion de l'exécution et/ou de la rupture de son contrat de travail.



La transaction précise que la concession de Monsieur [M] [R] est de s'estimer rempli de ses droits et réparé de son entier préjudice et que la concession de la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD est d'allouer une indemnité transactionnelle.



Monsieur [M] [R] a écrit la mention suivante au bas de la transaction, à côté de sa signature : 'bon pour transaction renonciation à toute instance et action sous réserve'.



Le fait qu'il n'est mentionné que 'sous réserve' et non 'sous réserve de mes droits' n'enlève en rien le caractère équivoque du consentement du salarié.



Monsieur [M] [R] a d'ailleurs saisi rapidement le conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne par requête reçue au greffe le 25 mars 2020.



Par ailleurs, la formule de réserve anéantit l'article huit du protocole transactionnel régularisé qui prévoit que les parties s'engagent à exécuter la transaction de bonne foi et constate que tous les différends nés entre elles sont éteints définitivement et sans réserve.





Le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières sera donc confirmé en ce qu'il a dit déclaré Monsieur [M] [R] recevable en ses demandes.



Sur le licenciement pour faute grave



La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.



Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1232-1, L. 1232-6, L.1234-1 et L. 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.



Lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.



L'article L 1232-6 du code du travail stipule que lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.



La lettre de licenciement adressée à Monsieur [M] [R], le 2 janvier 2020, est ainsi rédigée :

« par courrier recommandé avec accusé de réception datée du 13 décembre 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable le 23 décembre 2019 avec Monsieur [P] [N], entretien auquel vous ne vous êtes pas présenté et au cours duquel nous aurions pu évoquer les griefs que nous avons à formuler à votre encontre.

En effet, vous avez dénigré l'entreprise, et ce, à plusieurs reprises. Vous avez violemment critiqué la politique de la direction.

Sachez que ces agissements sont constitutifs d'une faute grave.

Dans ces conditions, la poursuite de nos relations contractuelles s'avère impossible. Nous vous notifions par conséquent votre licenciement pour faute grave, pour les motifs que nous avons exposés ci-dessus. Votre licenciement prend effet ce jour ».



La lettre de licenciement énonce un motif précis : la critique de la politique de la direction et le dénigrement de l'entreprise. Ce motif est de nature disciplinaire.



Il appartient en conséquence à l'employeur d'établir la matérialité des faits fautifs qu'il reproche à Monsieur [M] [R].







Au soutien de son affirmation, la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD produit uniquement une attestation de Monsieur [Y] [F] qui certifie que Monsieur [M] [R] a eu des propos dénigrant la direction à plusieurs reprises.



Il n'est donc nullement précisé les propos que Monsieur [M] [R] aurait tenus, ni leur portée critique, ni la date à laquelle il les aurait tenus, étant souligné qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales (C. trav., art. L. 1332-4).



La SAS KUEHNE + NAGEL ROAD ne rapporte pas la preuve de la faute qu'elle reproche à Monsieur [M] [R].



La SAS KUEHNE + NAGEL ROAD sollicite, à titre subsidiaire, que la cour juge que le licenciement de Monsieur [M] [R] repose sur une cause réelle et sérieuse.



Toutefois, outre qu'elle ne justifie pas de l'existence d'un quelconque fait de nature à fonder un licenciement pour cause réelle et sérieuse, l'absence de cause réelle et sérieuse doit donc être prononcée lorsque seule une faute grave est invoquée dans la lettre de licenciement de l'employeur alors que les faits ne sont pas constitutifs d'une faute (Cass. soc. 9 mai 2000 n° 97-45.163).



Le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en date du 14 septembre 2021 sera donc confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de Monsieur [M] [R] était sans cause réelle et sérieuse.



Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail



Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.



Il en résulte, d'autre part, que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions précitées de l'article L. 1235-4 du code du travail.



Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.



Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée, comme a d'ailleurs pu le juger la cour de cassation (.Soc 11 mai 2022 n° 21.14.490).

Les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 selon lequel les travailleurs licenciés sans motif valable ont droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail et il convient d'allouer au salarié dont le licenciement est sans cause réelle et sérieuse une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte, comme a d'ailleurs pu le juger la cour de cassation ( Soc. 11 mai 2022 n° 21-15.247)



Il résulte de l'article L 1235-3 du code du travail, applicable au présent litige que Monsieur [M] [R], licencié alors qu'il avait 22 ans d'ancienneté, peut bénéficier d'une indemnisation comprise entre 3 et 16,5 mois de salaire.



Monsieur [M] [R] est né le 09 octobre 1956 ainsi que cela est mentionné sur l'attestation employeur destiné à pôle emploi.



Il ne justifie pas d'une quelconque indemnisation au titre du chômage et il ressort que, sur son attestation sur l'honneur en date du 4 mai 2021, il a fait figurer dans le paragraphe 'situation depuis la rupture du contrat de travail, date de période de chômage indemnisé' la mention 'retraité'.



Il apparaît donc qu'il a immédiatement pris sa retraite après son licenciement.



Au vu de ces éléments, il y a lieu de condamner la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à lui payer la somme de 22 372,10 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse étant précisé que Monsieur [M] [R] percevait avant son licenciement une rémunération mensuelle brute moyenne d'un montant de 2 237,21 euros.



En application des articles L 1234-9 et R 1234-1 du code du travail, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

- un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à 10 ans,

- un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de 10 ans.



Monsieur [M] [R] a été employé au sein de la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD du 7 juillet 1997 au 02 janvier 2020.



En conséquence il y a lieu de condamner la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à lui payer la somme de 14 914, 72 euros à titre d'indemnité de licenciement.



L'indemnité compensatrice de préavis est calculée en se fondant sur le salaire que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé.



La SAS KUEHNE + NAGEL ROAD est en conséquence condamnée à payer à Monsieur [M] [R] la somme de 4 474,42 euros outre 447,44 euros de congés payés afférents.



Toutes les condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables.



Les conditions sont réunies pour faire application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail, selon des modalités définies aux termes du dispositif de la présente décision Le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières sera donc confirmé sur ce chef.



Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral et préjudice financier



Monsieur [M] [R] soutient que son préjudice moral provient d'une rupture du contrat de travail particulièrement brutale, vexatoire et incompréhensible ainsi que d'une proposition de transaction pour qu'il renonce à toute contestation moyennant le versement d'une somme dérisoire au regard de son ancienneté et des circonstances de la rupture.



S'il est établi que la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD a licencié Monsieur [M] [R] pour une faute grave dont elle ne caractérise pas l'existence, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse réparent la perte de l'emploi, étant par ailleurs souligné que Monsieur [M] [R] ne démontre pas en quoi consiste le préjudice moral dont il sollicite réparation, affirmant seulement qu'il est choqué.



Monsieur [M] [R], qui a pris sa retraite après son licenciement, ne rapporte pas la preuve d'un préjudice financier. Il affirme qu'il a perdu les avantages acquis dans la société mais ne justifie pas de ces avantages.



Il y a lieu de le débouter de sa demande de dommages et intérêts et de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières qui l'a débouté de ses demandes à ce titre.



Sur le non respect de l'obligation de formation



L'article L6321-1 du code du travail impose à l'employeur d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.



Monsieur [M] [R] affirme que durant toute la relation contractuelle, il n'a bénéficié d'aucune action de formation de la part de son employeur.



Cependant, la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD produit en pièce 7 un 'passeport formation' en date du 3 novembre 2020 qui établit que Monsieur [M] [R] a bénéficié d'une formation ADR recyclage en 2011, d'un stage de récupération de points en 2012, d'un stage de perfectionnement conducteur CL en 2012, d'un stage de récupération de points en 2013, d'une FCO individuelle en 2015, d'une formation ADR recyclage en 2016 et d'une formation sensibilisation à la sûreté en 2019.



Il y a donc lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en ce qu'il a débouté Monsieur [M] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation.



Sur le remboursement de l'indemnité transactionnelle



Monsieur [M] [R] n'ayant pas valablement accepté le protocole d'accord transactionnel, il ne peut produire aucun effet juridique.



Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné Monsieur [M] [R] à rembourser à la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD la somme de 6 000 euros



Sur les frais irrépétibles et l'article 700



Il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à payer à Monsieur [M] [R] la somme de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux dépens.



Partie qui succombe en appel, la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD est condamnée à payer à Monsieur [M] [R] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Elle est condamnée aux dépens d'appel



Par ces motifs :



La Cour statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,



CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières en date du 14 septembre 2021 en ce qu'il a :



- déclaré l'accord transactionnel du 15 janvier 2020 inopposable à Monsieur [M] [R],

- dit que le licenciement de Monsieur [M] [R] est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à payer à Monsieur [M] [R] les sommes suivantes :

. 4 474,42 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

. 447,44 euros au titre des congés payés sur préavis,

. 14'914,72 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que Monsieur [M] [R] devra restituer l'indemnité transactionnelle de 6 000 euros déjà réglée par la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD,

- condamné la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à rembourser à Pôle emploi tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [M] [R] du jour de son licenciement au jour de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

- débouté Monsieur [M] [R] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral, pour préjudice financier, et pour manquement à l'obligation de formation,

- condamné la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD aux dépens,



L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,



CONDAMNE la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à payer à Monsieur [M] [R] la somme de 22 372,10 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,



Y ajoutant,



RAPPELLE que toutes les condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables,



CONDAMNE la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD à payer à Monsieur [M] [R] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel,



CONDAMNE la SAS KUEHNE + NAGEL ROAD aux entiers dépens d'appel.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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