15 décembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-17.463

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C201323

Texte de la décision

CIV. 2

COUR DE CASSATION



LM


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 15 décembre 2022




NON-LIEU À RENVOI


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 1323 F-D

Pourvoi n° M 22-17.463



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 DÉCEMBRE 2022

Par mémoire spécial présenté le 29 septembre 2022, Mme [H] [L], domiciliée [Adresse 2], a formulé des questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° M 22-17.463 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 8 avril 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6 - chambre 13), dans une instance l'opposant à la Caisse nationale d'assurance vieillesse, dont le siège est [Adresse 1].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [L], et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Le 6 février 2018, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (la Caisse) a notifié à Mme [L] (l'assurée), affiliée au cours de sa carrière au régime général et au régime des salariés agricoles, une pension de vieillesse, dont elle a contesté le montant devant une juridiction chargée du contentieux de sécurité sociale, au regard du revenu moyen ayant servi de base de calcul.

Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité

2. À l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 8 avril 2022 par la cour d'appel de Paris, qui l'a déboutée de ses demandes, l'assurée a, par mémoire distinct et motivé déposé au greffe de la Cour de cassation le 29 septembre 2022, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« L'article L. 173-1-2 du code de la sécurité sociale créé par l'article 43 de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 qui a instauré rétroactivement un mode de calcul des droits à la retraite des poly-actifs basée sur un cumul des revenus salariés avec les revenus perçus simultanément ou alternativement d'une activité agricole ou indépendante, et la soumission des dits revenus ainsi cumulés au plafond, ne porte-t-il pas atteinte au principe d'égalité consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce que « le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » or l'objet de la liquidation unique des régimes alignés ne soumet pas « au même traitement, à effort contributif égal, les assurés affiliés à un seul régime de retraite et ceux affiliés à plusieurs, dès lors qu'ils relèvent de régimes à règles comparables » (contra, Civ.2 23 septembre 2021 n° 21-40.015) puisque, dans le régime général, « le salaire servant de base au calcul de la pension est celui correspondant, pour chaque année prise en compte, aux cotisations versées par le salarié au titre des gains et rémunérations perçus au cours de cette année, sans que ce salaire puisse excéder, le cas échéant tous emplois confondus, le montant du plafond mentionné au premier alinéa de l'article L. 241-3 en vigueur au cours de cette année » mais cette règle de plafonnement, instituée par l'article 3 du Décret n° 2005-1351 du 31 octobre 2005, est uniquement « applicable aux salaires perçus à compter du 1er janvier 2005 », contrairement à l'article L. 173-1-2, I, 3°, si bien que « l'effort contributif » d'un poly-actif nés après le 1er janvier 1953 et ayant cotisé au cours de sa carrière à plusieurs régimes est sans commune mesure avec celle d'un mono-actif du régime général et que les règles de plafonnement ne sont absolument pas « comparables » ? »

« L'article L. 173-1-2 du code de la sécurité sociale créé par l'article 43 de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 qui a instauré rétroactivement un mode de calcul des droits à la retraite des poly-actifs basée sur un cumul des revenus salariés avec les revenus perçus simultanément ou alternativement d'une activité agricole ou indépendante, et la soumission des dits revenus ainsi cumulés au plafond, ne porte-t-il pas atteinte à la garantie des droits et au droit de propriété consacrés par les articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce que « le droit individuel à pension d'une personne assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif constitue un intérêt patrimonial substantiel » (Civ.2 2 juin 2022 n° 21-16.072 BR Civ.2 25 novembre 2021 n° 20-17.234 B-R Civ.2 12 mai 2021 n° 19-20.938 BR) et « les droits acquis en contrepartie du paiement des cotisations doivent être regardés comme l'étant au fur et à mesure de leur versement » (Civ.2 2 juin 2022 n° 21-16.072 B-R) et qu'en conséquence – eu égard au droit de propriété – « les atteintes portées à cet intérêt patrimonial doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi » (not. n° 2010-60 QPC 12 novembre 2010, n° 2011-141 QPC 24 juin 2011, n° 2011-208 QPC 13 janvier 2012) et – eu égard à la garantie des droits – « le législateur ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations » (not., n° 2021-833 QPC 28 décembre 2021, n° 2020-882 QPC 5 février 2021, n° 2020-880 QPC 29 janvier 2021), si bien qu'il pouvait être légitimement espéré de la part des assurés sociaux nés après le 1er janvier 1953 et ayant cotisé au cours de leur carrière à plusieurs régimes, que le montant de leur pension serait calculé sur la totalité des sommes annuelles soumises à cotisation « au fur et à mesure de leur versement » et non en fonction d'un plafond instauré en 2014 dont l'application rétroactive est disproportionnée et, en plus, injustifiée – à tel point que, pour les mono-actif du régime général, ce plafonnement n'a été institué que pour l'avenir et non rétroactivement, par l'article 3 du décret n° 2005-1351 du 31 octobre 2005 ? »

Examen des questions prioritaires de constitutionnalité

3. L'article L. 173-1-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, est applicable au litige, qui concerne les modalités de calcul de la pension de retraite de l'assurée, née après le 1er janvier 1953, et ayant cotisé au cours de sa carrière à la fois au régime général de sécurité sociale et à celui du régime des salariés agricoles, de sorte qu'elle relève du dispositif de liquidation unique des régimes, dits alignés, prévu par ce texte.

4. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

5. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.

6. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.

7. En effet, tout d'abord, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. La disposition contestée, qui instaure un dispositif de liquidation unique des régimes alignés, a précisément pour objet de soumettre au même traitement, à effort contributif égal, les assurés affiliés à un seul régime de retraite et ceux affiliés à plusieurs, dès lors qu'ils relèvent de régimes à règles comparables. Il ne saurait, dès lors, être sérieusement soutenu qu'elle méconnaît les exigences du principe constitutionnel d'égalité devant la loi, qui n'impose pas au législateur, lorsqu'il s'efforce de réduire les disparités de traitement en matière de protection sociale, de remédier concomitamment à l'ensemble des disparités existantes.

8. Ensuite, le Conseil constitutionnel reconnaît qu'il revient au législateur d'organiser la solidarité entre personnes en activité, personnes sans emploi et retraités et de maintenir l'équilibre financier permettant à l'ensemble des institutions de sécurité sociale de remplir leur rôle et admet que, pour satisfaire à cette exigence, le législateur peut modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, sans que l'exercice de ce pouvoir n'aboutisse à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Dès lors, il ne saurait être sérieusement soutenu que la disposition législative critiquée, qui se borne à prévoir de nouvelles modalités de calcul des droits à pension pour certaines catégories d'assurés, notamment l'exclusion du salaire ou revenu annuel moyen de la fraction des salaires ou revenus dépassant le plafond annuel de la sécurité sociale, porte atteinte au droit de propriété tel qu'énoncé à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ou aux exigences des articles 2 et 16 de la même Déclaration.

9. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt-deux.

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