14 décembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-86.427

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01403

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Pièces - Versement au dossier de pièces extraites d'une autre procédure - Conditions - Détermination

Aucune disposition de procédure pénale n'interdit aux juges de décider que soient annexés à une procédure pénale les éléments d'une autre procédure dont la production peut être de nature à les éclairer et à contribuer à la manifestation de la vérité, à la seule condition qu'une telle jonction ait un caractère contradictoire et que les pièces ou les procédures communiquées puissent être soumises à la discussion de toutes les parties (Crim., 16 mars 1981, pourvoi n° 80-95.343, Bull. crim. 1981, n° 91). Toutefois, si l'opportunité d'ordonner un supplément d'information, notamment aux fins de versement au dossier de nouvelles pièces, relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (Crim., 13 mars 1997, pourvoi n° 96-81.081, Bull. crim. 1997, n° 197 ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-81.980, Bull.), le refus d'ordonner un supplément d'information doit être spécialement motivé. La Cour de cassation exerce son contrôle sur la suffisance de la motivation de la décision de rejet d'une telle demande (Crim., 25 avril 2006, pourvoi n° 05-87.318, Bull. crim. 2006, n° 111 ; Crim., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-81.743, Bull. crim. 2019, n° 88)

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Supplément d'information - Demande d'une partie - Rejet - Motivation - Nécessité

Texte de la décision

N° B 21-86.427 FS-B

N° 01403


MAS2
14 DÉCEMBRE 2022


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 DÉCEMBRE 2022




MM. [U] [H] [M] et [W] [B] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-4, en date du 6 septembre 2021, qui, après avoir rejeté la demande de supplément d'information du second, les a condamnés, chacun, pour association de malfaiteurs en récidive à douze ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, cinq ans d'interdiction de séjour, a ordonné une mesure de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Sudre, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de MM. [U] [H] [M] et [W] [B], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, Me Périer ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Sudre, conseiller rapporteur,
M. de Larosière de Champfeu, Mmes Labrousse, Ménotti, Leprieur, MM. Maziau, Turbeaux, Seys, Dary, Mme Thomas, MM. Laurent, Brugère, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Mallard, Mmes Merloz, Guerrini, M. Michon, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 15 janvier 2016, une fusillade a éclaté devant une épicerie à [Localité 1], faisant six blessés.

3. L'information a révélé que deux des trois armes utilisées avaient servi lors d'autres séquences de tirs les 1er janvier, 14 janvier et 18 février 2016.

4. Celle-ci a également établi que cette fusillade du 15 janvier 2016 avait été précédée, la veille, du meurtre d'une personne et de la tentative de meurtre d'[V] [E] [I], et été suivie, le 21 février 2016, de la tentative de meurtre de deux personnes dont [V] [E] [I] et, le 23 septembre 2017, du meurtre de ce dernier et d'une autre personne.

5. Enfin, elle a conduit à la mise en cause de MM. [U] [H] [M] et [W] [B].

6. Par ordonnance du 26 février 2020, le juge d'instruction a renvoyé ces derniers devant le tribunal correctionnel des chefs de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, aggravées par trois circonstances, violences volontaires sans incapacité de travail avec arme et participation à une association de malfaiteurs, en récidive.

7. Par jugement du 18 juin 2020, le tribunal les a déclarés coupables des faits reprochés et les a condamnés, chacun, à douze ans d'emprisonnement avec une période de sûreté fixée aux deux-tiers de la peine, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, cinq ans d'interdiction de séjour, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.

8. MM. [H] [M] et [B] ont relevé appel de ce jugement et le ministère public a formé appel incident.


Examen des moyens

Sur le second moyen proposé pour M. [H] [M] et sur le second moyen proposé pour M. [B]


9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le premier moyen proposé pour M. [H] [M] et le premier moyen proposé pour M. [B]

Enoncé des moyens

10. Le moyen proposé pour M. [H] [M] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de participation à une association de malfaiteurs alors « qu'une cour d'appel ne saurait fonder une déclaration de culpabilité sur des pièces issues d'une procédure distincte et « sélectionnées » pour être versées au dossier ; qu'en déclarant Monsieur [H] [M] coupable d'association de malfaiteurs sur la base de pièces issues de procédures distinctes que la défense n'avait pu, du fait de ce versement parcellaire, utilement discuter, la cour d'appel a violé les principe d'impartialité et des droits de la défense résultant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article préliminaire code de procédure pénale. »

11. Le moyen proposé pour M. [B] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à supplément d'information et l'a déclaré coupable de participation à une association de malfaiteurs, alors « qu'une cour d'appel ne saurait fonder une déclaration de culpabilité sur des pièces issues d'une procédure distincte et « sélectionnées » pour être versées au dossier ; qu'en déclarant Monsieur [B] coupable d'association de malfaiteurs sur la base de pièces issues de procédures distinctes que la défense n'avait pu, du fait de ce versement parcellaire, utilement discuter, la cour d'appel a violé les principes d'impartialité et des droits de la défense résultant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article préliminaire code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

13. Les demandeurs soutiennent qu'une juridiction répressive ne peut, sans méconnaître les règles du procès équitable, fonder une condamnation sur des pièces extraites d'une procédure distincte, si elle a refusé son versement en totalité au dossier dont elle est saisie.

14. La Cour de cassation juge qu'aucune disposition de procédure pénale n'interdit aux juges de décider que soient annexés à une procédure pénale les éléments d'une autre procédure dont la production peut être de nature à les éclairer et à contribuer à la manifestation de la vérité, à la seule condition qu'une telle jonction ait un caractère contradictoire et que les pièces ou les procédures communiquées puissent être soumises à la discussion de toutes les parties (Crim., 16 mars 1981, pourvoi n° 80-95.343, Bull. crim. 1981, n° 91).

15. Elle juge également que l'opportunité d'ordonner un supplément d'information, notamment aux fins de versement au dossier de nouvelles pièces, relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (Crim., 13 mars 1997, pourvoi n° 96-81.081, Bull. crim. 1997, n° 197 ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-81.980, publié au Bulletin). Elle rappelle que le refus d'ordonner un supplément d'information doit être spécialement motivé et exerce son contrôle sur la suffisance de la motivation de la décision de rejet d'une telle demande (Crim., 25 avril 2006, pourvoi n° 05-87.318, Bull. crim. 2006, n° 111 ; Crim., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-81.743, Bull. crim. 2019, n° 88).

16. Ces règles ne méconnaissent aucun des principes de droit conventionnel ou de droit interne visés aux moyens, pour les motifs qui suivent.

17. La Cour européenne des droits de l'homme, sur le fondement de l'article 6 de la Convention, exige que l'accusation comme la défense puissent prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l'autre partie et soient en mesure de les discuter (CEDH, arrêt du 28 août 1991, Brandstetter c. Autriche, n° 11170/84, 12876/87, 13468/87).

18. Pour autant, elle juge que l'exigence d'équité du procès ne fait pas obligation à la juridiction de jugement d'ordonner une mesure d'instruction au seul motif que l'une des parties en a fait la demande, et que les juridictions sont libres, pourvu que la Convention soit respectée, de refuser d'ordonner une telle mesure (CEDH, arrêt du 26 juillet 2011, [N] et autres c. Azerbaïdjan, n° 35485/05, 35680/05, 36085/05).

19. Aucune décision de la Cour européenne des droits de l'homme ne censure le versement, au dossier d'une procédure, de pièces provenant d'une autre procédure, ni ne reconnaît le droit à la personne poursuivie d'obtenir le versement de la totalité de la procédure dont elles ont été extraites.



20. Par ailleurs, la Cour de cassation juge que, lorsque, dans le dossier de la procédure suivie contre elle, est versée depuis une autre procédure une pièce qui la concerne, la personne poursuivie peut, si elle a qualité pour agir, en demander l'annulation. Tel est le cas, par exemple, de transcriptions d'écoutes téléphoniques, de résultats d'une géolocalisation ou d'expertises provenant d'autres procédures (Crim., 16 février 2011, pourvoi n° 10-82.865, Bull. crim. 2011, n° 29 ; Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174).

21. Il résulte des motifs exprimés aux paragraphes 17 à 20 que la jurisprudence rappelée aux paragraphes 14 et 15 doit être maintenue.

22. En l'espèce, devant la cour d'appel, M. [B] a sollicité un supplément d'information, afin que soient produites, dans leur totalité, trois procédures d'information dont seules certaines pièces avaient été versées au dossier. Au soutien de sa demande, il a indiqué que ces pièces avaient conduit le juge d'instruction puis le tribunal à déduire l'existence d'un contexte criminogène venant étayer la déclaration de culpabilité en considérant que les faits poursuivis constituaient une action de représailles, cette appréciation n'étant fondée sur aucun élément objectif.

23. Pour rejeter cette demande, l'arrêt attaqué indique que les dossiers d'information dont la communication était demandée se rapportaient à deux tentatives de meurtre commises sur [V] [E] [I], les 14 janvier et 21 février 2016, et à l'homicide dont il a été victime, le 23 septembre 2017. Les juges retiennent que, pour chacune de ces procédures, les pièces nécessaires à la compréhension de leur contexte ont été transmises. Ils précisent que les pièces annexées, provenant de la procédure d'information n° 916/02, comprenaient non seulement le procès-verbal de synthèse initial mais également l'ensemble des auditions d'[V] [E] [I], lequel avait développé de manière complète les circonstances dans lesquelles s'inscrivaient les règlements de comptes et livré les noms de ses possibles agresseurs.

24. Les juges ajoutent que, selon une recherche opérée pendant le temps de l'audience, faite à la demande de la défense, et dont les résultats ont été communiqués pendant les débats, cette procédure a été clôturée par une ordonnance de non-lieu, sans que rien ne permette de confirmer ou d'infirmer la thèse avancée par [V] [E] [I]. Ils relèvent que le contexte ainsi parfaitement décrit par la victime elle-même était commun aux deux autres dossiers qui la concernent également et plus particulièrement à la procédure d'information n° 916/07, laquelle a également fait l'objet d'un non-lieu conformément à un réquisitoire définitif également annexé au dossier.

25. Ils constatent que la procédure d'information n° 916/003, relative à l'homicide d'[V] [E] [I], s'inscrivait dans le même contexte et qu'elle était toujours en cours, de sorte qu'une juridiction de jugement ne pourrait contraindre le juge d'instruction à communiquer des pièces toujours couvertes par le secret de l'instruction.

26. En l'état de ces motifs, dénués d'insuffisance et de contradiction, qui établissent que le supplément d'information sollicité n'aurait apporté aucun élément utile à la manifestation de la vérité et que la procédure, telle qu'elle était constituée, permettait un exercice des droits de la défense satisfaisant aux exigences du procès équitable, prévues par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale, la cour d'appel a justifié sa décision.

27. Les moyens sont, dès lors, écartés.

28. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze décembre deux mille vingt-deux.

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