13 décembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-82.189

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01556

Texte de la décision

N° R 22-82.189 F-D

N° 01556


SL2
13 DÉCEMBRE 2022


CASSATION SANS RENVOI


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 DÉCEMBRE 2022



M. [Y] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 24 janvier 2022, qui, pour injures publiques, l'a condamné à 5 000 euros d'amende.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, les observations de Me Carbonnier, avocat de M. [Y] [H], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.



Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [G] [E], Président de la République, a porté plainte du chef d'injure publique, en raison de deux affiches apposées dans des lieux publics, réalisées à l'aide d'un photomontage : une première affiche, apposée le 19 juillet 2021, le représente sous les traits d'Adolf Hitler, avec une petite moustache et une mèche sur le front, vêtu de l'uniforme nazi, accompagné du logo LREM sous forme de croix gammée et du texte suivant : « obéis ; fais-toi vacciner » ; le cadre de cette affiche porte, en bas à gauche, la mention « affichage satirique et parodique » et, en bas à droite, la mention « [H] » ; la seconde affiche, apposée le 12 août 2021, comporte deux portraits placés en miroir, celui de gauche représentant [R] [N] et celui de droite représentant M. [E] revêtu du même uniforme et coiffé du même képi que celui de [R] [N], sous l'intitulé « il n'y a qu'un pass à franchir ».

3. M. [Y] [H] a reconnu être à l'origine de ces deux affichages.

4. Les juges du premier degré ont déclaré celui-ci coupable du délit d'injure publique envers le président de la République et l'ont condamné à une amende de 10 000 euros.

5. M. [H] a relevé appel de cette décision et le ministère public appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] [H] coupable du délit d'injures envers le Président de la République, alors :

« 1°/ que la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et elle ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il faut considérer l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte dans lequel ceux-ci les ont tenus ; que la cour d'appel a elle-même relevé que « les affiches s'inscrivent clairement dans le débat d'intérêt général sur le passe vaccinal qui, contrairement à ce qu'indiquent les premiers juges, n'était pas clos par la seule décision du Conseil constitutionnel de l'été 2021 » (arrêt, p. 4, in fine) ;
qu'en décidant pourtant d'entrer en voie de condamnation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23 alinéa 1er, 30, 31, 33, et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et elle ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il faut considérer l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte dans lequel ceux-ci les ont tenus ; que M. [H] faisait valoir que les affiches visées par la prévention ouvraient un débat d'idée concernant M. [G] [E] en sa qualité de Président de la République, le contrôle de proportionnalité du message véhiculé devant être modulé au regard de ses fonctions politiques de premier plan, l'exposant inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens (conclusions d'appel de M. [H], p. 21 et 22) ;qu'en décidant cependant d'entrer en voie de condamnation, sans s'expliquer sur ce point, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23 alinéa 1er, 30, 31, 33, et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et elle ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il faut considérer l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte dans lequel ceux-ci les ont tenus ; que M. [H] faisait valoir que les affiches visées par la prévention étaient exposées sur des panneaux d'affichage « dédiés à la satire politique de plus de cinq ans » (conclusions d'appel de M. [H], p. 23 in medio) et qu'elles comportaient au surplus la mention explicite d'un « affichage satyrique et parodique » (ibidem) ; qu'en décidant cependant d'entrer en voie de condamnation, sans s'expliquer sur ce point, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23 alinéa 1er, 30, 31, 33, et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et elle ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il faut considérer l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte dans lequel ceux-ci les ont tenus ; que M. [H] faisait enfin valoir que les affiches visées par la prévention tendaient surtout, « à partir de l'altération de la réalité par le photomontage et/ou le dessin caricatural, à l'effet de provoquer le public par l'humour (souvent acide) et la dérision (souvent grinçante) » (conclusions d'appel de M. [H], p. 24) ; qu'en décidant cependant d'entrer en voie de condamnation, au seul motif que les affiches assimilent « l'actuel président de la république au plus haut dignitaire de l'Allemagne nazie, et au plus haut dignitaire du régime de Vichy » (arrêt, p. 4 in fine) sans mieux s'expliquer sur l'objectif caricatural des affiches, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23 alinéa 1er, 30, 31, 33, et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que les propos doivent être appréciés au regard des circonstances intrinsèques et extrinsèques, de nature à révéler leur véritable sens ; que M. [H] faisait enfin valoir qu'il convenait de rechercher le véritable sens des affiches visées par la prévention en les appréciant dans leur ensemble, et en examinant non seulement le photomontage, mais encore sa combinaison avec le slogan, et sa publication sur un support précisant lui-même qu'il s'agit d'un affichage « satyrique et parodique » (conclusions d'appel de M. [H], p. 10 à 12) ; qu'en décidant cependant d'entrer en voie de condamnation, au seul motif que les affiches assimilent « l'actuel président de la république au plus haut dignitaire de l'Allemagne nazie, et au plus haut dignitaire du régime de Vichy » (arrêt, p. 4, in fine) sans s'expliquer sur les éléments intrinsèques et extrinsèques entourant les photomontages, seuls de nature à pouvoir révéler le véritable sens des affiches visées par la prévention, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23 alinéa 1er, 30, 31, 33, et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme :

7. La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de ce texte.

8. Pour dire établi le délit d'injure publique, l'arrêt attaqué énonce notamment que l'assimilation de l'actuel président à une figure emblématique du nazisme et au dirigeant du régime de Vichy est une injure.

9. Les juges ajoutent que, si les affiches s'inscrivent clairement dans le débat d'intérêt général sur le passe vaccinal, le droit de recourir à la satire n'autorisait pas pour autant M. [H] à assimiler M. [E] au plus haut dignitaire de l'Allemagne nazie et au plus haut dignitaire du régime de Vichy.

10. Ils en déduisent que M. [H] a dépassé les limites de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.

11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé.

12. En premier lieu, les photomontages en cause, pour outrageants qu'ils fussent vis-à-vis de l'actuel Président de la République, se sont inscrits dans le débat d'intérêt général et la polémique qui s'est développée au sujet du passe vaccinal contre le virus du Covid.

13. En second lieu, l'auteur s'est placé sur un mode satirique résultant, pour la première affiche, de la mention « affichage satirique et parodique » et, pour la seconde, du jeu de mots « il n'y a qu'un pass à franchir », de sorte que les affiches incriminées n'ont pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression.

14. La cassation est par conséquent encourue.

15. Elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 24 janvier 2022 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize décembre deux mille vingt-deux.

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