13 décembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-87.435

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01462

Titres et sommaires

DROITS DE LA DEFENSE - Interdiction de transcription des correspondances entre un avocat et son client - Etendue - Détermination - Correspondances échangées entre l'avocat et les proches de son client - Interdiction de transcription - Limites

Il résulte des articles 6, § 3, et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 100-5 du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010, que l'interdiction de la transcription des correspondances entre un avocat et son client relevant de l'exercice des droits de la défense s'étend à celles échangées à ce sujet entre l'avocat et les proches de celui-ci. Il n'en va autrement que s'il apparaît que le contenu et la nature des échanges sont propres à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction. Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui retient que les conversations interceptées entre la compagne de la personne placée sous surveillance et des avocats qu'elle a successivement sollicités pour assurer la défense de son compagnon ne concernent pas la défense de celui-ci, aux motifs que, pour l'un, il n'a été donné aucune suite à cet échange et que, pour l'autre, la personne placée sous surveillance n'était pas son client à la date de la communication, alors que, en premier lieu, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen des pièces dont elle a le contrôle, que ces conversations relèvent de l'exercice des droits de la défense de l'intéressé, en second lieu, qu'il n'en résulte pas qu'elles soient de nature à faire présumer la participation de l'un ou l'autre des avocats à une infraction. En revanche, n'entre pas dans le champ d'interdiction de ces textes, la transcription des conversations interceptées avec les secrétariats des avocats sollicités

Texte de la décision

N° X 21-87.435 FS-B

N° 01462


ODVS
13 DÉCEMBRE 2022


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 DÉCEMBRE 2022



M. [E] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, en date du 7 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de torture et actes de barbarie aggravés et arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 31 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [E] [X], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mmes Labrousse, Ménotti, MM. Maziau, Seys, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre de l'information judiciaire ouverte des chefs susvisés, le juge d'instruction a prescrit l'interception des communications téléphoniques sur la ligne attribuée à Mme [F] [S], compagne de M. [E] [X], alors en fuite au Maroc.

3. Interpellé, celui-ci a été mis en examen, le 23 novembre 2020, des chefs précités.

4. Par requête déclarée le 3 mars 2021, il a formé une demande d'annulation de la transcription des conversations interceptées entre le 31 août et le 30 septembre 2020.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens


5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité de M. [E] [X] tendant à voir prononcer la nullité des procès-verbaux portant retranscription des conversations téléphoniques des 3 août, 16 et 30 septembre 2020, entre sa compagne Mme [F] [S], et les différents cabinets d'avocats, alors « qu'en vertu du principe de confidentialité des échanges entre l'avocat et son client, qui est à la fois absolu et d'ordre public, la retranscription des conversations échangées entre l'avocat et son client, ne peut être effectuée que s'il existe, au préalable, des indices plausibles de participation de l'avocat à une infraction ; que M. [X] faisait valoir (requête en nullité, p. 3 et s) que les quatre procès-verbaux portant retranscription des conversations téléphoniques des 3 août, 16 et 30 septembre 2020, entre sa compagne, Mme [F] [S], qui intervenait pour son compte comme intermédiaire et différents cabinets d'avocats, n'avaient révélé aucune participation desdits avocats à des infractions et qu'il s'en inférait la nullité de ces procès-verbaux de retranscription ainsi que de toute la procédure subséquente; qu'en refusant pourtant de prononcer une telle nullité, en subordonnant expressément l'applicabilité de cette garantie de confidentialité à la désignation officielle de l'avocat dans le cadre d'une procédure pénale, la chambre de l'instruction a ajouté une condition à la loi, en violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, préliminaire, 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur les conversations transcrites entre les secrétaires des avocats et Mme [S] (cotes D 395 et D 396)

7. Pour rejeter le moyen d'annulation pris de l'irrégularité de la transcription de deux conversations interceptées sur la ligne téléphonique de Mme [S], l'arrêt attaqué retient qu'elles ne concernent pas des échanges avec des avocats mais avec leur secrétariat et qu'elles n'entrent pas dans le champ de l'interdiction de la loi.

8. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des dispositions de l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale.

Mais sur les conversations transcrites entre les avocats et Mme [S] (cotes D 397 et D 401)

Vu les articles 6, § 3, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, 100-5 du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 :

9. Il résulte de ces textes que l'interdiction de la transcription des correspondances entre un avocat et son client, relevant de l'exercice des droits de la défense, s'étend à celles échangées à ce sujet entre l'avocat et les proches de celui-ci. Il n'en va autrement que s'il apparaît que le contenu et la nature des échanges sont propres à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction.

10. Pour rejeter le moyen d'annulation pris de l'irrégularité de la transcription de deux autres conversations interceptées sur la ligne téléphonique de Mme [S], entre celle-ci et des avocats, qu'elle a successivement sollicités afin que l'un d'eux assure la défense de son compagnon, M. [X], l'arrêt attaqué retient qu'elles ne concernent pas la défense de la personne placée sous surveillance.

11. Les juges constatent que, pour l'un, il n'a été donné aucune suite à cet échange et que, pour l'autre, M. [X] n'était pas encore son client à la date de la communication.

12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.

13. En premier lieu, il ressort des procès-verbaux de transcription de ces conversations, dont la Cour de cassation a le contrôle, qu'elles relèvent de l'exercice des droits de la défense de M. [X].

14. En second lieu, il ne résulte pas des conversations transcrites qu'elles sont de nature à faire présumer la participation de l'un ou l'autre des avocats à une infraction.

15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers, en date du 7 décembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à l'irrégularité de la transcription des deux communications entre Mme [S] et des avocats (cotes D 397 et D 401), toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize décembre deux mille vingt-deux.

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