7 décembre 2022
Cour d'appel de Rouen
RG n° 20/01061

Chambre Sociale

Texte de la décision

N° RG 20/01061 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IN4H





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE





ARRET DU 07 DECEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :



Jugement du POLE SOCIAL DU TGI DE ROUEN du 30 Avril 2019







APPELANTE :



URSSAF DE HAUTE NORMANDIE

[Adresse 2]

[Adresse 6]

[Localité 3]



représentée par Mme [H] [L] munie d'un pouvoir









INTIME :



Monsieur [T] [Z]

[Adresse 4]

[Localité 1]



représenté par Me Raphaëlle POIGNY, avocat au barreau de ROUEN





























COMPOSITION DE LA COUR  :



En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 02 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère





GREFFIER LORS DES DEBATS :



M. CABRELLI, Greffier





DEBATS :



A l'audience publique du 02 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Décembre 2022





ARRET :



CONTRADICTOIRE



Prononcé le 07 Décembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.




* * *



EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE



M. [T] [Z] était associé majoritaire de la SARL [5] créée le 1er juin 2015 et liquidée le 12 janvier 2016.



Le 9 juillet 2015, un contrôle inopiné de l'activité de l'entreprise a été opéré par les inspecteurs de l'Urssaf de Haute Normandie.



Par ailleurs, à la suite de l'interpellation, le 4 novembre 2015, d'un véhicule dans lequel se trouvaient MM [Y] et [M], la brigade de gendarmerie de [Localité 8] a dressé un procès-verbal de travail dissimulé, le 20 mars 2016, transmis à l'Urssaf.



Une lettre a été adressée à la société [5], portant redressement de cotisations et de contributions sociales, dont une copie a été notifiée le 6 juillet 2016 à M. [Z], en sa qualité de gérant pouvant être déclaré solidairement responsable du paiement des cotisations, contributions et sanctions pécuniaires.





Ce dernier a fait part de ses observations à l'URSSAF le 29 juillet 2016. Par courrier du 16 août, l'organisme a maintenu le redressement pour un montant de 9 340 euros pour l'année 2015.



Le 19 octobre 2016, une mise en demeure a été notifiée pour un montant de 13 916 euros, se décomposant comme suit :


cotisations : 9 340 euros,

majorations de redressement complémentaire : 3 736 euros,

majorations de retard : 840 euros.




M. [Z] a saisi la commission de recours amiable le 17 novembre 2016, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen, à défaut de réponse de celle-ci. La commission a, lors de sa séance du 8 mars 2017, rejeté la contestation et validé le redressement. M. [Z] a saisi le tribunal d'un second recours.



Par jugement du 30 avril 2019, le tribunal de grande instance de Rouen, devenu compétent pour statuer, a :


ordonné la jonction des procédures,

annulé le redressement du chef de travail dissimulé concernant MM [M] et [Y],

validé le redressement au titre du travail dissimulé de Mme [B],

déclaré M. [Z] solidaire de la société en qualité de gérant majoritaire,

condamné M. [Z] à payer la somme de 1 143 euros en cotisations, 457 euros en majorations pour travail dissimulé, outre les pénalités de retard.




L'Urssaf a interjeté un appel limité de ce jugement.



EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Par conclusions remises le 21 octobre 2021, soutenues oralement à l'audience, l'Urssaf demande à la cour de :


infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a annulé le redressement du chef de travail dissimulé concernant MM [M] et [Y],

confirmer le jugement pour le surplus,

confirmer le redressement opéré concernant MM [M] et [Y] pour un montant de 8 197 euros en cotisations et 3 279 en majorations de redressement complémentaire et 737 euros en majorations de retard,

condamner M. [Z] au paiement de ces sommes.




Elle fait valoir qu'à l'issue du contrôle, elle n'est pas tenue de joindre à la lettre d'observations le procès-verbal constatant le délit de travail dissimulé à l'origine du redressement, seule une juridiction pouvant lui enjoindre de procéder à ladite communication, compte tenu du secret de l'enquête et de l'instruction pendant le cours de la procédure pénale. Elle en déduit que le tribunal, s'il estimait que la production de cette pièce était nécessaire pour établir les faits délictueux, aurait dû lui enjoindre de la communiquer et non procéder à l'annulation du redressement.



Elle soutient qu'il ressort du procès-verbal de la gendarmerie que MM [Y] et [M] étaient en situation de travail puisqu'ils se rendaient chez un client pour livrer des pizzas et qu'à défaut de déclaration préalable à l'embauche, le travail dissimulé est constitué. Elle conteste l'existence d'une entraide à caractère bénévole de la part de ces personnes, alors que la présence de M. [Y] est indispensable au fonctionnement du commerce, les livraisons n'étant pas assurées par le gérant.



Par conclusions remises le 28 octobre 2022, soutenues oralement à l'audience, M. [Z] demande à la cour de :


confirmer le jugement,

condamner l'Urssaf en une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.




Sur le fondement des articles 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 9-1 du code civil, rappelant le principe de la présomption d'innocence, il soutient qu'il n'a pas eu connaissance d'une éventuelle procédure qui serait pendante devant le tribunal correctionnel et qu'aucune décision n'a été rendue à son encontre par une juridiction répressive. Il considère que l'URSSAF pouvait spontanément communiquer les pièces nécessaires pour établir les faits et, en faisant peser la charge de la preuve sur le tribunal, bafoue le principe de la présomption d'innocence.



Subsidiairement, sur le fond, dans l'hypothèse où la cour considérerait qu'il est coupable de travail dissimulé sans élément probant, il fait valoir que le jugement doit être confirmé en l'absence d'élément intentionnel concernant le défaut de déclaration préalable à l'embauche ou de délivrance de bulletins de salaire, expliquant que MM [Y] et [M] sont respectivement un cousin et un de ses amis et qu'ils ont été contrôlés alors qu'ils lui rendaient un service, le domicile du client se trouvant sur leur chemin.



Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens et argumentation.




MOTIVATION



1. Sur l'annulation du redressement du chef de travail dissimulé concernant MM [M] et [Y]



Lorsqu'il procède du constat d'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à cet emploi, ce dont il résulte qu'il n'est pas nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur.



Les développements sur le non-respect de la présomption d'innocence sont dès lors inopérants.



En application de l'article R. 133-8 du code de la sécurité sociale, applicable à la date du redressement, lorsqu'il ne résulte pas d'un contrôle effectué par l'Urssaf elle-même, tout redressement consécutif au constat d'un délit de travail dissimulé est porté à la connaissance de l'employeur par un document daté et signé par le directeur de l'organisme de recouvrement, qui rappelle les références du procès-verbal de travail dissimulé et précise la nature, le mode de calcul et le montant des redressements envisagés.



Ainsi, l'Urssaf n'a pas l'obligation de transmettre le procès-verbal dont la référence est indiquée, en l'espèce, dans la lettre de notification des redressements adressée à la société [5], que M. [Z] a reçue en copie.



C'est en conséquence à tort que le tribunal a annulé le redressement litigieux.

2. Sur le bien-fondé du redressement



L'entraide familiale, qui crée une présomption simple de non salariat, se caractérise par une aide ou une assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée, en dehors de toute rémunération et de toute contrainte. Cette présomption peut être renversée par la preuve contraire, qui consiste à démontrer que l'activité déployée excède les limites de l'entraide familiale, l'excès pouvant résulter de la participation à l'activité d'une entreprise qui ne peut fonctionner sans cette aide et qu'elle est accomplie dans un cadre faisant apparaître les conditions de la subordination juridique. Il appartient à l'Urssaf d'établir l'existence d'un lien de subordination.



Il ressort de la lettre de notification des redressements que le 4 novembre 2015, à 21h20, la brigade de gendarmerie de [Localité 8] a contrôlé MM [Y] et [M] qui circulaient dans un véhicule Volkswagen Passat en direction de [Localité 7] ; qu'ils ont déclaré donner « un coup de main au patron, Monsieur [Z] [T] » en livrant trois pizzas à un client ; qu'un procès-verbal de travail dissimulé a été dressé à l'encontre de la société [5] et de MM [Z] et [V], actionnaire majoritaire et gérant.



La lettre de notification récapitule les vérifications menées par l'Urssaf dont il ressort que :

- aucune déclaration préalable à l'embauche n'a été effectuée pour MM [Y] et [M],

- aucune déclaration sociale n'a été fournie pour l'emploi de personnel salarié au quatrième trimestre 2015,

- aucune déclaration sociale récapitulative n'a été fournie pour l'emploi de personnel salarié en 2015,

- en juillet 2015, le personnel était composé des deux associés, qui sont pizzaïolos et de Mme [B], qui est chargée de l'accueil de la clientèle et de la tenue de la caisse.



Dans sa décision, la commission de recours amiable reprend des éléments issus des auditions des intéressés par la gendarmerie, éléments qui ne sont pas combattus notamment par des attestations rédigées par ces personnes.



Il en ressort que :

- M. [Z], qui prétend que MM [Y] et [M] lui rendaient service parce que lui-même se trouvait dans les bouchons, a déclaré lors de son audition ne pas être titulaire du permis de conduire,

- M. [Y] a déclaré ne pas connaître la route, ce qui expliquait la présence de M. [M] dans le véhicule appartenant à M. [Z],

- M. [M] a déclaré que le véhicule de Mme [B] était parfois utilisé pour les livraisons,

- les pizzas sont confectionnées par les deux associés, M. [V] et M. [Z], ce dernier le faisant, selon M. [M], 'lorsque le patron est absent',

- le même jour à 22h30, les gendarmes ont constaté que MM [Y] et [M] étaient assis à l'entrée de l'établissement.



Il ressort de ces éléments que MM [Y] et [M] considèrent MM [Z] et [V] comme leur 'patron', que les livraisons ne sont pas assurées par les deux associés ou Mme [B] et que l'intervention d'autres personnes est nécessaire au fonctionnement du commerce, lequel ne se limite pas à assurer une restauration sur place.



Le redressement opéré concernant MM [Y] et [M] est dès lors confirmé.



3. Sur les frais du procès



M. [Z] qui perd le procès sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.



PAR CES MOTIFS



La cour,



Statuant publiquement, par décision contradictoire :



Infirme le jugement, en ses dispositions soumises à la cour ;



Statuant à nouveau et y ajoutant :



Rejette le recours de M. [Z] à l'encontre du redressement concernant MM [Y] et [M] ;



Le condamne à payer à l'Urssaf de Haute-Normandie les sommes de :

- 8197 euros en cotisations,

- 3279 euros en majoration de redressement complémentaire,

- 737 euros en majoration de retard ;



Condamne M. [Z] aux dépens de première instance et d'appel.



LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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