1 décembre 2022
Cour d'appel de Douai
RG n° 20/04446

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 01/12/2022





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N° de MINUTE :

N° RG 20/04446 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TIN7



Jugement (N° 19/00785)

rendu le 15 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Béthune







APPELANT



Monsieur [P] [E]

né le 06 juillet 1977 à [Localité 8]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 5]



représenté par Me Gautier Lacherie, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué





INTIMÉE



La SAS Square habitat nord de France

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Karl Vandamme, avocat au barreau de Lille, avocat constitué





DÉBATS à l'audience publique du 1er septembre 2022 tenue par Céline Miller magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ



Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller





ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022 après prorogation du délibéré en date du 03 novembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 07 juillet 2022



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Suivant contrat conclu le 9 mai 2018, M. [U] [M] a donné mandat à la SAS Square Habitat Nord de France de vendre un bien immobilier sis à [Localité 7], [Adresse 6], cadastré section AH numéro [Cadastre 3] moyennant le prix de 247 000 euros, les honoraires du mandataire étant fixés à 12 000 euros TTC à la charge du mandant.



Suivant acte sous seing privé du 28 août 2018 régularisé par l'entremise de Square habitat, M. [P] [E] s'est engagé à acquérir l'immeuble moyennant un prix de 230 000 euros, la commission à la charge du vendeur ayant été négociée à 10 000 euros.



Par courrier recommandé en date du 30 août 2018 réceptionné par M. [E] le 4 septembre, la société Square habitat lui a adressé le compromis de vente. Cependant, suivant courrier recommandé daté du 30 août 2018, l'acquéreur a exercé son droit de rétractation.



Par exploit d'huissier en date du 21 février 2019, la société Square Habitat Nord de France a assigné M. [P] [E] devant le tribunal de grande instance de Béthune sur le fondement des dispositions des articles L271-1 du code de la consommation et 1240 du code civil, aux fins de le voir condamner à titre principal à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice par elle subi.



Par jugement du 15 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Béthune a condamné M. [E] à payer à la société Square Habitat Nord de France la somme de 6 000 euros à titre de dommages intérêts, outre la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Vandamme et Maître Lacherie.



M. [E] a interjeté appel de cette décision et, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 juillet 2021, demande à la cour de l'infirmer en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de débouter la société Square Habitat Nord de France de l'intégralité de ses demandes, la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me [J] [K] et à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Il fait essentiellement valoir qu'il a valablement exercé son droit de rétractation dans le délai de dix jours à compter de la première présentation de la lettre recommandée contenant le compromis conclu entre les parties prévu à l'article L.271-1 du code de la construction et de l'habitation. Il ne conteste pas que le point de départ du délai est le lendemain du jour de réception de la lettre recommandée (soit le 5 septembre 2018), mais soutient que ce jour ne compte pas dans la computation du délai en application de l'article 640 du code de procédure civile, de sorte que le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a considéré que le délai avait commencé à courir le 5 septembre et donc que l'exercice du droit de rétractation le 15 septembre 2018 l'avait été hors délai.



Il ajoute que sa responsabilité ne peut être engagée sur le fondement de l'article 1240 du code civil, aucune faute délictuelle à l'égard de l'agent immobilier ne pouvant lui être reprochée dès lors qu'il a exercé son droit de rétractation en toute bonne foi et qu'il a considéré légitimement que le compromis de vente était caduc.



A titre subsidiaire et en réponse à l'appel incident de la société Square habitat sur le quantum des dommages et intérêts alloués en première instance, il souligne que cette société ne démontre pas son préjudice dès lors qu'elle ne verse aux débats aucun justificatif des prestations qu'elle aurait réalisées en vue de la vente de l'immeuble, pas plus que du fait que l'agent immobilier aurait mis un terme à la recherche des candidats acquéreurs. Il ajoute que celui-ci ne peut être rémunéré que pour les ventes réalisées et ne peut obtenir une quelconque rémunération au titre des visites effectuées et de la publicité mise en oeuvre.





Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 avril 2021, la SAS Square Habitat Nord de France demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts qui lui ont été alloués et, statuant à nouveau de ce chef, de condamner M. [P] [E] à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Karl Vandamme, avocat, et à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.



Elle fait essentiellement valoir que M. [E], qui a exercé son droit de rétractation par courrier recommandé expédié le 15 septembre 2018, était hors délai pour ce faire alors qu'il avait reçu le compromis de vente par courrier recommandé le 4 septembre 2018, que le délai de rétractation avait commencé à courir le lendemain, en application de l'article L271-1 du code de la construction et de l'habitation, pour expirer le 14 septembre suivant à minuit.



Elle ajoute qu'il a engagé sa responsabilité à son égard en refusant fautivement de poursuivre l'acquisition du bien, de sorte qu'il doit être condamné à l'indemniser de son entier préjudice, lequel correspond à la perte de ses honoraires fixés pour la vente, à savoir la somme de 10 000 euros, et ce alors qu'elle avait consacré du temps à cette affaire en accomplissant des prestations telles que la publicité du bien mis en vente, l'organisation des visites, la rédaction du compromis de vente et l'envoi de courriers aux parties à la vente. Elle ajoute que l'agent immobilier a, par ailleurs, mis un terme à toute recherche de candidat acquéreur.



Pour plus ample exposé des moyens des parties, il sera référé à leurs dernières conclusions écrites, par application de l'article 455 du code de procédure civile.












MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur l'exercice du droit de rétractation



Aux termes de l'article L271-1 du code de la construction et de l'habitation, pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte. Cet acte est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes. (...) Les actes mentionnés au présent article indiquent, de manière lisible et compréhensible, les informations relatives aux conditions et aux modalités d'exercice du droit de rétractation ou de réflexion.



L'article 640 du code de procédure civile dispose par ailleurs que lorsqu'un acte ou une formalité doit être accompli avant l'expiration d'un délai, celui-ci a pour origine la date de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir.



L'article 641 dudit code ajoute que lorsqu'un délai est exprimé en jours, celui de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas.



Enfin, l'article 642 précise que tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures et que le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant.



Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai prévu à l'article L271-1 susvisé commence à courir le lendemain de la première présentation de la lettre recommandée contenant le compromis de vente et qu'il expire le dixième jour à vingt-quatre heures à compter de cette date qui est incluse dans le calcul du délai.

En l'espèce, c'est à bon droit que le premier juge, ayant constaté que la société Square Habitat avait adressé le compromis de vente à M. [P] [E], en rappelant les dispositions de l'article L271-1 susvisé, suivant courrier recommandé du 30 août 2018 distribué le 4 septembre 2018, a considéré que le délai de rétractation avait commencé à courir le mercredi 5 septembre pour expirer le vendredi 14 septembre à vingt-quatre heures, de sorte que c'est hors délai que M. [E] avait exercé son droit de rétractation par courrier recommandé du 15 septembre 2018.



Sur la responsabilité délictuelle de M. [E] à l'égard de l'agent immobilier



Aux termes de l'article 1199 du code civil, le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l'exécution du contrat ni se voir contraints de l'exécuter.



L'article 1240 dudit code dispose cependant que tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.



En application de ces textes, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, le juge étant souverain dans son appréciation du préjudice subi.



En l'espèce, le compromis de vente signé par M. [M] et M. [E] le 28 août 2018 stipule qu'en 'application de la rubrique 'réalisation' ci-avant, il est convenu qu'au cas où l'une des parties viendrait à refuser de régulariser par acte authentique la présente vente dans le délai imparti, sauf à justifier de l'application d'une condition suspensive, elle pourra y être contrainte par tous les moyens et voies de droit en supportant les frais de poursuites et de recours à justice et sans préjudice de tous dommages et intérêts. Toutefois, la partie qui n'est pas en défaut pourra, à son choix, prendre acte du refus de son cocontractant et invoquer la caducité du contrat, sans préjudice de tous dommages et intérêts. Dans l'un et l'autre cas, il est expressément convenu que la partie qui n'est pas en défaut percevra à titre d'indemnisation forfaitaire de son préjudice une somme correspondant à 10% du prix de vente. De plus, dans l'une et l'autre éventualité, la rémunération du mandataire restera due intégralement, dans les conditions de forme prévues à la rubrique 'honoraires de négociation', l'opération étant définitivement conclue ( art. 74 décret 72-678 du 20 juillet 1972).'



Cet acte précise en outre que 'les parties reconnaissent formellement que la société Square habitat les a mis en présence et a rédigé les termes, prix et conditions des présentes. En conséquence, en vertu du mandat n° 46515, mettant la commission à la charge du vendeur, ce dernier s'engage formellement à payer à la SAS Square habitat Nord de France, la somme de 10 000 euros TTC, à titre d'honoraires de négociation, si la vente se réalise, et ce le jour même de la signature de l'acte authentique de vente.'



Il résulte de ce qui précède que la rémunération de l'agent immobilier était conditionnée à la réalisation de la vente.



Or, dès lors que M. [E] a exercé son droit de rétractation en dehors du délai légal, c'est de manière fautive qu'il a refusé de réitérer la vente. Il engage donc sa responsabilité délictuelle à l'égard de l'agent immobilier, tiers au compromis de vente, pour la perte par celui-ci de sa rémunération en raison de la non-réitération fautive de la vente.



Cependant, c'est à juste titre que le premier juge a rappelé qu'il lui appartenait d'apprécier souverainement le quantum des dommages et intérêts alloués et ce sans être lié par la rémunération fixée dans le compromis auquel l'agence Square immobilier n'était pas partie.



M. [E], en signant le compromis de vente, a reconnu qu'il avait été mis en relation avec le vendeur par l'intermédiaire de l'agence Square immobilier qui a par ailleurs rédigé les termes, prix et conditions dudit compromis. Cette mise en relation implique nécessairement la mise en oeuvre préalable par l'agent d'une évaluation de l'immeuble, la rédaction d'une annonce de mise en vente et la publicité de celle-ci. Cependant, s'il est possible que plusieurs visites aient été organisées par l'agence pour la mise en vente de l'immeuble, il n'en est pas justifié, de même qu'il n'est pas justifié par l'agence qu'elle ait ensuite interrompu la commercialisation du bien, perdant ainsi tout espoir de rémunération.



Compte tenu de ce qui précède, la cour estime justifié de réformer la décision entreprise en ce qui concerne l'évaluation du préjudice subi par Square habitat du fait de la faute de M. [E], ce préjudice pouvant être fixé à la somme de 3 500 euros.



Sur les demandes accessoires



Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.



M. [E] succombant en cause d'appel sera condamné aux entiers dépens d'appel et au paiement de la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la partie adverse en cause d'appel. Il sera également débouté de sa demande à ce titre.



PAR CES MOTIFS



La cour



Infirme la décision entreprise, sauf en ses dispositions relatives au sort des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile,



Statuant à nouveau,



Condamne M. [P] [E] à payer à la société SAS Square Habitat Nord de France la somme de 3 500 euros à titre de dommages et intérêts,



Condamne M. [P] [E] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Karl Vandamme, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à la SAS Square Habitat Nord de France la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



Le déboute de ses demandes à ce titre.







Le greffier







Delphine Verhaeghe







Le président







Bruno Poupet

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