7 décembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-80.743

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01437

Titres et sommaires

SAISIES - Saisies spéciales - Saisie immobilière - Immeublé grevé d'une clausse d'accroissement - Etendue de la saisie

Les droits concurrents sur un immeuble grevé d'une clause de tontine, dont est titulaire la personne mise en cause, constituent un bien dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal. La saisie de ce bien, qui n'en suspend ni l'usage, ni le droit d'en percevoir les fruits, s'étend nécessairement à la totalité de l'immeuble en application de l'article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale. La confiscation encourue des droits concurrents du condamné ne porte pas atteinte aux droits du coacquéreur du bien grevé de la clause de tontine, dès lors que ce dernier demeure titulaire de ses propres droits, la condition de survie continuant à devoir être appréciée en la personne des coacquéreurs. Le bien est en revanche confiscable dans sa totalité dans le cas où il est à la libre disposition du condamné, le coacquéreur n'étant pas de bonne foi

Texte de la décision

N° Y 21-80.743 FS-B

N° 01437


RB5
7 DÉCEMBRE 2022


REJET


M. BONNAL président,






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 DÉCEMBRE 2022


Mme [K] [O] et M. [B] [U] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 3 décembre 2020, qui, dans la procédure suivie contre eux des chefs de travail dissimulé et publicité tendant à favoriser le travail dissimulé, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un avis en date du 15 juin 2022 (pourvoi n° U 22-70.002).

Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [K] [O] et de M. [B] [U], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, MM. d'Huy, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, M. Salomon, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. La société [7], ayant pour activité la gestion d'animatrices de lignes téléphoniques surtaxées pour adultes, et sa gérante, Mme [K] [O], ont été mises en cause pour des faits de travail dissimulé et de publicité tendant à favoriser le travail dissimulé, comme étant suspectées d'avoir recours à de faux travailleurs indépendants.

3. L'enquête a par ailleurs mis en cause M. [B] [U], lié à Mme [O] par un pacte civil de solidarité, en sa qualité d'auto-entrepreneur sous-traitant de la société [7].

4. Au cours de l'enquête, par ordonnance du 24 mai 2019, le juge des libertés et de la détention a ordonné notamment la saisie de plusieurs immeubles acquis par Mme [O] et M. [U] avec une clause de tontine.

5. Le 4 juin 2019, Mme [O] et M. [U] ont interjeté appel de l'ordonnance de saisie immobilière.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la saisie pénale des biens immobiliers suivants : une maison d'habitation et une parcelle de jardin situées au lieu-dit [Localité 8] à [Localité 9], sur des parcelles cadastrées section F n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], acquises par Mme [O] et M. [U] par acte des 1er et 13 septembre 2010, et trois parcelles de terrain, dont une avec gîte et piscine, et une maison d'habitation situées au lieu-dit [Localité 8] à [Localité 9], sur des parcelles cadastrées section F n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6], acquises par Mme [O] et M. [U] par acte du 23 octobre 2013, alors :

« 1°/ que la saisie en valeur ne peut être ordonnée que sur les biens appartenant à la personne visée par une enquête ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elle a la libre disposition ; que les acquéreurs d'un immeuble grevé d'une clause de tontine aux termes de laquelle celui-ci appartiendra en totalité au survivant d'entre eux, ne sont pas titulaires d'un droit privatif de propriété sur le bien ou partie de ce bien tant que la condition suspensive de survie n'est pas réalisée ; qu'en retenant que les biens immobiliers situés au lieu-dit [Localité 8] à [Localité 9] peuvent être saisis dès lors que Mme [O] en est propriétaire, après avoir pourtant constaté que Mme [O] et M. [U] ont acquis ensemble ces biens immobiliers avec une clause de tontine, la chambre de l'instruction a méconnu les règles régissant la clause de tontine, l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal et les articles 706-141-1, 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en retenant tout à la fois que Mme [O] est propriétaire des biens situés au lieu-dit [Localité 8] à [Localité 9] et qu'il résulte de la clause de tontine figurant aux contrats de vente conclus par Mme [O] et M. [U] en 2010 et 2013 que le premier mourant d'eux sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la propriété des immeubles acquis, laquelle sera censée avoir toujours reposé sur la tête du survivant, et que jusqu'au décès du premier mourant, chaque acquéreur sera propriétaire indivis sous condition résolutoire de son prédécès et est propriétaire privatif exclusif sous condition de sa survie, la chambre de l'instruction, qui s'est contredite, a méconnu l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal et les articles 593, 706-141-1, 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en retenant que M. [U] n'établit pas que la saisie contestée porte gravement atteinte à son droit de propriété, après avoir pourtant constaté qu'il a acquis les biens immobiliers saisis avec Mme [O] avec une clause tontine en vertu de laquelle le premier mourant d'eux sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la propriété des immeubles acquis, laquelle sera censée avoir toujours reposé sur la tête du survivant, la chambre de l'instruction, qui s'est contredite, a méconnu l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal et les articles 593, 706-141-1, 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour confirmer la saisie, l'arrêt relève notamment que l'acquisition des biens par Mme [O] et M. [U] avec clause de tontine ne fait pas obstacle à la saisie en totalité des biens, laquelle ne suspend ni l'usage des biens ni le droit d'en percevoir les fruits.


9. Les juges ajoutent, en réponse au moyen de M. [U] pris de ce que la saisie des immeubles porterait atteinte à son droit de propriété en ce qu'il n'est pas coïndivisaire des biens mais cocontractant à un pacte tontinier, que l'intéressé ne précise pas en quoi la saisie pénale de ces biens, dont Mme [O] est propriétaire au même titre que lui, constitue une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, en l'absence de transfert de propriété et avec maintien de la jouissance de ces biens.

10. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

11. En effet, c'est à tort que les juges énoncent que Mme [O] est propriétaire des immeubles saisis, alors que les acquéreurs d'un immeuble grevé d'une clause de tontine aux termes de laquelle celui-ci appartiendra en totalité au survivant d'entre eux, ne sont pas titulaires d'un droit privatif de propriété sur le bien ou partie de ce bien tant que la condition suspensive de survie n'est pas réalisée.

12. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que les droits concurrents sur un immeuble grevé d'une telle clause, dont est titulaire la personne mise en cause, constituent un bien dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal et dont la saisie, qui ne suspend ni l'usage du bien ni le droit d'en percevoir les fruits, s'étend nécessairement à la totalité de l'immeuble en application de l'article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale.

13. La confiscation encourue des droits concurrents du condamné ne porte pas atteinte aux droits du coacquéreur du bien grevé de la clause de tontine, dès lors que ce dernier demeure titulaire de ses propres droits, la condition de survie continuant à devoir être appréciée en la personne des coacquéreurs.

14. Le bien est en revanche confiscable dans sa totalité dans le cas où il est à la libre disposition du condamné, le coacquéreur n'étant pas de bonne foi.

15. Dès lors, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept décembre deux mille vingt-deux.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.