7 décembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-23.103

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C300846

Titres et sommaires

BAIL COMMERCIAL - Statut des baux commerciaux - Clause réputée non écrite - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Demande en requalification d'un contrat en bail commercial

L'article L. 145-15 du code de commerce, réputant non écrites certaines clauses d'un bail commercial, n'est pas applicable à une demande en requalification d'un contrat en bail commercial

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 décembre 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 846 FS-B

Pourvoi n° W 21-23.103



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022

La société Valbanet, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 21-23.103 contre l'arrêt rendu le 29 juillet 2021 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société l'Immobilière européenne des Mousquetaires, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Altis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Hypermarchés des deux mers,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. David, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Valbanet, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société l'Immobilière européenne des Mousquetaires, de la société Altis, et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. David, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 29 juillet 2021) et les productions, le 16 juillet 2009, la société Hypermarché des deux mers, aux droits de laquelle est venue la société l'Immobilière européenne des mousquetaires (la bailleresse), a, pour une durée de sept années, donné en location à la société Valbanet (la locataire) un terrain nu supportant une station de lavage décrite comme entièrement démontable.

2. Le 24 novembre 2015, la bailleresse a donné congé à la locataire pour le 30 juin 2016 puis, le 27 juin 2017, l'a assignée en expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation.

3. A titre reconventionnel, la locataire, se prévalant du caractère non-écrit de la durée du contrat, a, le 12 décembre 2018, sollicité l'annulation du congé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches, ci-après annexé


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de déclarer prescrites ses demandes, alors « que l'article L. 145-15 du code de commerce, tel qu'issu de la loi du 18 juin 2014, qui a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours, quelle que soit la date de leur conclusion, l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n'étant pas soumise à prescription ; qu'en l'espèce, en réponse au congé délivré par le bailleur le 24 novembre 2015, l'exposante se prévalait de l'inopposabilité de la clause fixant à sept ans la durée du bail et empêchant tout droit au renouvellement, invoquant l'application du nouvel article L. 145-15 du code de commerce, disposition qui se trouvait applicable au bail considéré qui était en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, intervenue le 20 juin 2014, pour avoir été conclu le 16 juillet 2009 ; qu'en retenant toutefois que l'article L. 145-15 nouveau ne pouvait s'appliquer au bail conclu le 16 juillet 2009, dès lors qu'il aurait pour effet de faire revivre un droit éteint par la prescription depuis le 16 juillet 2011, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 145-15 du code de commerce, tel qu'issu de la loi du 18 juin 2014. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que l'article L. 145-15 du code de commerce réputant non écrites certaines clauses d'un bail, n'est pas applicable à une demande en requalification d'un contrat en bail commercial.

7. Elle a exactement retenu que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Valbanet aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Valbanet et la condamne à payer à la société l'Immobilière européenne des Mousquetaires la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Valbanet

La société Valbanet fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR déclaré prescrites toutes les demandes de la Sarl Valbanet, D'AVOIR, dit et jugé que la Sarl Valbanet est occupante sans droit ni titre de la parcelle de terrain d'une superficie d'environ 500 m2 dépendants du lot numéro 15 d'un ensemble immobilier situé à [Adresse 2], D'AVOIR, en conséquence, dit que la Sarl Valbanet, ainsi que tous occupants de son chef, devra délaisser et rendre libres les lieux occupés dans le délai de 2 mois à compter de la signification du présent arrêt, D'AVOIR dit qu'à défaut de ce faire, à l'issue du délai accordé, la Sarl Valbanet et tous occupants de son chef pourra y être contrainte par toutes voies de droit, au besoin avec le concours de la force publique, D'AVOIR fixé le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du ler juillet 2016 au montant du dernier loyer annuel, D'AVOIR condamné la Sarl Valbanet à payer à la SA L'Immobilière Européenne Des Mousquetaires le montant de l'indemnité d'occupation ainsi fixée à compter du 1er janvier 2020 jusqu'à la libération effective des lieux,

1°/ ALORS QUE l'article L. 145-15 du code de commerce, tel qu'issu de la loi du 18 juin 2014, qui a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours, quelle que soit la date de leur conclusion, l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n'étant pas soumise à prescription ; qu'en l'espèce, en réponse au congé délivré par le bailleur le 24 novembre 2015, l'exposante se prévalait de l'inopposabilité de la clause fixant à 7 ans la durée du bail et empêchant tout droit au renouvellement, invoquant l'application du nouvel article L. 145-15 du code de commerce, disposition qui se trouvait applicable au bail considéré qui était en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, intervenue le 20 juin 2014, pour avoir été conclu le 16 juillet 2009 ; qu'en retenant toutefois que l'article L. 145-15 nouveau ne pouvait s'appliquer au bail conclu le 16 juillet 2009, dès lors qu'il aurait pour effet de faire revivre un droit éteint par la prescription depuis le 16 juillet 2011, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 145-15 du code de commerce, tel qu'issu de la loi du 18 juin 2014.

2°/ ALORS QUE, à tout le moins, si l'action en requalification d'un contrat en bail commercial se prescrit par deux ans à compter de la conclusion de l'acte, il en va différemment de l'action en nullité d'un congé, laquelle ne tend pas à la requalification du bail et ne saurait être prescrite avant même la notification du congé litigieux ; qu'en l'espèce, pour faire échec à l'action en résiliation et en expulsion diligentée par le bailleur, le locataire avait invoqué la nullité de clause faisant échec au droit au renouvellement et se prévalait encore de la nullité du congé délivré le 24 novembre 2015, nullité qui ne pouvait être prescrite avant même la notification de ce congé ; qu'en jugeant toutefois que l'action exercée par l'exposante constituait une action en requalification en bail commercial soumise à la prescription commerciale et avait nécessairement pour point de départ le 16 juillet 2009, date de conclusion du contrat litigieux, quand le congé n'avait pas même été adressé au locataire à cette date, la cour d'appel a violé l'article L. 145-60 du code de commerce, pris ensemble les articles 2224 du code civil et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3°/ ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, l'exposante n'avait formé aucune action en requalification du contrat en bail commercial et se bornait à opposer à l'action en résiliation et en expulsion diligentée par le bailleur l'inopposabilité de la clause fixant à sept ans la durée du bail ainsi que la nullité du congé délivré par le bailleur le 24 novembre 2015 en application de cette clause (concl. d'appel, p. 24) ; qu'en jugeant que le moyen de défense soulevé par le locataire constituait une « action en requalification en bail commercial », la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Valbanet en violation de l'article 4 du code de procédure civile.

4°/ ALORS QUE l'article 1185 du code civil, tel qu'il est issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, n'est pas applicable à un contrat conclu avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le contrat litigieux avait été conclu le 16 juillet 2009, en sorte qu'il devait être soumis au droit antérieur à l'ordonnance du 10 février 2016 ; qu'en jugeant néanmoins qu'en application de l'article 1185 du code civil, tel qu'issu de l'ordonnance du 10 février 2016, l'exception de nullité invoquée par l'exposante se trouvait prescrite, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application, ensemble l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

5°/ ALORS QUE, à titre subsidiaire, la fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions exercées au titre d'un bail commercial ; qu'en l'espèce, l'exposante faisait valoir que le bail rédigé par le bailleur entretenait, à dessein, l'apparence d'une situation de droit erronée, puisqu'il excluait expressément l'application du statut des baux commerciaux alors que le bailleur savait parfaitement qu'il y avait sur les terrains des aménagements constituant des constructions, lesquels avaient donné lieu à permis de construire et que le bailleur avait lui-même autorisés (concl. d'appel, p. 15-18), en sorte que les clauses du bail avaient pour seul objet de contourner les règles impératives du statut des baux commerciaux, ce qui constituait une fraude interdisant au bailleur de se prévaloir de la prescription biennale ; qu'en jugeant que la fraude devait être caractérisée par des « moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement du locataire », lesquels n'étaient pas établis, quand les conditions de la fraude sont pas celles du dol et ne supposent pas d'établir un vice du consentement du locataire, la cour d'appel a violé les articles 1116 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 145-60 du commerce, par fausse application, ensemble le principe selon lequel la fraude corrompt tout.
Le greffier de chambre

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