29 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-86.216

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01386

Titres et sommaires

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE - code de procédure pénale - article 695-23 - remise d'un individu à un etat étranger - règle de la double incrimination - irrecevabilité

Texte de la décision

N° B 20-86.216 F- B

N° 01386




29 NOVEMBRE 2022

GM





NON LIEU À RENVOI







M. BONNAL président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 NOVEMBRE 2022



M. [W] [E] a présenté, par mémoire spécial reçu le 8 septembre 2022, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion des pourvois formé par lui et le procureur général près la cour d'appel d'Angers contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 4 novembre 2020, qui a refusé sa remise aux autorités judiciaires italiennes en exécution d'un mandat d'arrêt européen pour une partie des faits et ordonné, pour le surplus, un supplément d'information.

Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [W] [E], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mmes Ménotti, Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.



1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« Les dispositions de l'article 695-23 du code de procédure pénale méconnaissent-elles le principe fondamental reconnu par les lois de la République en vertu duquel la remise d'un individu à un Etat étranger pour les besoins de la coopération internationale en matière pénale ne peut avoir lieu que dans le respect de la règle de la double incrimination, ainsi que le droit à la sûreté et le principe de la garantie des droits prévus par les articles 7 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont découle cette exigence d'une double d'incrimination, en ce qu'elles prévoient, en application de l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne du 14 juillet 2022 (aff. C-168/21) et alors que le principe précité d'exigence de double incrimination est inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, que l'exécution d'un mandat d'arrêt européen ne peut être refusée même lorsque l'infraction visée par ce mandat nécessite pour être constituée que les faits portent atteinte à un intérêt juridique protégé qui n'est pas un élément constitutif de l'infraction figurant au sein de la législation française susceptible d'être appliquée auxdits faits, à l'instar d'un mandat d'arrêt émis pour l'exécution d'une condamnation à une peine de dix ans d'emprisonnement au titre du délit de dévastation et pillage prévu par la législation italienne pour des faits supposant une atteinte à la paix publique, élément constitutif qui n'est pas exigé pour l'infraction de vol avec destruction, dégradation ou détérioration seule applicable, au sein de la législation française, aux faits ayant donné lieu à cette condamnation ? ».

2. Il résulte des dispositions de l'article 574-2, alinéa 2, du code de procédure pénale que le mémoire exposant les moyens de cassation contre un arrêt de chambre de l'instruction statuant en matière de mandat d'arrêt européen doit être déposé dans le délai de cinq jours à compter de la réception du dossier à la Cour de cassation. En application de l'alinéa 3 de ce même texte, après l'expiration de ce délai, aucun moyen nouveau ne peut être soulevé par le demandeur et il ne peut plus être déposé de mémoire. Il en va de même du mémoire distinct et motivé soulevant la question prioritaire de constitutionnalité prévu par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

3. Il s'ensuit que lorsque la question prioritaire de constitutionnalité est soulevée dans un mémoire additionnel déposé postérieurement au délai susvisé, elle est en principe irrecevable, sauf à ce que le mémoire la soulevant ne contienne des éléments dont la méconnaissance aurait mis le demandeur dans l'impossibilité de soulever ladite question dans le délai ci-dessus exposé.

4. Tel est le cas en l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la condition de double incrimination, posée à l'article 695-23 du code de procédure pénale, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt en date du 14 juillet 2022, rendu sur question préjudicielle de la Cour de cassation dans le présent pourvoi (CJUE, arrêt du 14 juillet 2022, [W] [E], C-168/21).

5. Il s'en déduit que ladite question est, dès lors, recevable.

6. La disposition législative contestée, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France ne peut être invoqué pour contester la conformité à la Constitution de dispositions législatives transposant la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009.

8. En effet, le Conseil constitutionnel énonce que, par les dispositions particulières de l'article 88-2 de la Constitution, le constituant a entendu lever les obstacles constitutionnels s'opposant à l'adoption des dispositions législatives relatives au mandat d'arrêt européen découlant nécessairement des actes pris par les institutions de l'Union européenne. Par suite, saisi de telles dispositions, il lui appartient de contrôler la conformité à la Constitution des seules dispositions législatives qui procèdent de l'exercice, par le législateur, de la marge d'appréciation que prévoit l'article 34 du Traité sur l'Union européenne, dans sa rédaction alors applicable (Cons. const., 22 avril 2022, décision n° 2022-989 QPC).

9. Selon l'article 695-23, alinéa 1er, du code de procédure pénale, dans sa version critiquée, l'exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée si le fait faisant l'objet dudit mandat d'arrêt ne constitue pas une infraction au regard de la loi française.

10. Ces dispositions transposent en droit français les articles 2, paragraphe 4, et l'article 4, point 1, de la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen.

11. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur l'interprétation de la notion de « double incrimination » par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt précité du 14 juillet 2022.

12. Dans cet arrêt, la CJUE a dit pour droit que les articles 2, paragraphe 4, et 4, point 1, précités de la décision cadre 2002/584/JAI doivent être interprétés en ce sens que la condition de la double incrimination du fait, prévue à ces dispositions, est satisfaite dans la situation où un mandat d'arrêt européen est émis aux fins de l'exécution d'une peine privative de liberté prononcée pour des faits qui relèvent, dans l'État membre d'émission, d'une infraction nécessitant que ces faits portent atteinte à un intérêt juridique protégé dans cet État membre, lorsque de tels faits font également l'objet d'une infraction pénale au regard du droit de l'État membre d'exécution pour laquelle l'atteinte à cet intérêt juridique protégé n'est pas un élément constitutif.

13. Il s'en déduit que les dispositions de l'article 695-23 du code de procédure pénale, en ce qu'elles posent la condition de double incrimination dont l'interprétation résulte nécessairement de l'arrêt précité, ne procèdent pas de l'exercice par le législateur de la marge d'appréciation que prévoit l'article 34 du Traité sur l'Union européenne dans sa rédaction alors applicable.

14. Dès lors, le Conseil constitutionnel s'interdisant de contrôler la conformité à la Constitution des dispositions législatives relatives au mandat d'arrêt européen qui ne mettent pas en oeuvre la marge d'appréciation précitée, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du vingt-neuf novembre deux mille vingt-deux.

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