24 novembre 2022
Cour d'appel de Pau
RG n° 21/03927

2ème CH - Section 1

Texte de la décision

MM/ND



Numéro 22/4177





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1







ARRET DU 24/11/2022







Dossier : N° RG 21/03927 - N° Portalis DBVV-V-B7F-IBX4





Nature affaire :



Demande en cessation de concurrence déloyale ou illicite et/ou en dommages et intérêts















Affaire :



S.A.R.L. BEARN PESAGE SERVICES

S.A.R.L. GROUPE [P]





C/



S.A.R.L. [Y]

























Grosse délivrée le :

à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 24 novembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.







* * * * *







APRES DÉBATS



à l'audience publique tenue le 26 Septembre 2022, devant :



Monsieur Marc MAGNON, magistrat chargé du rapport,



assisté de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l'appel des causes,





Marc MAGNON, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :



Monsieur Marc MAGNON, Conseiller faisant fonction de Président

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

Madame Joëlle GUIROY, Conseillère







qui en ont délibéré conformément à la loi.

























dans l'affaire opposant :









APPELANTES :



S.A.R.L. BEARN PESAGE SERVICES

immatriculée au RCS de Pau sous le n° 893 712 661, prise en la personne de son gérant en exercice

[Adresse 8]

[Localité 6]



S.A.R.L. GROUPE [P]

immatriculée au RCS de Pau sous le n° 895 281 384, prise en la personne de son gérant en exercice

[Adresse 1]

[Localité 7]



Représentées par Me Jean Philippe LABES de la SELARL ABL ASSOCIES, avocat au barreau de PAU









INTIMEE :



S.A.R.L. [Y]

immatriculée au RCS de Pau sous le n° 351 726 492, représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représentée par Me Sophie CREPIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU

Assistée de Mes Thierry SCHWARZMANN et Lydie BAUD (SCP ORSAY AVOCATS ASSOCIÉS), avocats au barreau de PARIS























sur appel de la décision

en date du 23 NOVEMBRE 2021

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE PAU






EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :



La société SARL [Y] est à l'origine une société familiale constituée par la famille [Y] à laquelle a succédé la famille [U], puis le groupe [U]. Elle a pour activité la réparation d'appareils de pesage et compteurs, la commercialisation d'instruments de pesage, la fabrication d'enceintes, de portes blindées et de compartiments pour chambres fortes, l'achat et la revente de coffres-forts, le dépannage, la mise en place de coffres-forts et automates bancaires, la fabrication et la pose de volets roulants.



Du 14 avril 2014 au 14 février 2020, elle a été gérée par [X] [U]. Le 7 novembre 2016, à l'occasion d'une augmentation de capital, l'EURL [M] est entrée au capital de la société [Y] à hauteur de 20%, son gérant, [G] [M], exerçant jusque là des fonctions de responsable du service après-vente de la SARL [Y] depuis le 1er août 2008.



Le 14 février 2020, [G] [M] a été nommé gérant de la société [Y] en remplacement de [X] [U], à l'issue d'une augmentation de capital aux termes de laquelle le Groupe [M] se retrouvait détenir 501 parts sociales constituant 80,16 % du capital de la société [Y] et la société Groupe [U] 124 parts sociales représentant 19,84 % du capital social restant.



Le 22 juin 2020, le groupe [M] a fait l'acquisition de la société dénommée Hepha Pesage, dans le but de renforcer sa compétitivité dans l'activité de pesage et de compléter son offre commerciale à destination des centrales à béton.



A partir du mois de février 2021, la société Hepha Pesage a enregistré le départ successif de 6 de ses salariés, dont celui de [V] [S], responsable technico-commercial au sein de l'entreprise [Y] pendant près de 20 ans et qui, depuis juillet 2020, poursuivait ses fonctions au sein d'Hepha Pesage.



Elle apprenait que les salariés démissionnaires avaient rejoint les sociétés concurrentes Béarn Pesage Services et/ou Groupe [P], créées par [C] [P], qui avait lui-même travaillé au sein de la SARL [Y] du 18 mars 2014 au 31 août 2018.



La SARL [Y] qui occupait et exploitait des locaux donnés à bail commercial situés [Adresse 4] et [Adresse 3] a donné congé à son bailleur, la SARL [X] détenue par [X] [U], le 29 décembre 2020, pour un départ des locaux à la date du 30 juin 2021.



Ayant appris que la SARL [X] entendait relouer les locaux à la société Béarn Pesage Services et avait autorisé le nouveau preneur à prendre possession des locaux du [Adresse 3], dès le 16 mars 2021, avant l'échéance du 30 juin 2021, la SARL [Y] mandatait un huissier de justice afin de faire constater le changement de serrures.



La société [Y] apprenait également le détournement, au profit de Béarn Pesage Services, d'un prospect démarché par [V] [S] en 2019, pour le compte de la SARL [Y], la société SAS Methajoos.



Soupçonnant des actes de concurrence déloyale, par débauchage de personnel et clientèle, et parasitisme, la société [Y] a, par requête en date du 11 juin 2021 saisi le président du tribunal de commerce de Pau pour qu'il désigne un huissier et l'autorise à pénétrer dans les locaux de la société Béarn Pesage Services et ceux de la société Groupe [P], accompagné d'un expert informatique, aux fins de constatations et appréhension de documents en raison des indices concordants de nature à soupçonner l'existence d'actes de concurrence déloyale, afin de conserver ou établir la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, avant même tout procès.



Par ordonnance du 21 juin 2021, le Président du tribunal de commerce a fait droit à cette requête et désigné Maître [J], huissier de justice, pour procéder aux mesures d'investigation sollicités, notamment aux fins de se faire communiquer toutes correspondances échangées entre le 21 janvier 2021, pour la société Béarn Pesage Services, le 18 mars 2021, pour la société Groupe [P], et la date du constat, entre [V] [S] , [C] [P] et [X] [U] , la recherche étant autorisée à l'aide de mots clefs tels que [Y] et Fichier Clients, ou clients, prospects, ou devis, outre une liste de noms correspondant à des clients ou prospects de la société [Y] ; et autorisé à se faire assister par tout expert informatique de son choix avec notamment pour mission de relever tous les écrits :



L'huissier désigné a été nommé séquestre des pièces et éléments recueillis jusqu'à ordonnance de référé décidant de la mainlevée du séquestre



Le 6 juillet 2021, Maître [J] a procédé aux mesures d'investigation demandées et dressé procès-verbaux de ses opérations.



Par assignation en date du 27 juillet 2021, la société Béarn Pesage Services et la société Groupe [P] ont assigné en référé-rétractation la société SARL [Y] devant le président du tribunal de commerce de Pau.



La SARL [Y] s'est opposée à cette demande et a sollicité la mainlevée du séquestre des pièces et fichiers saisis.



Par ordonnance du 23 novembre 2021, le Président du Tribunal de commerce de Pau a :



' Débouté les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,



' Débouté les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] de leur demande de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 11 juin 2021,



Confirmé ladite ordonnance



Ordonné la mainlevée du séquestre désigné par ordonnance du 11 juin 2021,



Dit que le séquestre sera valablement déchargé de sa mission par la remise de l'ensemble des fichiers et documents saisi entre les mains de la société Carriquiryou de toute personne désignée par elle à l'effet de recevoir ces éléments,



Dit que l'ensemble des frais afférents à cette mesure de séquestre ainsi qu'au transfert des pièces qui sera ordonné resteront à la charge des sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P].



Condamné in solidum les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] à payer à la société SARL [Y] la somme de 5000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,



Débouté la société SARL [Y] du surplus de ses demandes,







Mis les dépens in solidum à la charge des sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] dont les frais de greffe taxés et liquidés à 40,65 euros.



Par déclaration en date du 6 décembre 2021, les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] ont relevé appel de cette ordonnance. L'affaire a été audiencée à bref délai au 26 septembre 2022 sous le numéro RG 21/ 03927



L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 juin 2022.



Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.



PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :



Vu les conclusions du 2 juin 2022 des sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] qui demandent de :



Vu les articles 146, 496 et 497 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Vu l'ordonnance sur requête rendue le 21 juin 2021,

Vu l'ordonnance rendue le 23 novembre 2021,

Vu les pièces versées au débat,



Dire recevable et bien fondé à l'appel inscrit par les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] à l'encontre de l'ordonnance du 23  novembre 2021,



Réformer l'ordonnance du 23 novembre 2021 en toutes ses dispositions,



En conséquence



Rétracter l'ordonnance rendue le 21 juin 2021 par le Président du Tribunal de

Commerce de Pau à la requête de la SARL [Y],



Dire que les correspondances et documents de toutes natures saisis par l'office de l'huissier de justice devront être intégralement restitués à la société Béarn Pesage Services et à la société Groupe [P] sous astreinte de 500 euros par document et par jour de retard à compter de l'ordonnance à intervenir,



Dire et juger qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] les frais irrépétibles qu'elles ont été contraintes d'exposer en justice aux fins de défendre leurs intérêts,



Condamner la SARL [Y] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,



Condamner la SARL [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELARL ABL Associés, avocat, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.



*



Vu les conclusions en date du 25 août 2022 de la société [Y] qui demande de :

Vu l'article 16 du Code de Procédure civile,



Vu l'ordonnance de clôture en date du 8 juin 2022,



Vu les conclusions et pièces des appelants notifiées le 2 juin 2022,



Révoquer l'ordonnance de clôture et la fixer au jour des plaidoiries ;



Vu les dispositions des articles 56, 145, 493, 875, 496 et 700 du Code de procédure civile ;



Vu les dispositions des articles 1240, 1241 du Code civil ;



Vu les dispositions de l'article R. 153-1 du Code de commerce ;



Vu l'ordonnance sur requête du 11 juin 2021 et l'ordonnance du 23 novembre 2021 du Président du Tribunal de Commerce de Pau ;



Vu les termes du procès-verbal de constat dressé par l'Étude d'huissiers Alliance Atlantique Pyrénées à la requête de la société [Y] ;



Juger la société [Y] recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;



Débouter les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;



Débouter les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] de leur demande de rétractation de l'ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Pau rendue sur requête en date du 11 juin 2021 ;



Confirmer, en toutes ses dispositions, l'ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Pau rendue sur requête en date du 11 juin 2021 et l'ordonnance du 23 novembre 2021 du Président du Tribunal de Commerce de Pau ;



En conséquence :



Ordonner la mainlevée du séquestre désigné par ordonnance 11 juin 2021 en la personne de l'Étude d'huissiers Alliance Atlantique Pyrénées, huissiers de justice ;



Juger que le séquestre sera valablement déchargé de sa mission par la remise de l'ensemble des fichiers et documents saisis entre les mains de la société [Y] ou de toute personne désignée par elle à l'effet de recevoir ces éléments ;



Juger que l'ensemble des frais afférents à cette mesure de séquestre et à la mainlevée de celle-ci ainsi qu'au transfert des pièces qui sera ordonné sont à la charge des sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] ;



En tout état de cause :



Condamner in solidum les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] à verser une somme de 15.000,00 € à la société [Y] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC ;



Condamner in solidum les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] aux entiers dépens de l'instance.






MOTIVATION :



Rappel sur le rabat de l'ordonnance de clôture :



Le jour de l'audience, avant l'ouverture des débats et par mention au dossier, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture en date du 8 juin 2022 et fixé la clôture à la date du 26 septembre 2022, conformément à la demande de l'intimé et en accord avec les appelants qui n'ont pas souhaité répliquer aux conclusions de la société [Y] notifiées le 25 août 2022.



Au fond :



Au soutien de leur demande d'infirmation de la décision déférée, la SARL Béarn Pesage Service et la SARL Groupe [P] rappellent qu'elles travaillent dans un secteur identique à celui de la SARL [Y] et reprochent à cette dernière de tenter d'obtenir, par le biais de mesures d'investigation « in futurum », des données sensibles, essentielles aux deux sociétés concluantes , dont elle pourrait faire usage dans le cadre de ses activités concurrentes.



Elle en déduisent qu'il existe une disproportion manifeste entre les raisons avancées par la société [Y] pour solliciter l'intervention de l'huissier de justice désigné et le résultat obtenu. En outre, elles considèrent que la démarche de la société [Y] ne repose sur aucun élément sérieux.



A cet égard, elles jugent inconsistants les arguments avancés et les pièces produites par la société [Y] à l'appui de sa requête et rappellent qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.



Elles soulignent que les mesures d'instruction ont été sollicitées pour déterminer l'ampleur des actes de concurrence déloyale imputés à des personnes, salariés démissionnaires, ancien salarié ou associé, non assignées.



Elles font valoir que :



' rien n'interdisait juridiquement à Monsieur [P] de constituer les sociétés de son choix et d'entrer loyalement en concurrence avec la société [Y], ajoutant que la société Groupe [P] est une holding sans activité de terrain ;



' la société [Y] est bien en peine d'établir que le départ de 5 salariés est intervenu de manière déloyale, alors qu'au contraire ces 5 salariés ont fourni des attestations expliquant les raisons de leur départ, motivé par des désaccords avec la nouvelle direction d'Hepha Pesage ;



' la seule production de devis ou factures adressés à des anciens clients ne caractérise pas des actes de concurrence déloyale qui supposent établie la preuve d'actes malveillants et d'éléments objectifs qualifiant les comportements fautifs.



Enfin, elles soutiennent que la société [Y] n'a aucunement précisé, dans sa requête, en quoi il était nécessaire de porter atteinte au principe du contradictoire, se contentant d'évoquer un risque de disparition des documents et informations détenus illégitimement.









A l'inverse, la société [Y] conclut à la confirmation de l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Pau du 23 novembre 2021, aux motifs qu'elle rapporte la preuve de faits rendant plausible une action en concurrence déloyale, sans qu'il y ait lieu de se pencher sur la responsabilité éventuelle des personnes appelées à la procédure et les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement envisagé.



Elle estime justifier de circonstances précises qui impliquaient le recours à une ordonnance rendue selon une procédure non contradictoire, afin de prévenir la disparition des pièces et des éléments susceptibles de venir confirmer les faits de concurrence déloyale, dans la perspective d'une instance à venir.



En droit, l'article 145 du code de procédure civile dispose que s'il existe des motifs légitimes de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.



Ni l'urgence, ni l'absence, en elle-même, de contestation sérieuse ne sont des conditions d'intervention du juge des mesures probatoires qui est seulement subordonnée à la démonstration d'un intérêt légitime à établir ou conserver la preuve, légale, de faits dont pourrait dépendre la solution d'un éventuel litige.



Le motif n'est légitime que si les faits dont la preuve est recherchée sont susceptibles d'avoir une influence sur la solution du litige, c'est à dire s'ils ont un lien suffisant et apparemment bien fondé avec le litige futur.



Le demandeur à la mesure probatoire n'a donc pas à démontrer l'existence des faits nécessaires au succès d'une action au fond mais il doit justifier d'éléments rendant plausible l'existence de faits de nature à alimenter un éventuel procès et démontrer l'utilité, voire la pertinence, dans cette perspective, de la mesure d'instruction sollicitée.



En tout état de cause, la mise en 'uvre des mesures prévues par l'article 145 n'implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé ; seule une action au fond qui serait manifestement vouée à l'échec, comme irrecevable ou mal fondée, serait de nature à priver de tout intérêt légitime une mesure d'instruction avant tout procès ou si le demandeur dispose déjà d'éléments de preuve suffisants, ou s'il lui est possible de réunir par lui-même des éléments supplémentaires.



Selon l'article 493 du code de procédure civile, les mesures prévues par l'article 145 ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement. Il appartient en conséquence au juge de vérifier, même d'office, si la requête ou l'ordonnance caractérisent de telles circonstances, sans pouvoir se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance, pour justifier qu'il fût déroger au principe du contradictoire.



Il ne peut non plus rechercher les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire dans les pièces produites au soutien de la requête ( Cassation 2e Civ. 22 mars 2018, n°17-10.311).



La caractérisation des circonstances qui justifient que la mesure soit prise de manière non contradictoire doit être précise (Cassation 2° Civ. 12 avril 2018, n° 17-14.086) et circonstanciée, ce qui exclut les motifs vagues, abstraits ou stéréotypés (Civ. 22 septembre 2016 n°15-22.393).



Lorsque l'ordonnance a été rendue au pied de la requête, conformément à une pratique validée par la jurisprudence, le visa de la requête emporte adoption des motifs de la requête (Civ. 2e, 6 mai 1999, no 96-10.631 , Bull. civ. II, no 81).



Il a été jugé que l'ordonnance peut être motivée par renvoi à la nature des faits de concurrence déloyale expressément dénoncés dans la requête comme justifiant le recours à une procédure non contradictoire (2e Civ., 14 novembre 2019, pourvoi n° 18-24.153).



La demande de rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne tendant qu'au rétablissement du principe de la contradiction, le juge de la rétractation qui connaît d'une telle demande doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui (2e Civ., 7 juillet 2016, pourvoi n° 15-21.579, Bull. 2016, II, n° 188)



Si le secret des affaires et des correspondances comme la liberté du commerce ne constituent pas en eux-mêmes des obstacles à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, la mesure ordonnée dans ce cadre ne doit porter aux droits et libertés de celui qui en supporte l'exécution qu'une atteinte proportionnée au but recherché de protection des droits du requérant.



Constituent ainsi des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cassation 2e Civ., 10 juin 2021, pourvoi n° 20-11.987).



Il résulte par ailleurs des articles 496, alinéa 2 et 497 du code de procédure civile que l'instance en rétractation d'une ordonnance rendue sur requête a pour seul objet de soumettre à l'examen d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire. Il s'en déduit que la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet. Dès lors est irrecevable la demande incidente du requérant tendant à la production de nouvelles pièces qui, n'ayant pas été soumise au juge des requêtes, est présentée pour la première fois au juge de la rétractation, seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance pouvant être saisi d'une demande complémentaire.



Toutefois, depuis l'entrée en vigueur du décret 2018-1126 du 11 décembre 2018 sur la protection du secret des affaires, il résulte des dispositions de l'article R. 153-1 du code de commerce que le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue en application de l'article 145 du code de procédure civile est également compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre, dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10 du code de commerce.



Enfin, lorsque ni l'ordonnance ni la requête ne comportent de motifs sur les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, l'ordonnance qui ne peut être régularisée a posteriori doit être rétractée.



En l'espèce, le président du tribunal de commerce de Pau, qui a ordonné les mesures d'instruction énoncées dans l'ordonnance du 21 juin 2021, a expressément statué au visa de la requête du 11 juin 2021, « en pied de requête», en estimant au vu des motifs exposés dans l'acte de saisine, qu'il existait des circonstances exigeant qu'une décision non contradictoire soit rendue à l'encontre des sociétés Groupe [P] et Béarn Pesage Services.

La requête rappelle dans un premier temps les liens existant entre la société Hepha Pesage, le groupe [M] et la SARL [Y], laquelle, dans le cadre d'un projet de réorganisation du groupe [M] par entités et activités, a décidé, à partir du 1er juillet 2020, de sous traiter à la société Hepha Pesage une partie de son activité de pesage.



Il ressort de l'examen des faits exposés dans la requête qu'entre le 5 février et le 19 février 2021, la société Hepha Pesage a reçu les démissions successives de 5 de ses salariés, précédemment employés par la société [Y], parmi lesquels notamment Monsieur [V] [S] employé technico- commercial au sein de la société Hepha Pesage depuis juillet 2020, mais qui auparavant avait exercé les mêmes fonctions au sein de la SARL [Y], pendant près de vingt ans.



Une sixième démission a été présentée le 24 mars 2021 par une assistante technique, portant le nombre de salariés démissionnaires à six, en l'espace d'un mois et demi, sur un effectif moyen de dix collaborateurs.



En premier lieu, il n'est pas contesté, comme l'indiquait la société [Y] dans sa requête, que parmi les salariés démissionnaires au moins cinq ont été embauchés par la société Béarn Pesage Services, dans une période contemporaine de leur démission. Ce fait est confirmé par les attestations émanant de quatre d'entre eux, produites par les sociétés appelantes.



Quant à Monsieur [S], si il a depuis démissionné de la société Béarn Pesage Services, il est intervenu dès le mois d'avril 2021, par courriel émis depuis une adresse mail professionnelle «  BPS (Béarn Pesage Services)'Groupe [P] », pour présenter l'activité de son nouvel employeur à l'entreprise des Établissements Barré, cliente des sociétés [Y] et Hepha Pesage.



Le démarchage de clients ou prospects des sociétés Hepha Pesage et [Y] devait être confirmé, par la suite, aux termes du procès-verbal de constat d'huissier dressé par Maître [J] le 7 mai 2021, par la réception au siège des sociétés [Y] et Hepha Pesage de deux chèques émis à l'ordre de la société Béarn Pesage Services, par la société Methajoos, prospect de la société [Y] pour lequel Monsieur [V] [S] avait établi en novembre 2019 un devis en vue de l'acquisition d'un pont à bascule.



Le soupçon de détournement par Monsieur [V] [S] d'informations commerciales confidentielles, au préjudice des sociétés du groupe [M] et dans l'intérêt de son nouvel employeur, devait être conforté par le fait que ce salarié avait restitué à la société Hepha Pesage l'ordinateur professionnel qu'elle mettait à sa disposition, après avoir supprimé les fichiers des données et mails professionnels, ce qui ressort de l'attestation rédigée par le prestataire informatique chargé de récupérer ces fichiers.



En second lieu, la société Béarn Pesage Services a été immatriculée le 8 février 2021 au registre du commerce et des sociétés, soit quelques jours avant la vague de démissions enregistrée par la société Hepha Pesage. Elle a pour gérant et associé Monsieur [C] [P], également dirigeant de la holding SARL Groupe [P] (immatriculée en mars 2021 au RCS), lui-même ancien salarié de la société [Y], de 2014 à 2018.



Il ressort de l'extrait Kbis versé aux débats, en date du 9 février 2021, qu'elle intervient dans le même secteur d'activité que celui des sociétés [Y] et Hepha Pesage et que l'adresse de son siège social était, dès son immatriculation, le [Adresse 3], adresse de locaux annexes loués par la société [Y] à la SARL [X], libérés par elle le 30 juin 2021.







Au vu de ces éléments, tels exposés dans sa requête et soutenus par différentes pièces établissant le caractère plausible de faits de concurrence déloyale par débauchage de salariés, détournement de clientèle et parasitisme, la société [Y] était légitimement fondée à saisir le président du tribunal de commerce de Pau en vue d'obtenir l'exécution de mesures d'instruction destinées à confirmer les premiers éléments recueillis.



Le recours à une ordonnance sur requête, hors débat contradictoire, était par ailleurs justifié par la nature des investigations demandées qui visaient des données informatiques, numériques ou électroniques par essence furtives et susceptibles d'être aisément détruites ou altérées, alors que cinq anciens salariés de la société Hepha Pesage avaient été embauchés par la société Béarn Pesage Services, ce qui justifiait que la mesure ne soit pas prise contradictoirement eu égard au risque de destruction de fichiers informatiques si les intéressés et leur nouvel employeur étaient avertis de la mesure ordonnée.



Ces circonstances impliquant le recours à une décision rendue non contradictoirement étaient bien exposées par la société [Y] dans sa requête du 11 juin 2021, dans les termes suivants :



« Conscients de la nature de leurs agissements, de leurs conséquences et de leurs gravité, les dirigeants de Béarn Pesage Services et de Groupe [P] sont susceptibles de supprimer, ou de faire supprimer par leurs salariés, tous les documents et informations détenues illégitimement s'ils étaient informés des mesures de constat envisagées par [Y] dans le cadre d'une action contradictoire en référé. Dès lors, [Y] n'a pas d'autre choix que d'agir par la voie d'une requête non contradictoire. »



Au vu des faits plausibles de concurrence déloyale exposés dans la requête, cette motivation justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire était suffisamment précise et circonstanciée.



S'agissant du caractère légitime des mesures autorisées, il ressort des termes de la mission confiée à l'huissier instrumentaire que les investigations demandées étaient limitées dans le temps et circonscrites à la seule recherche des éléments permettant d'établir les conditions et l'étendue des détournements de clients, de prospects et de savoir-faire de la société [Y], les investigations ciblant tout particulièrement trente deux clients ou prospects de la société requérante, nommément désignés.



Ces mesures, fondées sur des éléments plausibles permettant de soupçonner des actes de concurrence déloyale, étaient par ailleurs nécessaires à l'exercice du droit à la preuve de la société [Y], dans la perspective d'une future action en responsabilité de la société requérante, sans porter aux droits et libertés des sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P], et notamment au secret de leurs affaires, une atteinte disproportionnée au but recherché de protection des droits de la société requérante.



C'est donc par une appréciation exacte des faits qui lui étaient soumis et du droit des parties, que la cour confirme, que le président du Tribunal de Commerce de Pau saisi en référé-rétractation a déclaré recevable et bien fondée la société [Y] en ses prétentions, débouté les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] de leur demande de rétractation de l'ordonnance du 21 juin 2021 et plus généralement de l'ensemble de leurs prétentions, et confirmé cette dernière décision.





Dans la mesure où il n'est ni allégué ni démontré que tout ou partie des pièces saisies et séquestrées par l'huissier instrumentaire porteraient atteinte à la protection du secret des affaires des sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P], il convient de confirmer la décision de mainlevée du séquestre et de remise de l'ensemble des fichiers et documents saisis à la Société [Y], les frais de séquestre, de mainlevée de séquestre et de transfert des données recueillies étant supportés par les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P].



Sur les demandes annexes :



Au vu de l'issue du litige, les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] sont condamnées aux dépens de l'entière procédure.



Compte tenu des circonstances de la cause et de la position respective des parties, l'équité justifie de condamner les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] à payer à la société [Y] une somme de 6000,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens de l'entière procédure.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,



Confirme l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Pau le 23 novembre 2021, sauf en ce qui concerne l'application de l'article 700 du code de procédure civile,



Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,



Condamne in solidum les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] aux dépens d'appel,



Condamne in solidum les sociétés Béarn Pesage Services et Groupe [P] à payer à la société [Y] une somme de 6000,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens de première instance et d'appel.



Le présent arrêt a été signé par Monsieur Marc MAGNON, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.



La Greffière, Le Président,

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