23 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-22.078

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C100852

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 novembre 2022




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 852 F-D

Pourvoi n° H 21-22.078




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2022

La société Les Sports, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-22.078 contre l'arrêt rendu le 15 juillet 2021 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [H] [Y], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de président de la société Les éditions du Seuil,

2°/ à M. [T] [O], domicilié [Adresse 5],

3°/ à Mme [K] [P], domiciliée [Adresse 3],

4°/ à la société Les éditions du Seuil, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 6],

5°/ à M. [V] [X], domicilié [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent , avocat de la société Les Sports, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [Y], de M. [O], de Mme [P], de la société Les Editions du Seuil, de M. [X], après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 juillet 2021), rendu en référé, les 28 et 29 juillet et 3 août 2020, la société Les Sports, s'estimant injuriée et diffamée par des passages du livre « Les Macron du Touquet-Elysée-plage », rédigé par Mme [P] et M. [T] (les coauteurs), publié par la société Les éditions du Seuil (la société d'édition) et rapportant en particulier des propos tenus par M. [X], a assigné en suppression des passages litigieux, sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les coauteurs, M. [X], la société d'édition et son président, M. [Y]. Les coauteurs, M. [Y] et la société d'édition ont opposé la nullité des assignations.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La société Les Sports fait grief à l'arrêt de dire que la qualification des faits poursuivis par les assignations est imprécise et d'annuler ces assignations, alors :

« 1°/ que l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé, et indiquer le texte de loi applicable ; qu'en retenant que la demande de la société Les Sports « créée une incertitude préjudiciable à l'exercice des droits de la défense », dès lors qu'elle est « insuffisamment précise » et « vise expressément et cumulativement des propos qualifiés d'injurieux et de diffamatoires », après avoir pourtant constaté qu'« il est constant que la société Les Sports a effectué dans le corps de son assignation une distinction entre des faits qu'elle estime diffamatoires et des faits qu'elle estime injurieux », ce dont il résultait que la demande de retrait, qui, exprimée et synthétisée dans le dispositif des assignations des 28 juillet, 29 juillet et 3 août 2020, était explicitée dans les moyens exposés dans les motifs des assignations, qui qualifiaient distinctement les propos diffamatoires et injurieux, de sorte que les assignations ne créaient aucune incertitude dans l'esprit des défendeurs, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

2°/ qu'en retenant que la demande de la société Les Sports « crée une incertitude préjudiciable à l'exercice des droits de la défense », dès lors qu'elle est « insuffisamment précise » et « vise expressément et cumulativement des propos qualifiés d'injurieux et de diffamatoires », tout en constatant pourtant qu'« il est constant que la société des Sports a effectué dans le corps de son assignation une distinction entre des faits qu'elle estime diffamatoires et des faits qu'elle estime injurieux », la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme procédural excessif portant une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge et a violé l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé ; qu'en retenant que « la demande [que la société Les Sports] forme dans le dispositif de l'assignation qualifie cumulativement les propos d'injurieux et de diffamatoires sans distinction et tend à la suppression d'un passage entier du livre (page 108 à 109) qui contiendrait ces propos : c'est cette demande figurant au dispositif qui lie le juge et conditionne les conditions d'exercice des droits de la défense », sans se prononcer sur la demande de la société Les Sports, formulée à titre subsidiaire dans les assignations des 28 juillet, 29 juillet et 3 août 2020 en ce qu'elle tendait au « retrait des mentions d'abord diffamatoires à savoir page 09 « dix-sept kilos de perdus, mais procès gagné aux prud'hommes. [V] n'est pas encore remis. Il faut dire qu'il s'est même vu accuser de détournement de clientèle par ses anciens patrons », et ensuite injurieuses, à savoir page 109 « nouveaux propriétaires qui selon lui n'ont rien compris à l'esprit de la brasserie, qui ont poussé les murs pour s'agrandir sans mesure quitte à négliger l'atmosphère d'entre-soi cosy », invoquant ainsi distinctement les passages diffamatoires et injurieux, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Selon l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable.

4. Est nulle une assignation qui retient pour le même fait la double qualification d'injure et de diffamation comme étant de nature à créer, une incertitude quant aux faits reprochés.

5. Ces dispositions assurent un juste équilibre entre le droit au recours juridictionnel du demandeur, la protection de la liberté d'expression et le respect des droits de la défense (CC, 17 mai 2013, n° 2013-311 QPC ; CEDH 2 mars 2017, [G] c/ France, n° 52733/13).

6. La cour d'appel a constaté que, si la société avait distingué, dans les motifs des assignations, entre les propos estimés diffamatoires et ceux considérés comme injurieux, le dispositif qualifiait cumulativement les propos d'injurieux et de diffamatoires sans distinction et tendait à la suppression d'un passage entier du livre qui contiendrait ces propos.

7. C'est donc à bon droit, sans modifier l'objet du litige ni porter une atteinte excessive au droit d'accès au juge de la société Les Sports, qu'elle en a déduit que ce cumul de qualifications était de nature à créer, à l'égard des défendeurs, une incertitude préjudiciable à leur défense et qu'elle a annulé les assignations en leur entier.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Les Sports aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Les Sports.

La société Les Sports fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que la qualification des faits poursuivis par les assignations des 28 juillet, 29 juillet et 3 août 2020 était imprécise et d'avoir prononcé la nullité de ces assignations ;

1°) ALORS QUE l'assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé, et indiquer le texte de loi applicable ; qu'en retenant que la demande de la société Les Sports « créée une incertitude préjudiciable à l'exercice des droits de la défense », dès lors qu'elle est « insuffisamment précise » et « vise expressément et cumulativement des propos qualifiés d'injurieux et de diffamatoires » (arrêt attaqué, p. 6 § 4 à 6), après avoir pourtant constaté qu'« il est constant que la société Les Sports a effectué dans le corps de son assignation une distinction entre des faits qu'elle estime diffamatoires et des faits qu'elle estime injurieux » (arrêt attaqué, p. 6 § 4), ce dont il résultait que la demande de retrait, qui, exprimée et synthétisée dans le dispositif des assignations des 28 juillet, 29 juillet et 3 août 2020, était explicitée dans les moyens exposés dans les motifs des assignations, qui qualifiaient distinctement les propos diffamatoires et injurieux, de sorte que les assignations ne créaient aucune incertitude dans l'esprit des défendeurs, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

2°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU' en retenant que la demande de la société Les Sports « créée une incertitude préjudiciable à l'exercice des droits de la défense », dès lors qu'elle est « insuffisamment précise » et « vise expressément et cumulativement des propos qualifiés d'injurieux et de diffamatoires », tout en constatant pourtant qu'« il est constant que la société des Sports a effectué dans le corps de son assignation une distinction entre des faits qu'elle estime diffamatoires et des faits qu'elle estime injurieux » (arrêt attaqué, p. 6 § 4 à 6), la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme procédural excessif portant une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge et a violé l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme ;

3°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé ; qu'en retenant que « la demande [que la société Les Sports] forme dans le dispositif de l'assignation qualifie cumulativement les propos d'injurieux et de diffamatoires sans distinction et tend à la suppression d'un passage entier du livre ( page 108 à 109) qui contiendrait ces propos : c'est cette demande figurant au dispositif qui lie le juge et conditionne les conditions d'exercice des droits de la défense » arrêt attaqué, p. 6), sans se prononcer sur la demande de la société Les Sports, formulée à titre subsidiaire dans les assignations des 28 juillet, 29 juillet et 3 août 2020 en ce qu'elle tendait au « retrait des mentions d'abord diffamatoires à savoir page 109 « dix-sept kilos de perdus, mais procès gagné aux prud'hommes. [V] n'est pas encore remis. Il faut dire qu'il s'est même vu accuser de détournement de clientèle par ses anciens patrons », et ensuite injurieuses, à savoir page 109 « nouveaux propriétaires qui selon lui n'ont rien compris à l'esprit de la brasserie, qui ont poussé les murs pour s'agrandir sans mesure quitte à négliger l'atmosphère d'entre-soi cosy », invoquant ainsi distinctement les passages diffamatoires et injurieux, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.

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