23 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.510

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2022:SO01275

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 novembre 2022




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 1275 FS-D

Pourvoi n° T 21-15.510

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [D].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 4 août 2021.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 NOVEMBRE 2022

La société Associated Press Limited, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° T 21-15.510 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [H] [D], domicilié [Adresse 4],

2°/ à la société BTSG, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [J] [E], en qualité de mandataire liquidateur de la société French Language Service Limited,

3°/ à l'Unedic délégation AGS CGEA IDF Ouest, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Associated Press Limited, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [D], les plaidoiries de Me Pinatel et de Me Goulet, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Bouvier et Berard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 avril 2021), M. [D] a été employé par la société de droit étranger Associated Press Limited (la société AP), au sein de son service français, en qualité de journaliste rédacteur. Le salarié était investi de mandats représentatifs du personnel.

2. Le 12 juillet 2012, un accord de cession de fonds de commerce a été signé entre la société AP et la société de droit étranger French Language Service Limited (la société FLS).

3. Le 11 juillet 2012, la société AP avait sollicité l'autorisation de procéder au transfert du contrat de travail du salarié, lequel a été autorisé par l'inspecteur du travail le 12 septembre 2012.

4. La société FLS a déposé une déclaration de cessation des paiements le 22 novembre 2012 aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire devant le tribunal de commerce de Paris. Par jugement du 6 décembre 2012, la liquidation judiciaire de la société FLS a été prononcée, la société BTSG, prise en la personne de M. [E], étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

5. Le 25 janvier 2013, le liquidateur judiciaire a procédé au licenciement pour motif économique du salarié, après autorisation de l'inspecteur du travail.

6. Le 30 avril 2012, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale. En dernier lieu, soutenant que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail n'étaient pas réunies et que le transfert de son contrat de travail avait été frauduleusement mis en oeuvre, le salarié a formé des demandes tendant à condamner solidairement la société AP et la société BTSG, en qualité de liquidateur judiciaire de la société FLS, au paiement de dommages-intérêts à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement à dire que la société AP a engagé sa responsabilité délictuelle à raison des fautes commises à son encontre et à la condamner au paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation en sa troisième branche et qui est irrecevable en ses deux premières branches.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. La société AP fait grief à l'arrêt de se déclarer compétent pour apprécier l'existence d'une fraude ou d'une faute de l'employeur dans l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail et de la condamner en conséquence à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts et à rembourser à Pôle emploi l'ensemble des sommes versées pour le compte du salarié, outre les créances salariales fixées par son arrêt, alors :

« 1°/ que le juge judiciaire ne peut, sous le prétexte que serait invoquée devant lui une fraude ou une faute de l'employeur dans la mise en oeuvre de l'article L. 1224-14 du code du travail, violer le principe constitutionnel de la séparation des ordres administratif et judiciaire, et remettre ainsi en cause l'appréciation définitivement portée par l'autorité administrative sur la régularité de l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ; qu'en affirmant qu'en présence d'une autorisation administrative de transfert, le juge judiciaire ne serait pas compétent pour apprécier les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail mais resterait compétent pour apprécier si le transfert résulte d'une fraude ou d'une faute de l'employeur, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des ordres administratif et judiciaire ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que l'autorisation de transfert d'un salarié protégé lie le juge judiciaire, non seulement sur la question de l'existence d'une unité économique autonome mais également sur celle de la réunion des conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail et par là même de l'existence éventuelle d'une fraude ; qu'en se déclarant compétente pour apprécier l'existence d'une fraude de l'employeur à l'article L. 1224-1 du code du travail, la cour d'appel a derechef violé le principe de la séparation des ordres administratif et judiciaire ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

10. En vertu des articles L. 2414-1 et L. 2421-9 du même code, lorsqu'un salarié investi d'un mandat représentatif du personnel est compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1, le transfert de ce salarié ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail qui s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire.

11. L'inspecteur du travail, qui contrôle la matérialité du transfert partiel, l'applicabilité des dispositions légales ou conventionnelles invoquées dans la demande d'autorisation de transfert et si le salarié concerné exécute effectivement son contrat de travail dans l'entité transférée, ainsi que l'absence de lien avec le mandat ou l'appartenance syndicale, ne porte pas d'appréciation sur l'origine de l'opération de transfert.

12. Il en résulte que le salarié protégé, dont le transfert du contrat de travail au profit du cessionnaire a été autorisé par l'inspecteur du travail et qui, à la suite de ce transfert, a été licencié après autorisation de l'autorité administrative, peut invoquer devant le juge judiciaire, eu égard aux circonstances dans lesquelles est intervenu le transfert, l'existence d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail et solliciter sur ce fondement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative qui a autorisé le transfert, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

13. La cour d'appel, qui a constaté qu'elle était saisie d'une demande du salarié tendant à la condamnation de la société cédante au paiement de dommages-intérêts en réparation de la perte de son emploi en raison d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, en a exactement déduit que le juge judiciaire était compétent.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Associated Press Limited aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Associated Press Limited et la condamne à payer à la société Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet la somme de 1 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par le président, en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux, et par Mme Jouanneau, greffier de chambre, en remplacement du greffier empêché.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Associated Press Limited

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Associated Press Limited reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de s'être déclarée compétente pour apprécier l'existence d'une fraude ou d'une faute de l'employeur dans le cadre de l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail et d'avoir, en conséquence, condamné la société Associated Press Limited à payer à M. [D] la somme de 40 000 € à titre de dommages-intérêts et à rembourser à Pôle Emploi l'ensemble des sommes versées pour le compte de M. [D], soit 38 083,05 €, outre les créances salariales fixées par son arrêt.

1/ ALORS QUE le juge judiciaire ne peut, sous le prétexte que serait invoquée devant lui une fraude ou une faute de l'employeur dans la mise en oeuvre de l'article L. 1224-14 du code du travail, violer le principe constitutionnel de la séparation des ordres administratif et judiciaire, et remettre ainsi en cause l'appréciation définitivement portée par l'autorité administrative sur la régularité de l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ; qu'en affirmant qu'en présence d'une autorisation administrative de transfert, le juge judiciaire ne serait pas compétent pour apprécier les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail mais resterait compétent pour apprécier si le transfert résulte d'une fraude ou d'une faute de l'employeur, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des ordres administratif et judiciaire ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2/ ALORS QUE l'autorisation de transfert d'un salarié protégé lie le juge judiciaire, non seulement sur la question de l'existence d'une unité économique autonome mais également sur celle de la réunion des conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail et par là même de l'existence éventuelle d'une fraude ; qu'en se déclarant compétente pour apprécier l'existence d'une fraude de l'employeur à l'article L. 1224-1 du code du travail, la cour d'appel a derechef violé le principe de la séparation des ordres administratif et judiciaire ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

La société Associated Press Limited reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à M. [D] la somme de 40 000 € à titre de dommages-intérêts et à rembourser à Pôle Emploi les sommes versées pour le compte de M. [D], soit 38 083,05 €, outre les créances salariales fixées par son arrêt ;

1/ ALORS, D'UNE PART, QU'en vertu du principe dit de non-cumul des responsabilités, dès lors qu'un dommage est causé par l'inexécution d'une obligation contractuelle, l'action en réparation exercée par le créancier de cette obligation doit être fondée sur le droit de la responsabilité contractuelle ; qu'en réparant, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, des manquements prétendument commis par la société Associated Press Limited avant la cession de l'entreprise quand elle a elle-même constaté que ces manquements avaient une nature contractuelle, la cour d'appel a violé le principe dit du non cumul des responsabilités, ensemble l'ancien article 1382 [devenu 1240] du code civil et l'ancien article 1147, [devenu 1231-1] du même code ;

2/ ALORS, D'AUTRE PART, QUE les manquements éventuels de l'employeur, commis dans la mise en oeuvre de l'article L. 1224-1 du code du travail, en ce qu'ils relèvent de l'exécution du contrat de travail, ne peuvent être réparés que sur le fondement de la responsabilité contractuelle ; qu'en réparant les manquements prétendument commis par la société Associated Limited Press dans la mise en oeuvre de l'article L. 1224-1 du code du travail sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la cour d'appel a derechef violé le principe dit du non cumul des responsabilités, ensemble l'ancien article 1382 [devenu 1240] du code civil et l'ancien article 1147, [devenu 1231-1] du même code ;

3/ ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QU'une société cédante ne peut être tenue pour responsable de la liquidation judiciaire de la société cessionnaire intervenue après la cession, sauf démonstration d'une collusion frauduleuse entre les deux sociétés ; qu'en tenant la société Associated Press pour responsable de la disparition de la société French Language Services quatre mois après qu'elle lui a cédé son service français, sans avoir constaté de collusion frauduleuse entre l'une et l'autre de ces sociétés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

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