15 novembre 2022
Cour d'appel de Bordeaux
RG n° 20/00280

1ère CHAMBRE CIVILE

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE BORDEAUX



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 15 NOVEMBRE 2022



RP





N° RG 20/00280 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LNF2









[P] [M]

SARL SPORT BOXING & CO



c/



S.A.R.L. HADJIME

























Nature de la décision : AU FOND























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 03 décembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux (chambre : 1, RG : 16/01023) suivant déclaration d'appel du 17 janvier 2020





APPELANTS :



[P] [M]

né le 30 Mars 1973 à [Localité 5] (13)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]



SARL SPORT BOXING & CO, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]



représentés par Maître Charlotte DE REYNAL de la SELARL CABINET REYNAL - PERRET, avocat au barreau de BORDEAUX





INTIMÉE :



S.A.R.L. HADJIME, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]



représentée par Maître Alexa LAMOURELLE, avocat au barreau de BORDEAUX





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 04 octobre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :



Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,



qui en ont délibéré.



Greffier lors des débats : Véronique SAIGE





ARRÊT :



- contradictoire



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.






* * *



EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE



M. [P] [M] est titulaire des marques françaises semi-figuratives RD BOXING suivantes :



- la marque française RD BOXING n°3207333 déposée le 31 janvier 2003 en classes 24, 25 et 28 désignant les produits suivants :'dispositifs de protections personnelles pour la pratique des sports de combats et de toutes les disciplines d'arts martiaux, notamment- gants de combat, gant de sac, vertement de sport, divers dispositif des protection', laquelle se présente comme suit :









- la marque française RD BOXING n°3976396 déposée le 22 janvier 2013 en classes 9, 25 et 18 et désignant notamment les produits suivants : 'dispositifs de protections personnelles pour la pratique des sports de combats et de toutes disciplines d'arts martiaux : gants de combats, gants de sac, articles et équipements de sport...', laquelle se présente comme suit :









Il a consenti en 2015 un contrat de licence portant sur ces deux marques à la SARL Sport Boxing & co.



La société RDX Inc Limited est une société de droit anglais, spécialisée depuis 1999 dans la fabrication et la commercialisation d'équipements et de vêtements de fitness et de sport, et particulièrement de sport de combat (boxe, MMA, Muay Thai...), à destination des particuliers, et surtout des clubs et fédérations sportifs ou à destination des militaires pour leur entraînement.



Elle est titulaire de plusieurs marques :



- la marque RDX déposée le 15 mars 2011 et le 4 avril 2011 au Royaume Uni, enregistrée sous les numéros 2574971 et 2577142, ainsi que dans d'autres pays, comme les Etats-Unis ou l'Australie,



- la marque RDX numéro 11718095 déposée gour I'Union Européenne le 8 avril 2013 et publiée le 28 mars 2013 en classes 6, 18, 25 et 28 pour protéger des appareils, équipements et textiles destinés à la boxe, aux arts martiaux, au culturisme et à l'entraînement musculaire,



- la marque RDX n°12689774 déposée pour l'Union Européenne le 13 mars 2014 en classe 25 pour protéger des vêtements, chaussures, chapellerie,









ainsi que du nom de domaine 'rdxinc.co.uk' réservé le 28 mars 2011.



La SARL Global Hemisphere Technology (ci-après GHT), était spécialisée dans la distribution en ligne, via son site Internet vwwv.esprit-fight.fr, d'équipements d'arts martiaux, de sports de combat, de MMA, de fitness, et de produits de nutrition et a été revendeur agréé des produits distribués sous les marques RDX. Elle a été placée sous le régime de la liquidation judiciaire par jugement en date du 29 mars 2017, Me [N] [B] ayant été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.



La SAS Dragon Bleu se présente comme le site Internet français n°1 de la vente en ligne pour les arts martiaux et les sports de combat.



La SARL Hadjime est un magasin multi-marques spécialisé dans les arts martiaux et sports de combat, situé à [Localité 4] (Gironde).



M. [M] et la société Sport Boxing & Co ayant été informés que les sociétés Hadjime, Global Hemisphere Technologie (GHT) et Dragon Bleu proposaient à la vente et commercialisaient par le biais de leurs boutiques en ligne des articles similaires à ceux couverts par les marques susvisées et vendus sous le nom de 'RDX' à des prix inférieurs à ceux de Sport Boxing & co, ils ont fait effectuer les constats d'huissier sur Internet ainsi que les opérations de saisie-contrefaçon suivants :

- deux procès-verbaux de constat sur Internet en date du 17 décembre 2015 sur les sites Internet www.hadjime.com et www.esprit-fight.fr appartenant aux sociétés HADJIME et GHT,

- une saisie-contrefaçon diligentée au siège social de la société HADJIME le 18 décembre 2015 autorisée par ordonnance en date du 1er décembre 2015.



Faisant valoir que ces constats et opérations de saisie-contrefaçon permettent d'établir la nature et l'ampleur des actes de contrefaçon commis par les sociétés Hadjime et GHT en qualité de distributrices et RDX INC Limited en tant que fournisseur, ces sociétés commercialisant sous la marque RDX des produits de sport identiques à ceux couverts par les marques RD BOXING, en magasin et sur Internet, et que la société de droit anglais RDX INC Limited utilisait en outre un nom de domaine proche de celui de la société Sport Boxing & co, M. [M] et la SARL Sport Boxing & co ont fait assigner par actes du 18 janvier 2016, la SARL Hadjime, la SARL GHT et la société RDX Inc.



Par acte du 15 mai 2017, ils ont fait assigner la SAS Dragon Bleu et par acte du 29 janvier 2018 Me [B], en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL GHT, mise en liquidation selon jugement du 29 mars 2017. Les procédures ont été jointes.



Par jugement du 3 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- rejeté la demande de rabat de l'ordonnance de clôture,

- prononcé la déchéance de la marque n° 3207333 déposée le 31 janvier 2003 par M. [P] [M],

- débouté M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO de leurs demandes au titre de la contrefaçon de la marque n° 3976396,

- débouté M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

- débouté la société RDX INC. LIMITED, Me [N] [B] ès qualité de liquidateur de la société GHT et la SAS DRAGON BLEU de leurs demandes de dommages et intérêts ainsi que de leur demande de publication du jugement,



- condamné M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO à payer à la SARL HADJIME une somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial,

- condamné M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO à payer à la société RDX INC. LIMITED, Me [N] [B] ès qualité de liquidateur de la société GHT et la SASDRAGON BLEU d'une part et à la SARL HADJIME d'autre part, une somme de 5000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision,

- condamné M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO aux dépens.



M. [P] [M] et la société Sport Boxing & Co ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 17 janvier 2020 et par conclusions déposées le 3 février 2021, ils demandent à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

* condamne M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO à payer à la SARL HADJIME une somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial,

Et statuant à nouveau :

- juger que M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO sont recevables et bien fondés en leurs demandes à l'encontre de la SARL HADJIME,

- dire irrecevable et à tout le moins débouter la SARL HADJIME de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- juger que les opérations de saisie contrefaçon et la procédure qui s'en est suivie intentées par M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO à l'encontre de SARL HADJIME ne constituent pas une faute dommageable à l'égard de la SARL HADJIME,

- juger que la SARL HADJIME n'a subi aucun préjudice commercial imputable à une faute qui aurait été commise par M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO dans l'exercice de leur droit d'agir en justice,

- condamner la SARL HADJIME à payer à M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SARL HADJIME aux entiers dépens.



Par conclusions déposées le 18 novembre 2020, la société Hadjime demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'abus de droit commis par M. [P] [M] et la SARL SPORT BOXING & CO,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts dus à la SARL HADJIME à la somme de 20.000,00 €,

Statuant à nouveau,

- condamner solidairement M. [M] et la SARL SPORT BOXING & CO à payer à la SARL HADJIME la somme de 50.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour réparer son préjudice commercial et celle de 2500,00 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [M] et la SARL SPORT BOXING & CO aux entiers dépens.



L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 4 octobre 2022.



L'instruction a été clôturée par ordonnance du 20 septembre 2022.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Les appelants font grief au premier juge de les avoir condamnés à réparer le préjudice commercial invoqué par la SARL Hadjime à la suite de la saisie contrefaçon diligentée le 17 décembre 2015, sans avoir constaté d'abus dans l'engagement ou l'exécution de cette mesure et alors que le jugement entrepris a explicitement écarté tout abus de droit, faute de démonstration par des sociétés Dragon Bleu, GHT et RDX d'une intention de nuire des appelants.



Ceux ci soutiennent que l'opération de saisie-contrefaçon est un droit qu'ils ont exercé légitimement pour établir leurs prétentions au regard de la contrefaçon qu'ils estimaient constituée, que la mesure a été exécutée régulièrement, sans incident et sans contestation ni référé-rétractation de la SARL Hadjime.



Les appelants estiment ainsi qu'aucune intention de nuire ne peut leur être opposée et au surplus que le préjudice commercial invoqué est sans lien de causalité avec la saisie-contrefaçon puisque la décision de la société Hadjime de diminuer le catalogue de produits RDX résulte seulement de sa propre analyse du risque de vente de produits contrefaits, analyse que les autres distributeurs n'ont pas partagée puisqu'ils ont poursuivi la commercialisation de ces produits.



La société Hadjime considère au contraire que la saisie-contrefaçon était inutile et disproportionnée, qu'elle procède en réalité, à l'initiative du gérant de la société Shogun, concurrente directe de l'intimée, d'une intention de nuire pour des raisons de parasitisme, l'objectif des appelants étant de paralyser ses concurrents assez longtemps pour récupérer leurs parts de marché voire provoquer leur fermeture.



La société intimée fait remarquer sur ce point l'absence de mise en demeure préalable à la saisie-contrefaçon et le déroulement de la mesure pendant les horaires d'ouverture du magasin.



Elle soutient que seules la mise en oeuvre de la saisie et les menaces de poursuites en résultant ont été à l'origine de la décision de retrait de son catalogue des produits RDX, à l'origine du préjudice commercial qu'elle demande à la cour de réévaluer à 50.000 €;

Le premier juge a exactement rappelé que le seul fait d'agir en justice, alors que l'appréciation erronée de ses droits ne constitue pas en soi une faute, ne dégénère en abus de droit que si l'action est intentée avec une légèreté blâmable et dans une intention de nuire qu'il a écartée à l'égard des sociétés RDX, Dragon Bleu et GHT.



Il est constant que les appelants ont été autorisés, par ordonnance du 1er décembre 2015, rendue en application des dispositions de l'article L716-4-7 du code de la propriété intellectuelle, à procéder à une saisie-contrefaçon au siège social de la société Hadjime, dans le but de démontrer la réalité et l'ampleur de la commercialisation par celle ci, d'articles de sport de combat vendus sous la marque RDX, présentés comme similaires à ceux des marques RD BOXING appartenant à M.[M].



Les opérations ont eu lieu le 18 décembre 2015, aux heures d'ouverture du magasin, sans que le procès verbal de l'huissier ne relate d'incident particulier. Il a été ainsi procédé à la saisie de deux paires de gants de boxe et de deux casques, la gérante de la société a remis à l'huissier instrumentaire un état informatisé des stocks, un état détaillé des ventes sur internet par article, des commandes et des stocks en boutique et des photographies de divers articles de sports de combat ont été prises.



L'exécution de la mesure ne met donc pas en évidence de conditions vexatoires ou abusives, étant observé que la saisie-contrefaçon étant une mesure à fins probatoires et non contradictoire, la partie saisissante n'est pas tenue de la faire précéder d'une mise en demeure ou d'un avis préalable qui risqueraient de la rendre inefficace.



Le fait que la mesure se déroule aux heures d'ouverture du magasin n'ouvre pas non plus droit à la critique et il est exact que la SARL Hadjime n'a pas jugé bon d'engager un recours en référé-rétractation de l'ordonnance alors qu'elle aurait pu invoquer dans ce cadre le caractère inutile ou disproportionné de la mesure dont elle se plaint maintenant.



Enfin, les affirmations de l'intimée sur la tentative de parasitisme des appelants, leur malveillance et leur intention de nuire à ses intérêts au profit d'une société concurrente Shogun, ne procèdent que d'une attestation établie par un M.[D] faisant état des pressions de M.[L], gérant de cette société Shogun sur son fournisseur, la société de distribution de matériels de sports de combat SDALP, pour que celle ci stoppe la vente de ses produits à la société Hadjime, accusée de concurrence déloyale par M.[L].



Outre qu'aucun autre élément ne vient conforter ces affirmations que contestent les appelants, elles n'impliquent en tout état de cause, qu'une société tierce absente des débats et ne permettent pas d'imputer une intention de nuire à M.[M] ni à la société Sport Boxing.





C'est donc à tort que le premier juge, sans d'ailleurs qualifier l'intention de nuire des appelants, les a condamnés à indemniser un préjudice commercial dont il n'y a pas lieu d'examiner le lien de causalité avec l'abus de procédure retenu à tort, ni par suite le quantum.



Le jugement sera en conséquence infirmé et la société intimée déboutée de sa demande indemnitaire.



L'équité ne commande pas l'octroi d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la société intimée qui succombe en appel en supportera les dépens.





PAR CES MOTIFS



LA COUR



Statuant dans les limites de l'appel;



Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [P] [M] et la SARL Sport Boxing & Co à payer à la SARL Hadjime une somme de 20.000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial,



Statuant à nouveau sur ce point;



Déboute la SARL Hadjime de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice commercial;



Y ajoutant;





Dit n'y avoir lieu à indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Condamne la SARl Hadjime aux dépens d'appel.





Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le Greffier, Le Président,

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