15 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-80.097

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01311

Titres et sommaires

PREUVE - Règles générales - Moyen de preuve - Procédés de surveillance - Système de vidéo-surveillance

L'article 706-96 du code de procédure pénale, qui permet de recourir à un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, notamment la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, ne fait pas de distinction selon que ce dispositif est fixe ou mobile. L'usage d'une caméra aéroportée pour procéder à de telles investigations, dans les conditions posées par les articles 706-95-11 et suivants du code de procédure pénale, n'est pas contraire aux exigences de l'article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Justifie sa décision la chambre de l'instruction, qui, pour écarter l'exception de nullité des opérations de captation d'images des personnes se trouvant dans une propriété privée à l'aide d'une caméra aéroportée, relève que la mise en oeuvre de cette mesure a été autorisée, après réquisitions du procureur de la République, par une décision expresse et motivée du juge d'instruction, conforme aux exigences de l'article 706-95-13 du code de procédure pénale

Texte de la décision

N° S 22-80.097 FS-B

N° 01311


ODVS
15 NOVEMBRE 2022


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 NOVEMBRE 2022


M. [O] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 16 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants et importation en contrebande de marchandises prohibées, en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 5 mai 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [O] [L], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, Mme Ménotti, M. Maziau, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en cause pour son implication dans un trafic de cannabis entre l'Espagne et la France, M. [O] [L], à l'issue de son interrogatoire de première comparution, le 22 octobre 2020, a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire.

3. La chambre de l'instruction a été saisie par l'avocat de l'intéressé, le 22 avril 2021, d'une requête en nullité d'actes de la procédure.

Examen des moyens

Sur les premier, troisième et quatrième moyens et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche


4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que les requêtes sont recevables et au fond, faisant partiellement droit à la requête de M. [L], a ordonné la cancellation des cotes D 20/2 à D 20/3 et rejeté les requêtes pour le surplus, alors :

« 1°/ qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée qu'autant que celle-ci est prévue par la loi et nécessaire ; que seuls les dispositifs fixes de captation d'images et à condition d'une autorisation du juge, peuvent être installés en vue de la surveillance d'éventuelles infractions ; qu'en relevant, pour dire la procédure régulière sur le fondement de l'article 706-96 du Code de procédure pénale, que « le juge d'instruction a autorisé pour une durée de quatre mois une captation d'images par voie aérienne » quand seules les dispositifs fixes étaient autorisés, les juges du fond ont méconnu les articles 6§1 et 8 de la Convention européenne de sauvegardes des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 111-2 du Code pénal, des articles préliminaire, 75, 78, 591, 593 et 706-96 du Code de procédure pénale ;

2°/ qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée qu'autant que celle-ci est prévue par la loi et nécessaire ; qu'un dispositif mobile de captation d'images ne peut être utilisé que dès lors que « des circonstances liées aux lieux de l'opération rendent particulièrement difficile le recours à d'autres outils de captation d'images ou que ces circonstances soient susceptibles d'exposer les agents à un danger significatif » ; qu'en autorisant le dispositif de captation d'image par drone sans dire en quoi les circonstances excluaient toute possibilité de recours à un autre dispositif, les juges du fond ont de nouveau méconnu les articles 6§1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et les articles préliminaire, 75, 78, 591, 593 et 706-96 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit notamment la protection de la vie privée et familiale et du domicile.

7. La captation, la fixation, la transmission, l'enregistrement et le stockage d'images prises au domicile d'une personne, sans le consentement de cette dernière, constituent une ingérence active dans les droits ci-dessus, qui ne peut être admise qu'à la condition d'avoir une base légale suffisante, et de poursuivre un but légitime dans une société démocratique, en considération duquel ladite ingérence doit être nécessaire et proportionnée.

8. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 8 mai 2018, Ben Faiza c. France, n° 31446/12) n'exige pas qu'une loi, pour être prévisible, décline toutes les situations qu'elle a vocation à encadrer, compte tenu du caractère général inhérent à toute règle normative.

9. La prévention des infractions pénales et la recherche de leurs auteurs constituent des objectifs conformes aux exigences susvisées.

10. L'article 706-96 du code de procédure pénale prévoit qu'il peut être recouru à la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans leur consentement, notamment la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé.

11. Il n'y a pas à faire de distinction selon que le dispositif est fixe ou mobile, là où l'article 706-96 et les textes applicables à un tel procédé n'en font pas.

12. Ces mêmes textes limitent son utilisation aux seules enquêtes en matière de criminalité et de délinquance organisées et de crimes.

13. Ils la soumettent au contrôle d'un magistrat du siège, qui doit s'assurer, par une décision spéciale, après avis du ministère public, que sa mise en oeuvre est nécessaire à la manifestation de la vérité et proportionnée, qui ne peut autoriser son emploi que pour une durée limitée, dispose de l'accès au dossier pendant l'enquête et doit être tenu informé du déroulement de celle-ci pour pouvoir mettre un terme à la mesure à tout moment.

14. Il se déduit de ce qui précède que la législation interne est suffisamment claire, prévisible et accessible et que l'ingérence qu'elle consacre dans le droit à la protection du domicile et de la vie privée et familiale poursuit, dans une société démocratique, un but légitime à la réalisation duquel elle est nécessaire et proportionnée.

15. Pour rejeter la requête en annulation des opérations de captation d'images réalisées sur la propriété de M. [L], une maison entourée d'un jardin clos, et ses abords immédiats, par une caméra aéroportée, l'arrêt attaqué décrit comment les enquêteurs ont, préalablement à ces opérations, mis à jour le fonctionnement d'un réseau structuré et pérenne de trafic transfrontalier de stupéfiants, organisant des livraisons régulières de quantités importantes de cannabis au domicile du mis en cause.

16. Les juges relèvent que l'article 706-96 du code de procédure pénale encadrant le recours à un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de l'image d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, dans des conditions qu'ils décrivent précisément, répond aux exigences formulées tant par le Conseil constitutionnel que par le Conseil d'Etat.

17. Ils précisent que la mise en oeuvre de la mesure contestée a été autorisée, pour une durée de quatre mois, par une ordonnance motivée du juge d'instruction, prise après réquisitions du procureur de la République, en exécution de laquelle ont été opérées par voie aérienne, entre le 24 janvier et le 12 mars 2020, diverses captations d'images des lieux désignés par cette décision, les procès-verbaux relatifs à ces opérations figurant tous au dossier de l'information.

18. La chambre de l'instruction observe que, pour justifier de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure, le magistrat a rappelé comment le trafic a été mis en évidence et pourquoi les lieux désignés ont été ciblés par les enquêteurs.

19. Elle ajoute que le juge d'instruction, relevant que la configuration de ces mêmes lieux rendait toute surveillance difficile, a exposé les motifs pour lesquels ces investigations sont indispensables à la manifestation de la vérité.

20. La chambre de l'instruction en déduit que ces opérations, prévues par la loi, ont été autorisées et exécutées conformément au dispositif légal les régissant et sans méconnaître les dispositions conventionnelles dont la violation est alléguée.

21. En se déterminant par ces motifs, et dès lors, qu'en outre, les enquêteurs ont agi sur délégation expresse du magistrat qui a ordonné la mesure, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles et les textes invoqués au moyen.

22. Dès lors, celui-ci doit être écarté.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze novembre deux mille vingt-deux.

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