9 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-85.747

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR01377

Titres et sommaires

DOUANES - Agent des douanes - Pouvoirs - Droit de communication - Recueil des déclarations spontanées - Exclusion - Audition - Sanction - Nullité - Conditions

Les dispositions de l'article 65 du code des douanes, qui prévoient au profit des agents des douanes un droit de communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, ainsi que celles de l'article 334 du même code, qui concernent uniquement la forme sous laquelle doivent être consignés les résultats des contrôles et enquêtes réalisés par ces agents, si elles ne leur interdisent pas de recueillir des déclarations spontanées relatives aux éléments communiqués, ne leur confèrent pas un pouvoir général d'audition. La cour d'appel, qui rejette l'exception de nullité de l'audition pratiquée irrégulièrement par des agents des douanes, n'encourt néanmoins pas la censure dès lors que les juges, pour retenir la culpabilité des prévenus, se sont fondés sur d'autres éléments, soumis au débat contradictoire, notamment sur les constatations matérielles contenues dans les procès-verbaux


DOUANES - Procédure - Action des douanes - Enquête - Principe du contradictoire - Respect - Nécessité

Le principe du contradictoire, applicable au cours de l'enquête aboutissant à l'établissement d'un procès-verbal de notification d'infraction à la législation douanière, impose que le prévenu soit mis en mesure de faire connaître son point de vue sur les opérations litigieuses dans un délai suffisant et en connaissance de cause. N'encourt pas la censure la cour d'appel, qui, bien que s'étant fondée à tort sur l'article 67 A du code des douanes pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction tiré de ce que l'administration des douanes n'avait pas communiqué au redevable, préalablement à son établissement, les documents sur lesquels elle a fondé sa décision, a statué par des motifs dont il résulte que les prévenus, qui pouvaient solliciter auprès de l'administration des douanes la remise des documents sur lesquels était fondée sa décision dont la liste leur avait été communiquée, avaient été mis en mesure de faire connaître leur point de vue sur les importations litigieuses dans un délai suffisant et en connaissance de cause


CHOSE JUGEE - Autorité du civil sur le pénal - Procédure douanière - Etendue - Détermination

La décision du juge civil, saisi de la contestation de l'avis de mise en recouvrement de droits douaniers éludés, constatant une irrégularité de la procédure douanière, ne peut avoir au pénal l'autorité de la chose jugée et ne saurait s'imposer à la juridiction correctionnelle

Texte de la décision

N° N 21-85.747 F-B

N° 01377


SL2
9 NOVEMBRE 2022


REJET
CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 NOVEMBRE 2022


M. [M] [O], la société [2] [O] [3], M. [D] [F] et la société [12] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, en date du 16 septembre 2021, qui, pour importations sans déclaration de marchandises prohibées et fausse déclaration en valeur, les a condamnés solidairement à des amendes douanières.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, commun aux demandeurs, un mémoire additionnel, un mémoire en défense et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction régionale des douanes et droits indirects d'[Localité 1], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. L'importation d'ail extérieure à la Communauté européenne est soumise à un droit de douane sur la valeur et à un droit spécifique additionnel. Ce droit spécifique peut ne pas être dû dès lors que l'importateur a obtenu de l'établissement FranceAgriMer des certificats d'importation l'exonérant du paiement de ce droit pour certaines périodes de temps et certaines quantités, dans le cadre de contingents définis par la Commission européenne. L'importateur bénéficiant de ces certificats d'importation ne peut plus prétendre à l'exonération du droit spécifique additionnel lorsqu'il a importé la quantité d'ail indiquée sur les certificats qui lui ont été attribués. En application de l'article 6, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 341/2007 du 29 mars 2007, instaurant le régime de certificats d'importation et de certificats d'origine pour l'ail, les certificats d'importation étaient, à l'époque des faits, incessibles.

3. Le 26 juin 2010, les services des douanes ont initié un contrôle sur les importations d'ail du Mexique et d'Argentine effectuées entre 2009 et 2011 par la société [6] (société [5]), devenue la société [11], spécialisée dans le commerce d'ail en gros.

4. Par procès-verbal du 9 décembre 2013 ont été notifiées à la société [5] les infractions de fausse déclaration de destinataire réel commises à l'aide de documents inapplicables ayant conduit à éluder 341 628 euros de droits spécifiques, 1 479 euros de droits de douane et 30 821 euros de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), fausse déclaration ou manoeuvre ayant pour but ou pour effet d'obtenir, en tout ou partie, une exonération, un droit réduit ou un avantage quelconque attaché à l'importation et fausse déclaration de valeur.

5. Par procès-verbal du 10 décembre 2013 les mêmes infractions ont été notifiées à la société [2] [O] [3] en qualité d'intéressée à la fraude.

6. Selon l'administration des douanes, la société [5] avait élaboré avec la complicité de la société [2] [O] [3] un montage commercial frauduleux lui permettant de continuer à bénéficier des avantages tarifaires attachés aux certificats, consistant, après avoir épuisé son quota de certificats, à importer de l'ail argentin que la société [10] vendait avant dédouanement à différentes entités du groupe hollandais [2] [O] [3] lequel dédouanait l'ail grâce aux certificats dont il disposait au moment de l'opération, le dédouanement lui permettant d'être exonéré du paiement du droit spécifique.


7. L'administration des douanes leur a également reproché d'avoir déposé en douane au cours de l'année 2010 des déclarations sur lesquelles était faussement indiqué que les marchandises importées étaient destinées à être mises à la consommation dans un autre Etat membre de l'Union européenne, alors qu'elles n'avaient pas quitté le territoire français, ce qui avait permis à la société [5] de bénéficier indûment d'une exonération de taxe sur la valeur ajoutée.

8. Enfin les agents des douanes ont indiqué avoir constaté que le montant facturé figurant sur deux déclarations en douane avait été sous-évalué.

9. À la suite de ces notifications, deux avis de mise en recouvrement reprenant le total des droits des taxes dues ont été émis à l'encontre des sociétés [5] et [2] [O] [7], qui les ont contestés.

10. Par arrêt en date du 11 juin 2020, statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Grenoble a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement.

11. Entre temps, MM. [F] et [O], ainsi que les sociétés [5] et [2] [O] [3] ont été cités, le 4 novembre 2016, devant le tribunal correctionnel pour avoir, d'une part, commis des manoeuvres ayant eu pour effet d'éluder le paiement de 341 628 euros de droits de douane et 8 863 euros de TVA, faits constitutifs d'un délit douanier qualifié d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, d'autre part, sollicité indûment le bénéfice de l'article 262 ter, I, du code général des impôts, et ainsi éludé 25 053 euros de TVA, faits constitutifs d'un délit douanier qualifié d'importation en contrebande de marchandises prohibées, enfin, commis une fausse déclaration de valeur ayant permis d'éluder le paiement de 1 479 euros de droits de douane et 4 205 euros de TVA, contravention connexe.

12. Par jugement en date du 27 juin 2018, le tribunal correctionnel a rejeté les différentes exceptions de nullité soulevées par la défense, a déclaré l'ensemble des prévenus coupable des faits de la prévention et les a condamnés solidairement au paiement de trois amendes douanières d'un montant respectif de 1 500 euros, 645 754 euros et 314 193 euros.

13. Les prévenus et le procureur de la République ont interjeté appel de cette décision.




Examen des moyens

Sur les premiers moyens, pris en leur deuxième branche, proposés pour les demandeurs, le second moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, proposé pour M. [F] et la société [11], le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7] et le moyen additionnel, pris en sa seconde branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7]


14. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur les premiers moyens, pris en leurs premières, troisièmes, quatrièmes et cinquièmes branches proposés pour M. [F], la société [11], M. [O] et la société [2] [O] [7],

Enoncé des moyens

15. Le moyen proposé pour M. [F] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, alors :

« 1°/ que si les agents de douanes peuvent consigner dans un procès-verbal de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du code des douanes et recueillir des déclarations, l'article 334 de ce même code ne leur confère pas un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée ; qu'il résulte des propres constatations de la décision attaquée et des pièces de la procédure que M. [F], représentant de la société [11], a fait l'objet d'une audition formelle sur les fraudes supposées et sa connaissance des mécanismes mis en place ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de nullité de ces auditions réalisées en dehors de tout cadre légal, la cour d'appel a méconnu les articles 334 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le principe du contradictoire implique pour les parties le droit d'accès aux informations et la communication de toutes les pièces de la procédure ; qu'ainsi, l'administration des douanes doit communiquer à l'opérateur l'ensemble des éléments fondant sa position afin qu'il puisse utilement y répondre avant qu'elle ne lui délivre un procès-verbal d'infraction ; qu'en relevant, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, pris de la violation du contradictoire, que l'article 67 A du code des douanes applicable au moment des faits n'exigeait pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisé la référence des documents et informations sur lesquelles l'administration s'est fondée, lorsque l'absence de communication de l'intégralité des éléments sur lesquels l'administration se fonde prive le redevable de son droit d'accès aux informations et de la communication de toutes les pièces de la procédure, la cour d'appel a méconnu le droit à un procès équitable tel qu'il est défini par l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que l'action de l'administration des douanes en répression des délits douaniers se prescrit dans les mêmes délais et dans les mêmes conditions que l'action publique en matière de délits de droit commun ; qu'en rejetant l'exception de prescription de l'action fiscale, lorsque les procès-verbaux de notification du 9 et du 10 décembre 2013, entachés de nullité, n'ont pu ni interrompre ni suspendre la prescription de l'action publique à l'égard de quiconque, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 351 du code des douanes, 8 du code de procédure pénale en sa rédaction applicable à l'époque des faits, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que le juge pénal doit prendre en compte la nullité des actes définitivement prononcée par le juge civil ; que sur renvoi après cassation (Cass. com. 2 octobre 2019, pourvoi n° 18-11.286), par une décision définitive rendue le 11 juin 2020, la cour d'appel de Grenoble, statuant sur la contestation élevée par la société [10] contre l'avis de mise en recouvrement, a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement du 23 décembre 2013 ; qu'en refusant de tenir compte de cette décision et de prononcer la nullité desdits actes, aux motifs inopérants que la décision civile ne peut s'imposer au juge pénal faute d'identité d'objet et de cause, la cour d'appel a méconnu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

16. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, alors :

« 1°/ que si les agents de douanes peuvent consigner dans un procès-verbal de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du code des douanes et recueillir des déclarations, l'article 334 de ce même code ne leur confère pas un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée ; qu'il résulte des propres constatations de la décision attaquée et des pièces de la procédure que M. [F], représentant de la société [11], a fait l'objet d'une audition formelle sur les fraudes supposées et sa connaissance des mécanismes mis en place ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de nullité de ces auditions réalisées en dehors de tout cadre légal, la cour d'appel a méconnu les articles 334 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le principe du contradictoire implique pour les parties le droit d'accès aux informations et la communication de toutes les pièces de la procédure ; qu'ainsi, l'administration des douanes doit communiquer à l'opérateur l'ensemble des éléments fondant sa position afin qu'il puisse utilement y répondre avant qu'elle ne lui délivre un procès-verbal d'infraction ; qu'en relevant, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, pris de la violation du contradictoire, que l'article 67 A du code des douanes applicable au moment des faits n'exigeait pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisé la référence des documents et informations sur lesquelles l'administration s'est fondée, lorsque l'absence de communication de l'intégralité des éléments sur lesquels l'administration se fonde prive le redevable de son droit d'accès aux informations et de la communication de toutes les pièces de la procédure, la cour d'appel a méconnu le droit à un procès équitable tel qu'il est défini par l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que l'action de l'administration des douanes en répression des délits douaniers se prescrit dans les mêmes délais et dans les mêmes conditions que l'action publique en matière de délits de droit commun ; qu'en rejetant l'exception de prescription de l'action fiscale, lorsque les procès-verbaux de notification du 9 et du 10 décembre 2013, entachés de nullité, n'ont pu ni interrompre ni suspendre la prescription de l'action publique à l'égard de quiconque, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 351 du code des douanes, 8 du code de procédure pénale en sa rédaction applicable à l'époque des faits, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que le juge pénal doit prendre en compte la nullité des actes définitivement prononcée par le juge civil ; que sur renvoi après cassation (Cass. com. 2 octobre 2019, pourvoi n° 18-11.286), par une décision définitive rendue le 11 juin 2020, la cour d'appel de Grenoble, statuant sur la contestation élevée par la société [10] contre l'avis de mise en recouvrement, a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement du 23 décembre 2013 ; qu'en refusant de tenir compte de cette décision et de prononcer la nullité desdits actes, aux motifs inopérants que la décision civile ne peut s'imposer au juge pénal faute d'identité d'objet et de cause, la cour d'appel a méconnu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »



Réponse de la Cour

17. Les moyens sont réunis.

Sur les premiers moyens, pris en leurs premières branches

18. Pour écarter l'exception tirée de la nullité de l'audition de M. [F] réalisée par les agents des douanes, l'arrêt attaqué énonce que l'article 334 du code des douanes, qui impose aux agents de l'administration des douanes de consigner dans les procès-verbaux de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du même code et d'une manière générale ceux des enquêtes et interrogatoires effectués par eux, prévoit ainsi expressément la possibilité pour les agents des douanes de procéder à des interrogatoires et qu'il est constant que les agents des douanes peuvent procéder à l'occasion des opérations de contrôle à des auditions.

19. Il relève qu'en l'espèce les personnes n'ont pas refusé d'être entendues par les enquêteurs et que dès le commencement du contrôle la société a eu connaissance de sa nature.

20. Les juges ajoutent que les agents des douanes peuvent parfaitement procéder à des interrogatoires en lien avec les enquêtes qu'ils diligentent à l'occasion de leurs missions de contrôle sans qu'il soit porté atteinte au respect des droits de la défense et que ces auditions, effectuées sans contrainte, ne sauraient être confondues avec le placement en garde à vue ou la retenue douanière.

21. Ils constatent que les personnes auditionnées n'ont pas demandé à être assistées par un avocat et qu'au moment des faits l'article 67 F relatif à l'audition libre en matière douanière instaurant des droits n'était pas en vigueur, le seul cadre d'une audition étant l'audition simple prévue par l'article 334 du code des douanes ou l'audition en cas de retenue douanière avec la notification des droits comme en garde à vue en cas d'exercice d'une contrainte.

22. La cour d'appel retient que, par ailleurs, le tribunal a justement rappelé que les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu'à preuve contraire de l'exactitude de la sincérité des aveux et déclarations qu'ils rapportent.

23. C'est à tort que la cour d'appel a rejeté l'exception de nullité.

24. En effet, les dispositions de l'article 65 du code des douanes, qui prévoient au profit des agents des douanes un droit de communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, ainsi que celles de l'article 334 du même code, qui concernent uniquement la forme sous laquelle doivent être consignés les résultats des contrôles et enquêtes réalisés par ces agents, si elles ne leur interdisent pas de recueillir des déclarations spontanées relatives aux éléments communiqués, ne leur confèrent pas un pouvoir général d'audition.

25. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que les juges pour retenir la culpabilité des prévenus se sont fondés sur d'autres éléments, soumis au débat contradictoire, notamment sur les constatations matérielles contenues dans les procès-verbaux.

26. Le grief sera donc écarté.

Sur les premiers moyens, pris en leurs troisièmes branches

27. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, tiré de ce que l'administration des douanes, en violation du principe du contradictoire, n'avait pas communiqué au redevable, préalablement à son établissement, les documents sur lesquels elle a fondé sa décision, l'arrêt attaqué énonce que le principe du contradictoire, applicable au cours de l'enquête aboutissant à l'établissement d'un procès-verbal de notification d'infraction implique que le destinataire d'une décision susceptible de lui faire grief doit être à même avant cette décision de faire connaître utilement son point de vue et bénéficier pour ce faire d'un délai suffisant.

28. Il constate que l'article 67 A du code des douanes, dans sa version applicable au moment des faits, n'exige pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisée la référence des documents et informations sur lesquels l'administration s'est fondée.

29. Les juges relèvent que l'échange préalable contradictoire prévu par ledit article a eu lieu après réception par la société [2] [O] [3] de l'avis de résultat d'enquête auquel elle a répondu en présentant des observations.

30. Ils ajoutent qu'il résulte du procès-verbal du 10 décembre 2013 que le représentant de la société [2] [O] [3], régulièrement convoqué le 5 novembre 2013 afin que lui soient notifiées les infractions douanières retenues à son encontre, ne s'est pas présenté auprès de l'administration.

31. La cour d'appel en conclut que la société [2] [O] [3] a bien été mise en mesure de solliciter auprès de l'administration la communication des documents visés dans l'avis d'enquête et de faire valoir ses moyens de défense dans un délai suffisant préalablement à l'établissement du procès-verbal d'infraction et avant la délivrance de l'avis de mise en recouvrement.

32. C'est à tort que la cour d'appel s'est fondée sur les dispositions de l'article 67 A du code des douanes.

33. En effet, il résulte de l'article 67 D du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de la loi de finances rectificative pour 2009, que ne s'appliquent pas aux décisions conduisant à la notification d'infractions prévues par le code des douanes les dispositions de l'article 67 A de ce code organisant la mise en oeuvre du droit d'être entendu préalablement à toute décision prise en application du code des douanes communautaire et de ses dispositions d'application, lorsqu'elle est défavorable ou lorsqu'elle notifie une dette douanière telle que définie à l'article 4, paragraphe 9, du code des douanes communautaire (Crim., 6 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.724).

34. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses motifs que les prévenus, qui pouvaient solliciter auprès de l'administration des douanes la remise des documents sur lesquels était fondée sa décision, dont la liste leur avait été communiquée, avaient été mis en mesure de faire connaître leur point de vue sur les importations litigieuses dans un délai suffisant et en connaissance de cause.

35. Ainsi, le grief doit être écarté.

Sur les premiers moyens, pris en leurs cinquièmes branches

36. La question posée par les moyens est de savoir si une partie ayant obtenu du juge civil l'annulation de la procédure au cours de laquelle des infractions douanières ont été constatées par l'administration des douanes, peut invoquer l'autorité de la chose jugée de cette décision devant le juge pénal, saisi en vue de la répression de ces infractions.

37. L'action portée devant le juge civil tend à contester la validité de l'avis de mise en recouvrement émis par l'administration des douanes et des droits indirects en application de l'article 345 du code des douanes.

38. L'action portée devant le juge pénal tend à l'appréciation de la culpabilité de la personne poursuivie et à l'application, le cas échéant, des sanctions pénales et douanières prévues par le code des douanes.

39. Ces instances, si elles peuvent concerner les mêmes parties, n'ont ni le même objet, ni la même cause.

40. Cette distinction explique que la régularité de la procédure douanière puisse être appréciée différemment par les juridictions civiles et pénales. Les premières doivent s'assurer que l'administration des douanes a régulièrement établi un avis de mise en recouvrement, qui constitue un titre exécutoire par la loi et autorise en conséquence le recouvrement forcé de la créance sur les biens du débiteur, avant toute intervention judiciaire. Les secondes vérifient la régularité de la notification d'infractions douanières, dont les fondements juridiques et factuels seront discutés contradictoirement au cours de la procédure pénale préalablement à l'application de toute sanction.

41. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la décision du juge civil, saisi de la contestation de l'avis de mise en recouvrement de droits douaniers éludés, constatant une irrégularité de la procédure douanière, ne peut avoir au pénal l'autorité de la chose jugée et ne saurait s'imposer à la juridiction correctionnelle.

42. Le grief n'est donc pas fondé.

Sur les premiers moyens, pris en leurs quatrièmes branches

43. Les griefs, devenus sans objet du fait du rejet des deuxièmes, troisièmes et cinquièmes branches des moyens, doivent être écartés.

Sur le second moyen, pris en ses première deuxième et troisième branches, proposé pour M. [F] et la société [11] et le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]

Enoncé des moyens

44. Le moyen proposé pour M. [F] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :

« 1°/ que l'article 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union, sauf lorsque ces opérations ont été conçues artificiellement, soit que l'importateur titulaire des certificats n'assume aucun risque commercial, soit que la marge bénéficiaire de l'importateur soit insignifiante ou que les prix de la vente par les importateurs à l'acheteur dans l'Union soient inférieurs aux prix du marché ; qu'en se bornant à affirmer, pour juger que les infractions reprochées aux prévenus sont établies, que les agissements poursuivis sont constitutifs de manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 426-4 du code des douanes, sans jamais démontrer l'absence de risque commercial pour l'importateur ou le caractère insignifiant de la marge réalisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 426-4 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu' en se bornant à juger qu'en dépit de la régularité formelle de chaque opération, celles-ci, envisagées dans leur ensemble, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne, sans s'en expliquer davantage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et méconnu de plus fort les articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l'objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée ; qu'en déclarant le prévenu coupable de fausse déclaration en douane ou manoeuvre afin d'obtenir un remboursement, une exonération, une réduction ou un avantage attaché à l'import, infraction prévue par l'article 426 alinéa 1 4° du code des douanes, lorsque cette incrimination a été abrogée par l'article 30 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, entrée en vigueur le 27 décembre 2020, la cour d'appel a violé les articles 112-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

45. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :

« 1°/ que l'article 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union, sauf lorsque ces opérations ont été conçues artificiellement, soit que l'importateur titulaire des certificats n'assume aucun risque commercial, soit que la marge bénéficiaire de l'importateur soit insignifiante ou que les prix de la vente par les importateurs à l'acheteur dans l'Union soient inférieurs aux prix du marché ; qu'en se bornant à affirmer, pour juger que les infractions reprochées aux prévenus sont établies, que les agissements poursuivis sont constitutifs de manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 426-4 du code des douanes, sans jamais démontrer l'absence de risque commercial pour l'importateur ou le caractère insignifiant de la marge réalisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 426-4 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en se bornant à juger qu'en dépit de la régularité formelle de chaque opération, celles-ci, envisagées dans leur ensemble, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne, sans s'en expliquer davantage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et méconnu de plus fort les articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l'objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée ; qu'en déclarant le prévenu coupable de fausse déclaration en douane ou manoeuvre afin d'obtenir un remboursement, une exonération, une réduction ou un avantage attaché à l'import, infraction prévue par l'article 426 alinéa 1, 4°, du code des douanes, lorsque cette incrimination a été abrogée par l'article 30 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, entrée en vigueur le 27 décembre 2020, la cour d'appel a violé les articles 112-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

46. Les moyens sont réunis.

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [F] et la société [11], et le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]

47. Pour écarter le moyen tiré de l'application de la loi pénale plus douce, l'arrêt attaqué énonce que si le règlement (UE) n° 2020/760 du 17 décembre 2019, entré en application le 1er janvier 2021, a abrogé le règlement (CE) n° 341/2007 de la Commission du 29 mars 2007 et de l'article 426, 4°, du code des douanes, le premier précise néanmoins expressément que le second et le règlement d'exécution continuent de s'appliquer aux certificats d'importation et d'exportation qui ont été délivrés sur sa base jusqu'à l'expiration de ces certificats d'importation et d'exportation.

48. Il relève que, de même, si l'article 7 dudit règlement autorise la transmissibilité des certificats d'importation, celle-ci est soumise à des conditions strictes et qu'en tout état de cause la loi pénale en tant que telle n'a pas été abrogée, les articles 414 et 426, 4°, du code des douanes étant toujours en vigueur.

49. La cour d'appel en conclut que le règlement européen du 17 décembre 2019 n'a aucun impact sur la caractérisation des infractions, qu'à l'époque des faits les certificats n'étaient pas transmissibles et que les infractions étaient donc bien constituées.

50. C'est à tort que la cour d'appel a considéré que l'article 426, 4°, du code des douanes était toujours en vigueur.

51. En effet, ce texte a été abrogé par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020.

52. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure.

53. En effet, en premier lieu, il n'est pas contesté que les faits retenus contre les prévenus entrent tant dans les prévisions de l'article 426, 4°, du code des douanes, applicable au moment où ils ont été commis, que dans celles de l'article 414-2 dudit code applicable aujourd'hui, seules les peines plus douces encourues sous l'empire du premier texte pouvant être prononcées.

54. En second lieu, il résulte des articles 112-1 du code pénal et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 7 août 2018 (Clergeau e.a., n° C-115/17), que le principe de l'application immédiate de la loi pénale plus douce ne trouve pas à s'appliquer en cas d'abrogation des dispositions communautaires méconnues par les prévenus, lorsque les poursuites ont été engagées à raison d'un comportement qui reste incriminé et que les sanctions encourues n'ont pas été modifiées dans un sens moins sévère.

55. Les griefs ne sont donc pas fondés.

Sur le second moyen proposé pour M. [F] et la société [11] et le deuxième moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3], pris en leurs premières et deuxièmes branches

56. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 341/2007 de la Commission, du 29 mars 2007, portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires et instaurant un régime de certificats d'importation et de certificats d'origine pour l'ail et certains autres produits agricoles importés des pays tiers, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union européenne auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel au sens de l'article 4, paragraphe 2, de ce règlement, mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union.

57. La Cour précise que toutefois, de telles opérations sont constitutives d'un abus de droit lorsqu'elles ont été conçues artificiellement dans le but essentiel de bénéficier du tarif préférentiel.

58. La Cour conclut qu'il appartient au juge national de vérifier l'existence d'une pratique abusive, en prenant en compte les faits et les circonstances de l'espèce, y compris les opérations commerciales précédant et suivant l'importation en cause (CJUE, arrêt du13 mars 2014, SICES e.a, C-155/13).

59. L'existence d'un abus de droit implique la réunion d'un élément objectif et d'un élément subjectif.

60. Ainsi, en premier lieu, il doit ressortir d'un ensemble de circonstances objectives que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l'Union, l'objectif poursuivi par cette réglementation n'a pas été atteint.

61. En second lieu, il doit être établi que le but essentiel des opérations en cause est l'obtention d'un avantage indu.

62. En l'espèce, pour déclarer les prévenus coupables du délit de fausses déclarations ayant pour effet d'obtenir en tout ou partie un remboursement, une exonération, un droit réduit ou un avantage, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il n'est pas contestable qu'au terme de l'enquête, le fait pour la société [5], qui avait épuisé son quota de certificats, d'avoir commandé de l'ail à son fournisseur argentin, de l'avoir revendu sous douane à [2] [O] [3] puis, de l'avoir acheté après dédouanement, lui a permis de ne pas payer le droit spécifique, même si prises individuellement, les opérations d'achat, d'importation et de revente sont juridiquement valides et que la discussion porte donc sur le point de savoir si ces opérations peuvent trouver une autre justification que celle de permettre à la société [5] d'importer de l'ail en exonération de droits spécifiques ou si celle-ci, avec la complicité de la société [2] [O] [3], a élaboré un montage commercial lui permettant de continuer à bénéficier des avantages tarifaires attachés aux certificats.

63. Il retient que lors de deux périodes situées entre le 7 janvier 2010 et le 1er mars 2010 et entre le 8 février 2011 et le 10 mars 2011, correspondant au moment où la société [5] avait épuisé ses certificats d'importation, cette dernière a procédé aux opérations suivantes : elle a continué à importer de l'ail argentin qu'elle a vendu avant dédouanement à différentes entités du groupe hollandais [2] [O] [3], alors que cette dernière société bénéficiait de certificats lui permettant d'être exonérée au moment du dédouanement du paiement de droits spécifiques ; immédiatement après dédouanement la société [5] a racheté exactement la quantité d'ail qu'elle avait préalablement vendue à un prix augmenté d'une marge de l'ordre de 5 à 7 %, puis, une fois dédouanée, la marchandise arrivée à [Localité 9] et stockée à [Localité 4], a été directement transportée à [Localité 8] dans les locaux de la société [5].

64. L'arrêt relève que la société [5] a toujours avancé deux arguments pour justifier économiquement ses opérations d'achat et de revente, à savoir d'une part que l'opération d'importation d'ail originaire d'Argentine et sa revente à la société [5] ont permis à la société [2] [O] [3] de bénéficier d'une marge de 5 à 7 % pour les années 2010 et 2011 entre la valeur d'achat et la valeur de revente, d'autre part que la société [2] [O] [3], qui disposait de certificats d'importation, avait tout intérêt à importer les quantités d'ailleurs reprises sur ces documents pour éviter de s'exposer à la sanction prévue par le règlement relatif aux contingents tarifaires de l'ail importé d'Argentine.

65. Il relève également que le détail des opérations d'achat et de revente réalisées permet de recenser trente-cinq opérations qui seraient d'après M. [F] de simples opérations spéculatives, ce dernier soutenant qu'il vend sa marchandise car il n'en a pas besoin et la rachète en fonction du marché, mais que ce n'est pas la société [2] [O] [3] qui est à l'origine de l'importation d'ail mais bien la société [5], qui achète l'ail en Argentine à son fournisseur et achemine ensuite la marchandise vers l'Union européenne, [2] [O] [3] ne procédant en fait qu'au dédouanement.

66. Les juges exposent que si la société [2] [O] [3] a certes un intérêt économique à procéder à la revente à [5] puisqu'elle en tire un bénéfice, il peut être remarqué également que cette dernière a perdu au total au moins en deux mois plus de 100 000 euros lors de ces opérations d'achat et de revente, que vingt-quatre des trente-cinq opérations d'achat/revente se déroulent dans la même journée ou sur deux jours, que les autres opérations se déroulent également dans un délai très court et que cette manière de procéder tend effectivement à démontrer que la société [5] est assurée de disposer d'une marchandise comme bon lui semble, qu'elle a pourtant vendue à [2] [O] [3] et dont elle n'est en conséquence plus le propriétaire.

67. Ils soulignent que l'argument de la simple logique spéculative invoqué par la défense cède au vu du constat des pertes de plus de 100 000 euros enregistrées par la société [5] sur la période considérée et engendrées par les transactions opérées avec [2] [O] [3], alors que le mécanisme suivi décrit, qui n'intervient que lorsque la société [5] ne dispose plus de ses propres certificats et qui représente environ 30 % de ses importations d'ail, lui permet d'éviter d'avoir à payer sur les quantités considérées 341 628 euros de droits spécifiques et que déduction faite du bénéfice réalisé par [2] [O] [3], soit 106 046 euros, la société [5] a pu bénéficier d'un gain net de 235 582 euros.

68. Ils en déduisent que la société [5] peut être donc considérée comme l'importateur effectif ayant bénéficié du tarif préférentiel auquel elle ne pouvait normalement pas prétendre.

69. Les juges ajoutent que les prévenus invoquent vainement la position de la Cour de justice de l'Union européenne qui leur permettrait selon eux désormais de procéder aux opérations considérées par les douanes comme litigieuses, l'application de la réglementation de l'Union ne pouvant être étendue jusqu'à couvrir des pratiques abusives d'opérateurs, c'est-à-dire des opérations réalisées non pas dans le cadre de transactions commerciales normales, mais seulement dans le but de tirer abusivement avantage du droit de l'Union.

70. Ils énoncent à ce titre qu'il ressort des éléments qui précèdent et en dépit de la régularité formelle de chaque opération, que celles-ci, envisagées dans leur ensemble, sur deux campagnes successives, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne.

71. Ils indiquent qu'il a pu être observé que la société [5] a procédé ainsi uniquement avec la société [2] [O] [3] et n'avait pas d'autres fournisseurs dans ce domaine spécifique et que les opérations ont ainsi permis à la société [5], acheteur dans l'Union, qui est également un importateur ayant épuisé ses propres certificats, de se fournir en ail importé à tarif préférentiel et d'étendre son influence sur le marché au-delà de la part du contingent tarifaire qui lui était attribuée.

72. Ils relèvent également que l'enquête a démontré que la marchandise provenant d'Argentine et vendue par la société [5] à [2] [O] [3], qui était rachetée le jour même de son dédouanement par [5], ne quittait jamais le territoire français après stockage et était directement acheminée dans les entrepôts de la société [5] sans jamais passer par les Pays-Bas, faisant de la société [5] le destinataire réel de la marchandise et qu'en outre, la société [5] assurait la totalité du transport et de la logistique, contactait d'ailleurs le commissionnaire en douane en vue du dédouanement pourtant réalisé au nom de [2] [O] [3] et in fine remboursait les droits de douane acquittés.

73. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments l'existence d'un abus de droit, a justifié sa décision.

74. En effet, en premier lieu, s'agissant de l'élément objectif de l'abus de droit et en ce qui concerne la finalité du règlement n° 341/2007, il ressort des considérants 13 et 14 de ce règlement, lus en combinaison avec les considérants 9 et 10 de ce même règlement, qu'il y a lieu, dans la gestion des contingents tarifaires, de sauvegarder la concurrence entre les véritables importateurs de sorte qu'aucun importateur individuel ne soit capable de contrôler le marché.

75. Or, les opérations litigieuses ne permettent pas d'atteindre cet objectif, dès lors qu'elles peuvent conduire l'acheteur dans l'Union, qui est également un importateur traditionnel ayant épuisé ses propres certificats « A » et n'étant par suite plus en mesure d'importer de l'ail au tarif préférentiel, de se fournir en ail importé à tarif préférentiel et d'étendre son influence sur le marché au-delà de la part du contingent tarifaire qui lui a été attribuée.

76. En second lieu, s'agissant de l'élément subjectif de l'abus de droit, il résulte des motifs de l'arrêt, que si les opérations litigieuses n'ont pas été dénuées de tout avantage pour la société [2] [O] [3], elles ont été conçues artificiellement dans le but essentiel de bénéficier du tarif préférentiel, l'importateur titulaire des certificats « A » n'ayant assumé aucun risque commercial.

77. Les griefs doivent en conséquence être écartés.

Mais sur le moyen additionnel, pris en sa première branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]

Enoncé du moyen

78. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :

« 1°/ que l'article 399, § 1, du code des douanes punit « ceux qui ont participé comme intéressés d'une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d'importation ou d'exportation sans déclaration » ; qu'en retenant, pour déclarer la société [2] [O] [3] coupable de l'infraction de fausse déclaration en valeur prévue à l'article 412 du code des douanes, de nature contraventionnelle, que sa responsabilité est engagée en qualité d'intéressé à la fraude de l'infraction douanière relevée (arrêt attaqué p. 18), la cour d'appel a méconnu les articles 399, § 1 et 412 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 399 du code des douanes :

79. Il résulte de ce texte que l'intéressement à la fraude n'est punissable que si cette fraude à un caractère délictuel.

80. Pour déclarer M. [O] et la société [2] [O] [3] coupables du chef de fausse déclaration en valeur, contravention prévue et réprimée par l'article 412 du code des douanes, l'arrêt attaqué, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de l'infraction, retient que leur responsabilité est engagée en qualité d'intéressés à la fraude.

81. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

82. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

83. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [O] et de la société [2] [O] [3] du chef de la contravention de fausse déclaration en valeur et à l'amende douanière de 1 500 euros prononcée en répression à leur encontre. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par M. [F] et la société [12] anciennement [6] :

REJETTE les pourvois ;

Sur les pourvois formés par M. [O] et la société [2] [O] [3] :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 16 septembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [O] et de la société [2] [O] [3] du chef de la contravention de fausse déclaration en valeur et à l'amende douanière de 1 500 euros prononcée en répression à leur encontre, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf novembre deux mille vingt-deux.

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