9 novembre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.230

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO01186

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 novembre 2022




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1186 F-D

Pourvoi n° A 21-16.230







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 NOVEMBRE 2022

La Régie autonome des transports parisiens, établissement public à caractère industriel et commercial (RATP), dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° A 21-16.230 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [W] [N], domicilié [Adresse 4],

2°/ à M. [Z] [B], domicilié [Adresse 3],

3°/ à M. [U] [E], domicilié [Adresse 2],

4°/ à Mme [M] [K], domiciliée [Adresse 7],

5°/ à Mme [C] [I], domiciliée [Adresse 8],

6°/ à Mme [Y] [G], domiciliée [Adresse 5],

7°/ à Mme [T] [A], domiciliée [Adresse 9],

8°/ à M. [J] [H], domicilié [Adresse 1],

agissant tous tant pour leur compte, qu'en leur qualité de membre de la délégation du personnel du CSE et pour le compte de Mme [S],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Régie autonome des transports parisiens, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de MM. [N], [B], [E], Mmes [K], [I], [G], [A] et de M. [H], après débats en l'audience publique du 21 septembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire ayant voix délibérative, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 2021), le 10 janvier 2019, huit membres élus au conseil social et économique d'établissement 3 bus/MRP (le comité social et économique) de l'Epic la RATP (la RATP) ont informé l'employeur de ce qu'ils entendaient faire usage de leur droit d'alerte sur le fondement de l'article L. 2312-59 du code du travail, au motif d'une « discrimination à l'encontre d'une femme enceinte au dépôt de la Croix Nivert ».

2. Les élus ayant exercé leur droit d'alerte ont été conviés par l'employeur à une réunion du 16 janvier 2019, de 14 heures à 16 heures, à laquelle deux élus ont assisté.

3. Soutenant notamment que le temps passé par les membres de la délégation du personnel présents lors de la réunion du 16 janvier 2019 devait être rémunéré comme du temps de travail effectif sans être déduit des heures de délégation, MM. [N], [B], [E] et [H] et Mmes [K], [I], [G] et [A], en leur qualité de membre de la délégation du personnel au comité social et économique, ont saisi, le 10 avril 2019, la juridiction prud'homale de diverses demandes tendant notamment à condamner la RATP à verser aux demandeurs présents à la réunion du 16 janvier 2019 la rémunération afférente au temps passé à celle-ci.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La RATP fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à MM. [N] et [B] le temps passé à la réunion du 16 janvier 2019 comme temps de travail effectif sans qu'il soit déduit de leurs heures de délégation et de la condamner à payer aux élus du comité social et économique, ès qualités, la somme de 2 000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que selon l'article L. 2315-11 du code du travail, seules certaines activités limitativement énumérées des membres de la délégation du personnel au comité social et économique ne sont pas déduites de leur crédit d'heures de délégation ; que le temps lié à l'exercice du droit d'alerte prévu par l'article L. 2312-59 du code du travail, en cas d'atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise, n'est pas visé par l'article L. 2315-11 du code du travail et doit en conséquence s'imputer sur le crédit d'heures de délégation ; qu'en affirmant néanmoins, pour condamner la RATP à payer le temps passé par deux membres du CSE à la réunion du 16 janvier 2019 comme temps de travail effectif sans qu'il doit déduit de leurs heures de délégation, que cette réunion a été organisée par la direction du dépôt de la Croix Nivert et que l'atteinte aux droits des personnes constitue une situation d'urgence et de gravité, la cour d'appel a violé les textes précités. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2312-59 et L. 2315-11 du code du travail :

6. L'article L. 2312-59, alinéas 1er et 2, du code du travail dispose que si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. L'employeur procède sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.

7. Selon l'article L. 2315-11 du même code, est également payé comme temps de travail effectif le temps passé par les membres de la délégation du personnel du comité social et économique :
1° à la recherche de mesures préventives dans toute situation d'urgence et de gravité, notamment lors de la mise en œuvre de la procédure de danger grave et imminent prévue à l'article L. 4132-2 ;
2° aux réunions du comité et de ses commissions, dans ce cas dans la limite d'une durée globale fixée par accord d'entreprise ou à défaut par décret en Conseil d'Etat ;
3° aux enquêtes menées après un accident du travail grave ou des incidents répétés ayant révélé un risque grave ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave ;
Ce temps n'est pas déduit des heures de délégation prévues pour les membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique.

8. Il résulte de ces textes que le temps passé par les membres de la délégation du personnel au comité social et économique à l'exercice de leur droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes s'impute sur leur crédit d'heures de délégation.

9. Pour condamner la RATP à payer à MM. [N] et [B] le temps passé à la réunion du 16 janvier 2019 comme temps de travail effectif sans qu'il soit déduit de leurs heures de délégation, l'arrêt retient que la réunion du 16 janvier 2019, sollicitée par les élus, a été organisée par la direction du dépôt de La Croix Nivert, qu'ainsi, le temps passé à cette réunion par les élus du comité social et économique constitue du temps de travail effectif et ne peut pas être déduit de leur temps de délégation, l'atteinte aux droits des personnes constituant une situation d'urgence et de gravité, « de sorte que des mesures préventives aient pu être prises ».

10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la réunion du 16 janvier 2019 avait été organisée par l'employeur à la demande des membres de la délégation du personnel au comité social et économique ayant exercé leur droit d'alerte en cas d'atteinte aux droits des personnes, ce dont il résultait que le temps passé à ladite réunion devait être déduit de leur crédit d'heures de délégation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'Epic la RATP à payer à MM. [N] et [B] le temps passé à la réunion du 16 janvier 2019 comme temps de travail effectif sans qu'il soit déduit de leurs heures de délégation et à payer à chacun d'eux la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne MM. [N], [B], [E] et [H] et Mmes [K], [I], [G] et [A] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Régie autonome des transports parisiens


PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'EPIC RATP fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement du 12 janvier 2020 en ce qu'il a dit que le temps passé à la réunion du 16 janvier 2019 s'imputait sur les heures de délégation de MM. [N] et [B], de l'AVOIR condamné à payer à MM. [N] et [B] le temps passé à la réunion du 16 janvier 2019 comme temps de travail effectif sans qu'il soit déduit de leurs heures de délégation et de l'AVOIR condamné à payer aux élus du CSE, ès qualités, la somme de 2.000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

1. ALORS QUE selon l'article L. 2315-11 du code du travail, seules certaines activités limitativement énumérées des membres de la délégation du personnel au comité social et économique ne sont pas déduites de leur crédit d'heures de délégation ; que le temps lié à l'exercice du droit d'alerte prévu par l'article L. 2312-59 du code du travail, en cas d'atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise, n'est pas visé par l'article L. 2315-11 du code du travail et doit en conséquence s'imputer sur le crédit d'heures de délégation ; qu'en affirmant néanmoins, pour condamner la RATP à payer le temps passé par deux membres du CSE à la réunion du 16 janvier 2019 comme temps de travail effectif sans qu'il doit déduit de leurs heures de délégation, que cette réunion a été organisée par la direction du dépôt de la Croix Nivert et que l'atteinte aux droits des personnes constitue une situation d'urgence et de gravité, la cour d'appel a violé les textes précités ;

2. ALORS QUE lorsqu'un représentant du personnel refuse qu'un temps non-travaillé soit rémunéré au titre de ses heures de délégation, l'employeur ne peut lui imposer un tel paiement, ce qui reviendrait à décider à la place de l'intéressé de l'usage du crédit d'heures qui lui est alloué pour exercer ses fonctions de représentant du personnel ; que, dans ses conclusions d'appel, la RATP faisait valoir qu'elle avait informé les deux élus qu'elle payerait le temps passé à la réunion du 16 janvier 2019, en l'imputant sur leur crédit d'heures de délégation, mais que ces derniers avaient refusé une telle imputation ; qu'en reprochant à la RATP de n'avoir pas procédé au paiement du temps passé à la réunion du 16 janvier 2019 aux deux salariés qui y ont assisté, sans s'expliquer sur la portée du refus des salariés de voir imputer ce temps sur leur crédit d'heures, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2315-7 et L. 2315-10 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION, SUBSIDIAIRE et EVENTUEL

L'EPIC RATP fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamné à payer aux élus du CSE, ès qualités, la somme de 2.000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

1. ALORS QUE le juge ne peut allouer à une partie plus que ce qu'elle a demandé ; que, dans le dispositif de leurs conclusions d'appel communes, les huit membres du comité social et économique qui avaient exercé un droit d'alerte, demandaient à la cour d'appel de « condamner l'EPIC RATP au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC », soit une somme globale pour couvrir leurs frais irrépétibles communs ; qu'en condamnant néanmoins l'EPIC RATP à payer à chacun des élus du CSE la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, soit au total 16.000 euros, la cour d'appel a statué au-delà de leurs prétentions et violé l'article 5 du code de procédure civile ;

2. ALORS QUE le juge qui met les dépens et les frais irrépétibles à la charge de la partie qui gagne le procès doit motiver sa décision ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a débouté les huit salariés membres de la délégation du personnel au comité social et économique de leur demande tendant à voir ordonner la tenue d'une enquête suite au droit d'alerte et n'a fait droit qu'à la demande de deux d'entre eux d'obtenir le paiement du temps passé à la réunion du 16 janvier 2019 comme du temps de travail effectif sans qu'il doit déduit de leurs heures de délégation ; qu'en conséquence, les six autres salariés ont été déboutés de toutes leurs demandes, de sorte que la cour d'appel ne pouvait, sans une motivation spécifique, condamner la RATP à verser à ces six salariés, parties succombantes, 2.000 euros à chacun au titre des frais irrépétibles ; qu'elle a en conséquence violé les articles 696 et 700 du code de procédure civile.

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