25 octobre 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/09671

Pôle 5 - Chambre 16

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre commerciale internationale

PÔLE 5 - CHAMBRE 16



ARRET DU 25 OCTOBRE 2022



(n°87/2022 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09671 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDW4T



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Mars 2021 -Tribunal de Commerce de Paris/ France - RG n° 2019030089





APPELANTE



S.A.R.L. COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION

société à responsabilité limitée de droit tunisien,

ayant son siège social : [Adresse 6] (TUNISIE)

prise en la personne de son représentant légal,



représentée par Me Emmanuel ARNAUD, du cabinet VIDAPARM, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C0722 et assistée par Me Ambroise ARNAUD, du cabinet VIDAPARM, avocat plaidant du barreau de MARSEILLE





INTIMEE



MOCANO LOGISTIQUE

société anonyme de droit monégasque, immatriculée au répertoire du commerce et de l'industrie de MONACO sous le numéro 97.S.03376,

ayant son siège social : [Adresse 1]

prise en la personne de son représentant légal,



représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque :B515 et assistée de Me Thomas GIACCARDI, avocat plaidant du barreau de MONACO





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère, et Mme Laure ALDEBERT, Conseillère, chargée du rapport.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Daniel BARLOW,

Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère



Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI







ARRÊT :



- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Daniel BARLOW, et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






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*



I/FAITS ET PROCÉDURE



1-La société COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION (ci-après désignée « CMC ») est une société de droit tunisien qui selon l'extrait du registre des entreprises produit a pour activité principale le transport des marchandises pour le compte d'autrui et la consignation des navires.



2-La société [Localité 2] LOGISTIQUE (ci-après désignée « ML »), immatriculée au Répertoire du commerce et de l'industrie de Monaco, a pour objet social le transport et la gestion logistique de marchandises.



3-La société CMC et la société ML ont été en relations commerciales depuis 2002 pour le transport de marchandises entre la Tunisie et la France et inversement de la France à la Tunisie, la société CMC agissant sur le sol tunisien.



4-Ces relations commerciales, qui n'avaient pas été formalisées par un contrat écrit, ont fait l'objet d'un « accord de collaboration dans le cadre d'une relation commerciale » conclu à [Localité 3] le 17 février 2017, dit « Accord de Collaboration » (ci-après « l'Accord), pour une durée de deux ans renouvelable tacitement sauf dénonciation avec un préavis de deux mois.

5-En 2018, la société ML a souhaité signer un nouvel accord de collaboration avec la société CMC sur lequel les parties ne sont pas parvenues à s'entendre.



6-C'est dans ce contexte que, par courrier du 7 décembre 2018, la société ML a notifié à la société CMC sa volonté de résilier leur Accord avec un préavis de rupture de deux mois mettant un terme à leur collaboration au 28 février 2019.



7- Revendiquant le statut d'agent commercial, la société CMC a, par exploit en date du 25 mars 2019, fait assigner la société ML devant le tribunal de commerce de Paris en paiement d'indemnités de préavis et de cessation de contrat sur le fondement de l'article L. 134-1 du code de commerce, sollicitant en outre une indemnité pour rupture abusive.



8- Par jugement rendu le 4 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris a :



- Débouté la SA de droit monégasque [Localité 2] LOGISTIQUE de l'ensemble de ses demandes ;



- Condamné la SA de droit monégasque [Localité 2] LOGISTIQUE à payer à la SARL de droit tunisien COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale ;



- Condamné la SA de droit monégasque [Localité 2] LOGISTIQUE à payer à la SARL de droit tunisien COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale ;





- Condamné la SA de droit monégasque [Localité 2] LOGISTIQUE à payer à la SARL de droit tunisien COMPAGNE MARITIME DE CONSIGNATION la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du CPC



- Débouté la SARL de droit tunisien COMPAGNE MARITIME DE CONSIGNATION de ses demandes autres, plus amples ou contraires



9- La société CMC et la société ML ont respectivement le 21 mai et le 9 juillet 2021 interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris.



10-Les instances ont été enrôlées sous les numéros de RG 21/ 0967 et 21/13064.



11-La clôture a été prononcée dans les deux affaires le 7 juin 2022.





II/ PRÉTENTIONS



Sur la procédure RG 21/09671



12- Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2022, la société CMC demande à la cour, au visa de l'article L 134-1 et suivants du Code de commerce, de l'activité d'agent commercial de la Compagnie Maritime de Consignation pour la société [Localité 2] LOGISTIQUE depuis 2002, du dernier Accord de collaboration du 17/02/2017 entre la Compagnie Maritime de Consignation et la société [Localité 2] LOGISTIQUE dans le cadre d'une relation d'agent commercial, des CMR signées et tamponnées par ML comme transporteur, et du préavis de rupture irrégulier de deux mois et 21 jours donné par la société [Localité 2] LOGISTIQUE, de :



- La déclarer recevable en son appel ;



- Réformer le jugement déféré à la Cour en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement par la société [Localité 2] LOGISTIQUE d'une indemnité pour manque à gagner jusqu'au terme de la période contractuelle courant du 28 février 2019 au 28 février 2021 ;



- Condamner la société [Localité 2] LOGISTIQUE à lui payer la somme de 469 626,10 euros au titre de l'indemnité pour manque à gagner jusqu'au terme de la période contractuelle, soit le 28 février 2021, avec les intérêts légaux à compter de la date de l'assignation introductive d'instance signifiée le 15/05/2019 ;



- Réformer le jugement déféré à la Cour en ce qu'il a l'a débouté de sa demande en paiement par la société [Localité 2] LOGISTIQUE d'une indemnité de cessation de contrat prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce ;



- Condamner la société [Localité 2] LOGISTIQUE à lui payer la somme de 469 626,10 euros au titre de l'indemnité de cessation de contrat prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce, avec les intérêts légaux à compter de la date de l'assignation introductive d'instance signifiée le 15/05/2019.



- Condamner la société [Localité 2] LOGISTIQUE à payer la somme de 234 813,05 euros au titre de l'indemnité pour rupture déloyale et abusive de l'Accord de collaboration du 17 février 2017, avec les intérêts légaux à compter de la date de l'assignation introductive d'instance signifiée le 15/05/2019 ;



-Débouter la société [Localité 2] LOGISTIQUE de ses demandes.



A TITRE SUBSIDIAIRE



Vu la relation commerciale établie de 2002 à 2018 entre la société [Localité 2] LOGISTIQUE et la COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige,

Vu la brutalité de la rupture par la société [Localité 2] LOGISTIQUE de sa relation commerciale établie avec la COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION,



- Réformer le jugement dont appel sur le quantum de la marge brute et sur le préjudice commercial ;



- Recevoir la COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION en sa demande subsidiaire;

- Condamner à ce titre la société [Localité 2] LOGISTIQUE à lui payer la somme finale de 519. 626,10 euros au titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices suivants :



' Le préjudice lié à la perte de marge brute pour un montant de 469. 626,10 euros;



' Le préjudice commercial et d'atteinte à la renommée subi par la COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION pour un montant de 50. 000 euros ;



- Débouter la société [Localité 2] LOGISTIQUE de ses demandes.



- Condamner la société [Localité 2] LOGISTIQUE à lui payer la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du CPC et les entiers dépens.



12-Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 avril 2022, la société ML demande à la cour, aux visas des articles L. 134-1 et suivants et L. 442-1, II, du code de commerce, de l'article 1353 du code civil, des articles 4, 5 et 367 du code procédure civile, et de l'article 1240 du code civil, de bien vouloir :



' ordonner la jonction des instances enrôlées sous les n° RG 21/13064 et 21/09671,



' confirmer le jugement du Tribunal de Commerce en date du 4 mars 2021 en ce qu'il a dit que l'Accord du 17 février 2017 conclu entre les sociétés COMPAGNIE MARITIME DE CONSIGNATION et [Localité 2] LOGISTIQUE est un accord de sous-traitance et a débouté cette dernière de ses demandes de ce chef,



' réformer le jugement du Tribunal de Commerce en date du 4 mars 2021 en ce qu'il a condamné la Société [Localité 2] LOGISTIQUE à payer à la Société COMPAGNIE MARITIME DE NAVIGATION la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de l'Accord du 17 février 2017,



' réformer le jugement du Tribunal de Commerce en date du 4 mars 2021 en ce qu'il a débouté la Société [Localité 2] LOGISTIQUE de sa demande reconventionnelle en procédure abusive,



Et, statuant à nouveau :



' débouter la Société COMPAGNIE MARITIME DE NAVIGATION de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;



' condamner la Société COMPAGNIE MARITIME DE NAVIGATION à payer à la société [Localité 2] LOGISTIQUE la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de son action en justice et du préjudice causé à ce titre ;



' condamner la Société COMPAGNIE MARITIME DE NAVIGATION à payer à la Société [Localité 2] LOGISTIQUE la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 CPC, en sus des entiers dépens de la procédure.







Sur la procédure RG 21/13064



13-Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique 14 avril 2022, la société [Localité 2] Logistique a formé les mêmes demandes que celles précitées.



14-Les conclusions en réplique de la société CMC notifiées par voie électronique le 17 mai 2022 sont identiques à celles régularisées dans la procédure RG 21/0967.





III/ MOTIFS DE LA DECISION





Sur la jonction



15-Il convient, en application de l'article 367 du code de procédure civile et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction de l'affaire RG 21/09671 avec l'affaire RG 21/13064 et de statuer par une seule décision.





Sur la loi applicable



16- Par application de l'article 3 de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, les parties conviennent que le litige est soumis à la loi choisie par elles dans l'Accord, qui en l'espèce est le droit français.





Sur la nature de la relation commerciale



17-La société CMC critique le jugement en ce qu'il a retenu que l'Accord n'était pas un contrat d'agent commercial mais un accord de sous-traitance.



18-Elle soutient, en s'appuyant sur le contenu de l'Accord dans lequel elle est désignée « agent » du transporteur ML et sur de nombreux courriels, avoir agi des centaines de fois pendant 17 ans sur instructions, au nom et pour le compte de la société ML, pour organiser des transports ou démarcher des clients (organiser des visites commerciales) sur le sol tunisien.



19- Elle prétend qu'elle a négocié les marchés de la société ML, qui donnait son accord sur les prix, et qu'elle a recherché du fret sur le marché tunisien pour le compte de ML, qui émettait par la suite les conventions relatives au transport international de la marchandise par route, dites « CMR », incluant la réservation d'espaces sur les remorques.



20-Elle indique que sa rémunération était facturée sur la base d'un tarif forfaitaire qui variait en fonction « du nombre de remorques effectuées » équivalent à des commissions.



21-En réponse la société ML sollicite la confirmation du jugement sur ce point et soutient que les relations commerciales entretenues entre les parties étaient dépourvues des caractéristiques du contrat d'agence commerciale.



22-A cet égard, elle prétend que la société CMC intervenait en qualité de prestataire de services sous-traitant pour les besoins d'acheminement des marchandises sur le sol tunisien une fois les marchandises arrivées au port de [Localité 4] ou pour les transporter audit port.



23-Elle fait valoir que la société CMC n'a pas agi comme mandataire pour l'obtention des marchés et qu'elle ne disposait pas d'un pouvoir de négociation des tarifs pratiqués.











Sur ce :



24-Le statut de l'agent commercial est régi par les articles L.134-1 et suivants du Code de commerce.



25-Aux termes de ce texte, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.



26-Ces dispositions légales sont issues de la transposition de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986.



27-L'article 3 de cette Directive définit les obligations de l'agent commercial comme suit:



« 1. Il doit, dans l'exercice de ses activités, veiller aux intérêts du commettant et agir loyalement et de bonne foi.



2. En particulier, il doit :

a) s'employer comme il se doit à la négociation et, le cas échéant, à la conclusion des opérations dont il est chargé ;

b) communiquer au commettant toute information nécessaire dont il dispose ;

c) se conformer aux instructions "raisonnables" données par le commettant. »



28-Il en résulte que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.



29-La négociation dont est chargé l'agent commercial s'entend de l'ensemble des démarches, discussions et rencontres organisées par lui en vue de trouver des prospects et de les inciter à conclure un contrat avec le mandant, étant rappelé que l'essence de sa mission est de rechercher et procurer à ce dernier des nouveaux clients et de les fidéliser, tout en étant libre de l'organisation de ses modalités de travail et sachant que la clientèle ainsi constituée sera commune aux deux parties, mandant et agent, lequel peut d'ailleurs être en charge d'autres mandats (sauf exclusivité contractuelle).



30-Il est rappelé en outre que la qualité de mandataire indépendant de l'agent commercial s'entend tout à la fois de ce qu'il exerce à ses risques et se trouve libre et autonome s'agissant de son organisation de travail, ce qui le différencie du simple mandataire.



31-Il appartient ainsi à la société CMC de démontrer que les conditions dans lesquelles elle a réellement exercé son activité sont celles du contrat d'agence commerciale.



32-Il est à cet égard établi que la société CMC, dans sa relation avec la société ML, exécutait des prestations de camionnage sur le terrain tunisien dans le cadre d'une ligne de groupage au départ de [Localité 2]/ Sud Est de la France à destination de [Localité 5], et inversement.



33-Il est acquis, selon les termes de l'Accord figurant sous l'article 1er « objet de l'accord », que la société CMC était chargée de tracter les remorques appartenant à la société ML pour effectuer les trajets depuis le port de [Localité 4] jusqu'à l'entrepôt de CMC ou aux clients finaux sur le sol tunisien, qu'il en était de même pour les retours et qu'elle était rémunérée au nombre de remorques tractées selon un tarif convenu entre elles.



34- La société CMC soutient en substance qu'en réalité, tout au long de la durée de leur relation, elle a obtenu, grâce à son intervention, des commandes pour le compte de la société ML et lui a fourni un service d'agent commercial et de représentation en Tunisie comme figurant dans l'Accord désignant « CMC agissant en qualité d'agent en Tunisie » et ML « en sa qualité de transporteur et commissionnaire de transport ».



35-Toutefois, il ressort des multiples courriels et des factures de la société CMC à la société ML de 2012 à 2017 produits au débat que la société CMC est intervenue sur le sol tunisien en tant que transporteur pour réaliser des prestations de traction et de camionnage dans le cadre d'une relation avec la société ML consistant en une sous-traitance réciproque pour l'importation et l'exportation des marchandises entre la France et la Tunisie.



36- L'existence de cette relation commerciale est matérialisée par l'Accord dans lequel les parties ont décrit par écrit leur collaboration depuis 2002. Même si celui-ci emprunte le terme d'Agent pour désigner la société CMC, il résulte des éléments ci-dessus qu'il s'agit d'une relation de sous-traitante rémunérée par un tarif à la remorque ce qui ne constitue pas des commissions, au sens des dispositions de l'article L134-1 et suivants du code de commerce.



37 Les parties ont en effet indiqué dans leur Accord que « la CMC s'engage à porter assistance en transport à la ML pour toutes les demandes sur le sol tunisien. La ML s'engage à fournir tout service de transport et de logistique à la CMC pour toutes ses demandes sur le sol monégasque et Sud-Est de la France » (article 1 intitulé « Objet de l'Accord ») moyennant une rémunération calculée par remorque pour les clients de ML, selon un forfait convenu et non une commission calculée sur le chiffre d'affaires ou sur les prestations réalisées par son intermédiaire.



38-Il résulte également de la lecture des courriels que la société ML sollicitait des devis auprès de la société CMC pour assurer les livraisons de sa clientèle, à l'export comme à l'import, qu'elle facturait directement, et qu'inversement, la société CMC sollicitait des devis pour assurer la livraison de sa propre clientèle.



39-Il n'est pas contesté que, dans le cadre de cette collaboration, la société ML appliquait à ses clients le montant de ses tarifs intégrant le coût du transport sur le sol tunisien sur la base de tarifs pratiqués et préalablement communiqués par la société CMC correspondant au prix des prestations de camionnage sur le sol tunisien.



40-Ces prestations étaient facturées selon des tarifs clairement dénommés par la société CMC « Tarifs d'assistance entre CMC et ML » que la société CMC a produit sur plusieurs années et qui servaient au calcul de sa rémunération facturée à la société ML en fonction du nombre de remorques tractées sur le sol tunisien.



41-Enfin, la société CMC, qui ne produit que des échanges entretenus avec la société ML, ne rapporte pas la preuve d'une activité de démarchage de clientèle de la société ML pour laquelle la société ML se déplaçait au demeurant en Tunisie, ces échanges confirmant l'existence entre elles d'une collaboration commerciale de sous-traitance au bénéfice des deux, en dehors de tout pouvoir de négociation.



42-Par conséquent, il convient de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'elle a jugé que la société CMC ne pouvait pas bénéficier du statut d'agent commercial dans sa relation avec la société ML et débouté la société CMC de ses demandes d'indemnités en cas de rupture, fondées sur ce statut.





Sur la demande subsidiaire de la société CMC en indemnisation sur le fondement de la rupture brutale de la relation établie



43-La société CMC demande subsidiairement à la cour de confirmer la décision de première instance qui a retenu la responsabilité de la société ML pour avoir rompu brutalement une relation commerciale établie depuis plus 17 ans mais de l'infirmer sur le montant qui ne correspond pas à la réalité du préjudice subi.





44-Elle soutient que le tribunal n'a pas statué ultra petita sur ce chef de demande mais que selon l'article 12 du code de procédure civile, il a restitué à sa demande en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive son exacte qualification sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce.



45-Elle expose que la société ML a tiré profit de son refus de signer le projet d'un nouveau contrat dans lequel elle perdait son statut et devenait transporteur, pour mettre fin à une relation commerciale établie depuis 17 ans sans respecter le délai de préavis exigible, qu'elle évalue à 24 mois eu égard à l'ancienneté de leurs relations.



46-Elle soutient que ce manquement lui ouvre droit à des dommages et intérêts pour la période de préavis non respectée, correspondant selon la jurisprudence constante à la perte de sa marge brute calculée sur la moyenne des trois dernières années, qu'elle estime à la somme de 469 626,10 euros, à laquelle s'ajoute la somme de 50 000 euros au titre du préjudice commercial et d'atteinte à l'image.



47-En réponse, la société ML demande l'infirmation de la décision des premiers juges sur ce point en faisant valoir en premier lieu que le tribunal était saisi d'une demande d'indemnisation pour rupture abusive et qu'en la condamnant à payer 100 000 euros de dommages et intérêts pour rupture « brutale » il a statué sur une demande dont il n'avait pas été saisi.



48-Elle soutient en second lieu que le tribunal a retenu à tort qu'en ayant mis fin à la relation commerciale le 7 décembre 2018, la résiliation de la convention lui était imputable alors qu'elle avait fait une proposition de signature d'un nouveau contrat tenant compte de l'évolution de leurs relations contractuelles plusieurs fois évoquées avec la société CMC.



49-Elle expose que la société CMC est restée sourde au projet de nouvel accord la faisant apparaître comme transporteur ce qui n'était que la traduction de la réalité opérationnelle, sans modification substantielle ni tarifaire et que la société CMC a préféré entamer une procédure judiciaire pour obtenir le paiement d'indemnités plutôt que de poursuivre leur collaboration.



50-En outre, elle conteste le caractère brutal de la rupture dès lors que c'est la société CMC qui s'est opposée à la poursuite de leur collaboration et qu'elle a observé le délai de préavis contractuel de deux mois qu'elle a même augmenté de 24 jours.



51-Enfin, elle fait valoir que le tribunal ne pouvait pallier la carence de la preuve de la société CMC de son préjudice en allouant une somme forfaitaire de 100 000 euros.





Sur ce



52-Selon l'article 12 du code de procédure civile, « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ».



53-En l'espèce, il n'est pas contesté qu'en première instance la société CMC a formé une demande de dommages et intérêts pour rupture abusive de leur relation commerciale eu égard à l'ancienneté des relations, à laquelle le tribunal a répondu en allouant la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale sans viser de fondement juridique particulier.



54-La société ML partant du postulat qu'il existe une distinction de fondement entre une « rupture abusive » et « rupture brutale », cette dernière étant visée spécifiquement par les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce avec une conséquence sur le préjudice indemnisable, fait grief au tribunal d'avoir, en procédant ainsi, répondu à une demande dont il n'était pas saisi.



55-Toutefois, il ressort des termes de la décision que la société CMC reprochait à la société ML d'avoir mis fin unilatéralement par courrier du 7 décembre 2018 à leur relation commerciale après plus de 16 ans de collaboration, sans tenir compte de la durée des relations écoulées constituant selon elle un fait fautif indemnisable à l'aune du gain manqué pendant la durée du préavis que la société ML aurait dû respecter.



56-Il résulte ainsi de ce qui précède que la demande dont le tribunal était saisi relevait clairement du régime des sanctions des ruptures brutales des relations établies, prévu par les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, de sorte que c'est en restituant aux faits leur exacte qualification, sans introduire un élément nouveau dans le débat, que le tribunal a tranché le litige en retenant le caractère brutal de la rupture ouvrant droit à une indemnité au sens de ces dispositions précitées.





Sur la rupture de relations commerciales établies



57-Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa version applicable aux faits du litige, 'Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers:



5°De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie,sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

(') Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.



58-L'application de ces dispositions suppose l'existence d'une relation commerciale qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties revêtant un caractère suivi, stable et habituel, indépendamment de la conclusion d'un écrit, laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine pérennité dans la continuité des flux d'affaires entre les partenaires commerciaux ; en outre la rupture doit avoir été brutale, soit sans préavis écrit, soit avec un délai de préavis trop court ne permettant pas à la partie qui soutient en avoir été victime de pouvoir trouver des solutions de rechange et de retrouver un partenaire commercial équivalent.



59-En l'espèce, l'existence d'une relation commerciale établie n'est pas contestée par les parties qui conviennent de l'ancienneté de leur collaboration qui a duré depuis 2002 selon les termes de l'Accord dans lequel les parties ont exposé que « la CMC a fourni à la ML depuis 2002, un service d'assistance en transport sur le sol tunisien- la ML a toujours travaillé en exclusivité avec la CMC ; Afin de permettre la continuité de leur collaboration commerciale, les parties ont décidé, d'un commun accord, de réitérer par écrit cette collaboration d'assistance et de conseil », la société ML s'engageant en outre à collaborer en exclusivité avec la CMC selon l'article 3 de l'accord. La durée de la relation depuis plus de 16 ans est dès lors établie.



60-Il résulte des éléments versés et notamment du courrier du 7 décembre 2018 que la société ML a pris l'initiative de rompre leur collaboration en notifiant à la société CMC expressément « sa volonté de mettre fin au contrat conformément à l'article 5 du contrat », c'est-à-dire en respectant un délai de préavis de deux mois mettant fin au contrat au 28 février 2019.



61-La circonstance que son courrier de résiliation soit accompagné d'un nouveau projet d'accord de collaboration, que la société CMC n'a pas accepté, est inopérante pour remettre en cause le fait qu'à la date du 7 décembre 2018 elle a, par une décision qui lui est propre, mis unilatéralement un terme à leurs relations commerciales établies en notifiant par écrit un préavis d'une durée de deux mois.





62-Pour qu'une telle rupture soit exempte de brutalité, la loi exige que le préavis tienne compte de la durée effective de la relation commerciale et celle nécessaire pour se réorganiser et respecte la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.



63-En l'occurrence, les relations commerciales s'étant poursuivies pendant plus de 16 ans, c'est par de justes motifs que la cour adopte que les premiers juges ont retenu qu'une durée d'un préavis de 18 mois aurait dû être respectée de sorte que le délai accordé de deux mois était insuffisant.



64-Il est de principe que la rupture brutale ouvre droit à une indemnisation en fonction de la perte économique subie par la victime de la rupture qui doit s'apprécier au regard de la perte de la marge brute pendant la totalité de la durée du préavis qui aurait dû être respecté.



65- L'assiette retenue pour le calcul de l'indemnité est la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires HT réalisé au cours des trois dernières années précédant la rupture à laquelle est affectée le pourcentage de marge brute multiplié par le nombre de mois correspondant pendant la durée du préavis, soit en l'espèce 16 mois après déduction des deux mois de préavis déjà accordés.



66- En l'occurrence, le rapport de l'expert-comptable produit par la société CMC, à partir des factures émises par la société CMC à la société ML, n'établit pas sa marge brute mais son chiffre d'affaires annuel moyen avec la société ML sur les 3 dernières années 2016, 2017 et 2018, à hauteur de 234 813,05 euros HT, équivalant à un chiffre d'affaires moyen mensuel de 19 568 euros HT, qui n'est pas contesté.



67-L'absence de précision quant à la marge brute réalisée par la société CMC ne fait pas obstacle à la détermination du préjudice, qui a été justement évalué par les premiers juges à la somme de 100 000 euros, laquelle correspond à un taux de marge brute d'environ 30% sur la base des éléments comptables produits que la société ML n'a pas critiqués pour la durée du préavis non respecté.



68-La société CMC, qui ne justifie pas d'un préjudice moral ni d'image complémentaire, sera déboutée de sa demande sur ce chef et la décision des premiers juf=gessur ce point sera confirmée.





Sur la demande reconventionnelle de condamnation de la société CMC pour procédure abusive



69-La société ML, qui succombe partiellement, n'établit pas le caractère abusif de la procédure engagée par la société CMC et sera déboutée de sa demande.



70- Il convient en conséquence de confirmer sur ce chef la décision et en conséquence l'intégralité du jugement rendu.





Sur les autres demandes



71- Les parties qui succombent chacune en partie en leurs demandes seront condamnées aux dépens par moitié.



72- L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.











IV/ DISPOSITIF



Par ces motifs, la Cour:



1-Ordonne la jonction des instances RG 21/ 09671 et RG 21/13064 sous le numéro de rôle unique RG 21/09671 ;



2- Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 4 mars 2021 en ses dispositions soumises à la cour ;





3- Fait masse des dépens et condamne les sociétés Compagnie Maritime de consignation et [Localité 2] Logistique à les supporter chacune par moitié ;



4- Déboute les parties de leurs demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,

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